« Tell me i am pretty/ Ugly as a joke/ Ask Me A Question/If i suffer a second/ i fall apart inside/ A private hell », chante le Canadien Aidan Knight sur La La, le deuxième morceau de son quatrième album. Il lui aura fallu quatre ans pour dépasser l’album précédent Each Other, qui lui avait valu quelques louanges et pas mal d’attention. Sorti dans une période étrange et peu tournée vers l’introspection, ce Aidan Knight a toutes les chances de passer par perte et profit. Ce serait dommage tant il présente de qualités.
L’artiste a traversé quelques difficultés personnelles pendant ces quatre années. Il a déménagé à Berlin avant de revenir au Canada. Il a arrêté de picoler, est devenu père et on en passe. Ces péripéties ont rendu sa musique plus sensible encore et tournée presque exclusivement vers la contemplation des états d’âme de l’auteur, ses hauts, ses bas, la lumière qui l’entoure et ce qui fait le sel de la vie. Il se dégage de l’album une extrême douceur, un calme, une élégance et un désir de ne rien précipiter qui constituent les grandes qualités du disque. Knight a tourné avec Andy Shauf, le nouveau prodige de la pop luxuriante et cela s’entend. Julia in The Garden, le morceau d’ouverture, ressemble trait pour trait à un morceau de The Party, l’un des albums concept de Shauf. Le piano est aussi indolent et ivre de lui-même, les percussions jazzy et enveloppantes. La voix agit comme une consolation, offrant un réconfort naturel après une longue et dure journée. Aidan Knight est un ami qui nous veut du bien, l’un de ces gars qui viennent vous raconter leurs peines pour vous rendre la vie meilleure au bar de l’hôtel pendant un déplacement professionnel. Les arrangements sont classiques, parfois comme pompés sur les Beatles ou les Kinks, si bien qu’on a le sentiment d’être dans un environnement familier mais aussi d’évoluer dans un temps mal déterminé, quelque part entre les années 60 et aujourd’hui.
Il y a dans la musique d’Aidan Knight une propension à l’anachronisme qui la rend belle, soyeuse, en même temps que désuète et dispensable. Sixteen Shares agit comme un rêve. La guitare est quasi invisible et la batterie semble se confondre avec un battement de cœur. La pop à cette échelle est si intime qu’elle semble ne pas se détacher du corps de celui qui la reçoit. C’est une musique tellement intériorisée qu’on ne la sent pas exister en dehors de soi. Veni Vidi Vici est un grand morceau. « Dont tell me it’s a passing thing/ You loved me but now something’s changed/ I’m different and you stayed the same/ soi t goes/…/ will you love me in my final form ?/ She’s ready for you now. » Il faut s’y connaître sacrément pour proposer/composer une telle merveille. Tout n’est pas aussi réussi et marquant de justesse que ce morceau-là mais de nombreux titres méritent d’être disséqués et écoutés avec minutie. Mary Turns The Pillow est un chef d’œuvre, naturaliste et d’une qualité d’observation remarquable. On pense aux premiers Smog, amoureux et cruels. Slacker II fait une belle place aux guitares électriques, entre Neil Young et les Beatles, et c’est très réussi aussi. Quelques pièces pèsent un peu moins comme le St Kierans qui suit, qui fait penser à du Nick Drake avec ses cordes à la Joe Boyd et sa tristesse en bandoulière. Houston TX est moins marquant et arpente un territoire moins intense et déjà exploré par un tas d’autres. Il n’y a rien de mal à ça mais Aidan Knight n’est pas toujours original. Rolodex avec sa patine très 60s est plus cool que du Ed Sheeran mais sonne un peu trop appliqué pour l’exercice. Le classicisme pop d’Aidan Knight est finalement plus à son aise dans un format quasi acoustique comme sur le beau Renovations. C’est en jouant face à son auditoire, en regardant droit devant lui, que le Canadien est le plus efficace. Sa voix n’a pas besoin d’en rajouter dans l’expression et c’est ainsi qu’il brille. These Days est un autre exercice de style à la Lennon. D’aucuns diront que c’est quasiment un plagiat à ce stade mais comme le morceau ressemble à trois ou quatre titres différents, on ne peut pas y faire grand-chose. Le morceau est beau à tomber. Il est triste et gorgé d’espoir.
« All the lonely people/ Coming down the canyon hills/ Waiting in the next room/ I know i never will/ settle down my handshake/ before i walk on in/ It’s all gonna work out/ One of these days. »
Quand on passe si près de la perfection, c’est qu’on a forcément quelque chose d’important à dire. Aidan Knight doit être écouté pour ce qu’il est : un album mineur d’importance et un secret bien gardé.
Ce titre a un petit air de Sufjan Stevens qui n’est pas pour me déplaire. Cet album mineur est merveilleux
C’est vrai. On retrouve cette sophistication et cette délicatesse propres à Sufjan Stevens. C’est un peu moins précieux, plus classique aussi en un sens, plus direct. Peut-être moins original dans la durée mais juste et vraiment émouvant.