Surfer Blood / Snowdonia
[Joyful Noise Recordings]

8.1 Note de l'auteur
8.1

Surfer Blood - SnowdoniaVoici un retour en grâce qui fait plaisir. Définitivement plombé par une affaire de violence conjugale ayant ruiné la réputation de son chanteur John Paul Pitts (en 2012), Surfer Blood est allé de galère en galère ces dernières années. Membres qui quittent le navire puis décès de son guitariste Thomas Fekete d’un cancer (après qu’une collecte pour payer son traitement ait elle-même été dérobée dans le camion du groupe), le groupe prodige de la génération Pitchfork avait sorti en 2015 un album, 1000 Palms, qui l’avait vu rentrer dans le ventre mou (et ceint d’indifférence) du rock US, soit à des années-lumière de la destinée qui leur était promise en 2010, à la sortie de leur premier album Astro Coast.

Retour sur un petit label et constitution d’un nouveau line-up plus loin : voici Snowdonia (via Joyful Noise Recordings), l’un des albums les plus solides, emballants et ambitieux de surf pop que vous entendrez cette année. On a pris soin d’écouter la chose plusieurs mois pour être sûrs de ne s’être pas fait leurrer ou d’avoir pris nos désirs jeunistes pour une réalité. Le charme ne retombe pas. D’aucuns feront la fine bouche et ne verront derrière cette musique que légèreté et exercice de style. Ce serait une grave erreur. Snowdonia est une merveille d’équilibre et un paradis pour amateurs de pop solaire. John Paul Pitts y réalise sur un mode badin, mais plus sérieux qu’il en a l’air, son projet d’une musique à la fois sophistiquée et immédiate, intime et universelle. Ce qui frappe évidemment à la première écoute, c’est la qualité des mélodies et la capacité de la plupart des morceaux ici à se frayer un chemin dans notre mémoire immédiate. La musique de Surfer Blood se chantonne sous la douche, dans le train et ailleurs. Les mélodies vocales sont formidablement accrocheuses et il se dégage de l’ensemble une envie de partager et une séduction irrésistibles. Cela démarre dès l’entame, A Matter of Time, au refrain redoutable. Les guitares sont puissantes et allègres. Les harmonies vocales rappellent les Beach Boys et leurs groupes épigones, comme si dès le départ, les Surfer Blood avaient voulu situer le contexte. La Floride a découvert l’électricité, la mort et les palmiers. La jeunesse emmerde le bourdon national et célèbre ses peines en tordant son manche de guitare et en regardant des vieux films (porno) hollywoodiens.

Frozen est magnifique et Dino Jay, chanson qui évoque avec délicatesse le guitariste disparu, l’un des plus beaux morceaux de l’album. D’où qu’on prenne la chose, il n’y a quasiment rien à jeter ici. L’intro balourde de Six Flags in F or G est rachetée à mi-morceau par une construction à tiroirs à la Love qui évoque (hors sol) les envolées magistrales du C’mon Kids des Boo Radleys. Cet album grandit au fil des écoutes. En plein milieu du disque, le morceau titre, Snowdonia, propulse ce quatrième disque dans une autre dimension. Pitts et les siens livrent une composition de près de 8 minutes d’une pureté et d’une beauté exceptionnelles. S’il ne fallait retenir qu’un titre cette année, nul doute qu’on choisirait Snowdonia. Un morceau pour les îles désertes et la route des vacances. Tout y est : la mélancolie, l’imagerie californienne, l’usure du temps et la puissance ailée. Le titre est un enchantement qui réunit le meilleur du rock et de la pop. Rien de mal ne peut arriver après ça. Surfer Blood marche sur l’eau. Instant Döppelgangers est roublard comme du Nada Surf et cela n’en finit pas. Les guitares rugisssent sur Taking Care of Eddy. La mélodie est corrompue par des détours et des arabesques qui emmènent le titre bien loin du rock ordinaire. Comme souvent sur l’album, les textes évoquent des choses malheureuses : la maladie, la folie, plus loin une chimiothérapie, une rupture, l’éloignement et la mort. Paradoxalement, cette musique angélique est habitée par le souci et l’impression que la machine à succès s’est arrêtée et ne repartira pas. En huit titres et sans un poil de gras, les Surfer Blood font juste ce qu’il faut pour gagner la partie.

Il y a dans cet album une peine infinie et l’idée que s’il y a un rachat possible, il se fera par une musique enjouée et plaisante. Il faut élever l’âme et appliquer plusieurs couches d’onguents et de baume pour que le cuir se relâche et que les cauchemars s’espacent. Après quelques applications, on aperçoit la neige au sommet de la montagne, le soleil perce par-delà les nuages. On peut se rendre à l’ivresse des sommets. Snowdonia est un album inattendu, inspiré et superbe. C’est dit.

Tracklist
01. Matter of time
02. Frozen
03. Dino Jay
04. Six Flags in F or G
05. Snowdonia
06. Instant Döppelgangers
07. Taking Care of Eddy
08. Carrier Pigeon
Ecouter Surfer Blood - Snowdonia

Liens
Recevez chaque vendredi à 18h un résumé de tous les articles publiés dans la semaine.

En vous abonnant vous acceptez notre Politique de confidentialité.

Plus d'articles de Benjamin Berton
Titre du mois : Bunker to Bunker de McHifi, qui dit Dieux ?
Qu’est-ce qui vaut à un morceau d’être désigné « titre du mois » chez...
Lire
Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *