Cet album 31 de The Fall a tout ce qu’il faut là où il faut. Le précédent, Re-Mit, était dispensable et celui d’avant, Ersatz GB, un truc bizarre et foutraque dont on a jamais réussi à apprivoiser les défauts et les quelques qualités. On s’était alors demandé pour quelles mauvaises raisons The Fall était devenu soudainement, après des années à moisir dans l’ombre de son propre culte, un groupe dont tout le monde parlait à nouveau et qu’il fallait avoir vu au moins une fois dans sa vie. Pourquoi s’infliger cela encore et encore ? La réponse nous brûlait les yeux et les oreilles depuis des années sans qu’on y ait vraiment pensé ainsi avant Sub-Lingual Tablet. C’est juste que The Fall ne ressemble à rien d’autre et que ce rien d’autre, à force de ne ressembler à rien, a réussi à s’imposer en nous comme un truc familier, rassurant et finalement ultra cool. D’une certaine façon, on a tous envie de monter sur scène et de grommeler des machins bizarres dans un proto-langage ultraréférencé avec des types qu’on connaît à peine à l’arrière-plan. On aimerait que notre femme joue du clavier à notre gauche en ressemblant à une poupée de porcelaine docile, et puis pouvoir la changer quand elle nous ferait chier. On aimerait être Mark E.Smith, perdre nos dents et siffler du speed puis quitter la scène pour aller pisser après quinze minutes de concert et ne jamais revenir. Il n’y a que Mark E. Smith qui peut être Mark E. Smith, c’est ça la vérité du groupe.
On peut évaluer un album de The Fall assez sûrement en jetant une oreille à son premier morceau. Venice with the Girls est, à cet égard, une des meilleures entrées en matière depuis un bail : le groupe est solide sur son garage rock, la voix de Smith est d’une incroyable lisibilité (on comprend même TOUTES les paroles – ok, ça ne se reproduira pas ailleurs sur l’album), et on déroule ces quatre minutes et quelques comme dans un rêve éveillé. C’est incisif, rentre-dedans et pas dénué de sens mélodique. La production est salopée par des « incidents » qui dessinent la signature du groupe et se prolongent sur le tordu Black Roof qui suit.
Sub-Lingual Tablet est un album sur lequel le groupe fait du bon boulot. C’est peu ou prou la même équipe depuis 7 ou 8 ans et on commençait à se dire depuis deux albums que ces types tournaient en rond et ne valaient pas un kopek. Ils reviennent ici avec une inspiration renouvelée et des lignes de basse qui touchent dans le mille. Avec le clavier d’Elena revenu au premier plan (le beau First One Today ou le classieux et tubesque Snazzy), on peut même considérer que Sub-Lingual Tablet amorce un embryon de retour à la pop tarée de l’ère Brix. Ce n’est évidemment qu’un mirage puisque ce qui impressionne ici, ce sont les grandes chansons (longues aussi) qui renvoient à Fall Heads Roll, le dernier grand album du groupe, ou à Reformation Post TLC. Il y a Dedication Not Medication qui lance la charge et qui est un chouette morceau à deux notes mais aussi Junger Cloth, un premier jam à 5 minutes qui a une fière allure jazzy et des accents afro. On peut trouver ça emmerdant mais Mark E. Smith est avant tout un poète beat comme son pote John Cooper Clarke et n’est jamais aussi à l’aise que lorsqu’il peut dérouler sa poésie sur des roulements de tambour. Junger Cloth est un must. Mais au panthéon de Sub-Lingual, il n’y aura vraisemblablement de la place que pour Auto-Chip 2014-2016 et ses dix minutes de génie absolu. C’est comme descendre une rivière en canoë, comme un trail à pieds nus en montagne, un roman de 600 pages ou la campagne de Russie, une chanson-fleuve qui parle de pop, d’auto médication, du futur et d’un tas de trucs qu’on ne saura que dans cinq ou six mois à la faveur d’un ou deux mots tirés du flow. Smith survole une rythmique serpentine et donne le sentiment de marcher/chanter sur l’eau. Il y a un élan imparable et une façon incomparable d’aller là où on veut aller en passant exactement par l’endroit où il faut qui ne trompent pas. Auto-Chip est une merveille. Comme la suite et ce qui précède ne sont pas mal non plus, il faut se rendre à l’évidence : The Fall en a encore sous la semelle. Stout Man est une reprise chantée/crachée de The Stooges (modifiée, ça va sans dire) qui a des accents punk et l’âge de ses artères. Pledge est mal fichue et fout les jetons. Smith hurle comme un chien qui grogne sur une sorte de boucle électro et un accompagnement de guitares foireux sans queue ni tête, ce qui fait un peu mince pour aller au-delà des 6 minutes. Ca ne marche donc pas à tous les coups et c’est ce qui fait le charme de l’ensemble. L’album se referme sur deux joyeuses charges vives sur l’air du temps. Fibre Book Troll parle des réseaux sociaux (on le suppose du moins) comme on n’en a jamais parlé, en illustrant leur potentiel de folie et de délire cinglé. Le morceau se referme sur une reprise de sifflets (humains) à la Micheline Dax qui est plutôt audacieuse et marque l’extinction des feux. Quit IPhone rentre dans le lard de notre téléphonite aigue. Ce n’est pas une attaque de vieux con contre la modernité mais simplement une déclaration haineuse et agacée, quasi humoristique, face au phénomène. On ne sait pas trop à qui Smith s’adresse mais ce morceau est drôle sans être décisif sur le plan musical.
Sub-Lingual Tablet est un album qui respire la santé. Smith a envie de chanter vraiment et cela s’entend et fait un bien fou. Le groupe est aux ordres mais pas tenu en laisse. Il y a de l’improvisation et de l’abandon, de la tenue et de l’inspiration, un peu de pop et de la hargne à revendre. Ce qui fait plaisir ici, c’est qu’on sent la bonne humeur et la confiance de tout le monde. Cela ne dure jamais très longtemps. The Fall n’est jamais aussi fort que lorsque tout le monde croit qu’il ne peut rien se passer, lorsque l’inquiétude se change en sérénité. C’est généralement à ce moment-là que les têtes roulent et que tout redémarre. On peut prendre sa came sous la langue, avec un verre d’eau. He’s been waiting so long, chante Smith au tout début. He’s been waiting so long.
The Fall album 31 has got everything you need. You could easily do without the previous one, Re-Mit, and probably live well without listening to Ersatz GB, whose numerous defects and qualities we never really managed to tame through the years. We wondered at the time what was happening with this band. The Fall was used to live and exist in the shade of their own cult-status and now there was all these people craving they were ultimate geniuses. You needed to like this band and see it spoil the game on stage not to be considered a loser. But why exactly? Well, the answer was just standing in front of us, just before our eyes and we hadn’t seen it before Sub-Lingual Tablet. Sure blind men we are. It is just The Fall sounds and looks like no other. And by sounding like no other through the years they have become a common freak machine, a familiar cool stuff we can’t do without. In a way, we ‘d all like to be Mark E. Smith which is singing exotic political or social rants in a proto-beat-language almost no-one can understand, when people you hardly know or consider are playing music behind you. We’d all like to be Mark E. Smith because we would like to have our girl playing keyboards besides us looking like a porcelain doll and get rid of her when she is getting too boring or sentimental. We’d like to lose our teeth, do speed, then get out of the scene for a pee and never come back. There is only Mark E. Smith who can be Mark E. Smith. That’s the only true thing about this band and the only reason why we listen to this zoological and musical curiosity with such constancy and mute admiration.
We sure can judge a Fall album by its first song. Venice with Girls is a tough one. It is a garage rock and muscular song, with Smith’s voice formidably neat and audible (for once, and the only time be reassured, you can understand all the lyrics at first listen), this song goes like a dream come true through 4 magical minutes. It is sharp and precise, with a good sense of melody and a bit of a nice tune. Production is beautifully fucked up by those little incidents which are the band signature and we can find also on the following Black Roof. The band is doing a good job here. The team hasn’t changed much since 7 or 8 years now but you can hear they’ve still got a few things to give and shouldn’t be buried alive with the two previous LPs. The rhythm section feels mostly (well) inspired, with a special mention for tremendous bass lines all along. With Elena’s keyboards sparkling again at the front (see good First One Today and the possible hit-single on another planet Snazzy), Sub Lingual Tablet sometime sounds like the band is turning back to the Brix hillbilly-crazy pop era. This feeling is but a mirage though. The real thing here is those huge long freestyle songs which remind of Fall Heads Roll, the band last masterpiece, or Reformation post TLC. Dedication Not Medication starts the game. It is a two-note miracle and then there is Junger Cloth which is a formidable proud noble 5 minute jazzy jam with afro resonances. Some may find it tedious and boring but Mark E. Smith is over all a beat poet like his friend John Cooper Clarke and is at his best when rolling along verses over the drums. Junger Cloth is excellent. But Autochip 2014-2016 is far better and will be reminded as the song which matters here. This song is absolute genius, like going down a river in a canoe, like trailing bare feet down a mountain. It is like a 600 page Russian novel or a 1942 military campaign, a song about pop, self-medication, future and a thousand other things we won’t find until a few months when we are given the chance to understand one or two words more against the flow. Smith is vocally riding a serpentine rhythmic torrent and literally walking and singing on fire. He knows exactly where he wants to go and exactly where he needs to get through to be there on time. Auto-Chip is an amazing song. As other songs are not bad as well, we must admit this LP is some kind of an achievement. Stout Man is a perverted cover of a Stooges song with punk in its veins and a worn out patina. Pledge is a scary ill-bred song. Smith is growling like a dog over a kind of electro loop and fucked up guitars work which is not enough to sustain 6 minutes of real interest. It simply does not work anytime but that’s The Fall way to do it and why we like them.
The LP ends on two (famous) rants against modern times. Fibe Book Troll is about FB and social networks (we suppose so) and mimes how they can drive you crazy on a personal and social level. The end of the song is just Smith whistling like French castafiore Micheline Dax and this is an audacious (and comical) move for the least. Then QuitIPhone tells us to… well… quit IPhone more or less. Those two songs are not exactly Smith going to war against modernity and technology as a 50 year old man. It is just him mocking us with anger and (amused) despise in a funny way. That’s cool but clearly not the best songs of the lot.
Sub Lingual Tablet is a (very) good Fall album considering their latest standards. Smith feels like he is in a good mood (meaning he is wild and into the game, funny, witty like a smiling monkey) and happy to be there and that’s the good news. The band is waiting for the master but not totally tamed or castrated by his own dynamics. The Fall is good when band is tight and loose at the same time. The guys feel relaxed and easy-going. There is pop melodies and pugnacity, and a certain sense of comfort. And we know what comfort means when talking about the Fall : freedom, good music but also time for another head rolling round. Then it all starts again. You can take your everyday drug on sub-lingual mode. With a glass of cool water. He’s been waiting so long, sings Smith at the beginning. He’s been waiting so long.