En prenant comme nom celui du plus célèbre des surfeurs de grosses vagues, Jeff Clark, surfeur clandestin d’avant le business et inventeur du site mythique des Mavericks en Californie, les Manceaux de… Jeff Clark’s ont annoncé la couleur : l’avenir sera aux outsiders ou ne sera pas, il sera incorruptible (mais avisé) et détaché des contingences du temps. Les vagues seront de plus en plus grosses et les hommes à leur pied de plus en plus petits et insignifiants. Les rides seront toujours plus dangereux et plus beaux.
Le nouveau EP du groupe est sorti mi-avril avec une couverture de saison, faite de masques en latex, indistincts et plastiques, évocateurs aussi bien des visages cruels qui tombent chez Nip/Tuck, que de ceux qui s’échangent en un tour de main chez John Woo ou encore de nos mines futures interchangeables et dissimulées sous des protections d’opérette. Miserable Star est un EP étrange et comme antidaté. Il vient d’un passé trouble où l’on croise des fantômes gothiques cold wave et gothiques, des souvenirs de Bauhaus et de The Cure, mais aussi une électronique de pionniers et de Géo Trouvetous qui craque sous la poussière et le défilé d’araignées. From Earth To Mars, le premier titre, est particulièrement impressionnant. Il sonne comme Other Voices et semble taillé dans la plainte et la peine, mais aussi avoir été excavé d’une sépulture extraterrestre. Le rythme est donné par un batteur/boîte à rythme robot habillé en noir et qui a vu tous les films de Bega Lugosi. Welcome To The Night est encore meilleur. Le chant est splendide et rappelle encore une fois celui d’un Robert Smith jeune, abandonné par ses parents de l’autre côté de la Manche. Elevé en écoutant Johnny Hallyday et Alan Vega, l’enfant a mal tourné et n’a pas d’autre choix pour s’en sortir que de chanter avec les loups.
Dire que la musique de Jeff Clark’s représente la modernité serait évidemment une vaste blague. On se rend compte depuis quelques mois que l’époque n’a pas avancé depuis quarante ans au moins. Les adultes sont revenus à l’âge adolescent et s’échangent de vieux disques et d’anciennes images, en rêvant à leurs petites amies de l’époque. Ils renouent avec leurs souvenirs et font des apéros devant des caméras clandestines. C’est ce qu’évoque Miserable Star sans le dire : la misère est partout. Nous vivons la nuit et nous avons froid jusqu’au bout des doigts. La musique n’a jamais évolué depuis que Simon Gallup a tenu la basse sur Seventeen Records. Elle n’a pas fait un centimètre. Man Watching, le dernier morceau de ce 4 titres magistral, fait penser à la petite école gothique élevée au Mans dans les jupes de Cranes Records. Il en a l’élégance et la sophistication. Des quatre morceaux, c’est le plus lumineux et le plus aérien. La menace a reflué et un couloir se dessine où l’homme peut se promener, réapprendre à marcher et même formuler quelques pas de danse. La société a l’œil sur lui. L’imagerie de Jeff Clark est simple et abstraite. Elle s’appuie sur des mots-valise (dark, night,…) qui suffisent à définir des univers crépusculaires inquiétants mais aussi suffisamment familiers et explorés par d’autres pour ne pas faire peur.
C’est ce qui est amusant ici. Miserable Star offre le même plaisir que lorsqu’on regarde un film d’horreur. Le frisson est identique, le danger tout relatif. On trempe la main dans le seau de pop-corn ou le pot de confiture, on passe le bras autour des épaules de son voisin et on finit par échanger avec lui/elle un baiser de la mort qui est ce qu’on aura, à jamais, de plus précieux quand le grand architecte éteindra la lumière.