Le voyage est à la fois esthétique et musical. Le clip du morceau Hearth Walking, extrait de l’album Géométries Sous-Cutanées de Watine (sortie le 1er mars), est une pure merveille qu’on doit à l’artiste VEL (de son vrai nom Caroline Lysiak), laquelle a aussi conçu la somptueuse pochette du LP. Comme souvent quand on atteint une telle sophistication esthétique et graphique, on se demande, ce qui est finalement une question vaine, si l’émotion qu’on ressent en regardant et en écoutant le morceau est liée véritablement à la musique (c’est-à-dire à ce qu’on était venu chercher en premier), à l’art ou ou à la réunion des deux.
Pourquoi s’interroger d’ailleurs quand le plaisir est là ? Le tapis électronique qui constitue la nouvelle matière première utilisée par la chanteuse sur cet album est d’une délicatesse absolue, ouatée et seulement modulée par des variations d’épaisseur ou de grain. C’est une révolution de palais chez une chanteuse à voix que ces Géométries sous-cutanées, majoritairement instrumentales, qui font la part belle aux silences et aux soustractions de notes. Le rythme vient souvent de loin, comme prononcé en sourdine pour mieux détacher les notes qui s’envolent tout autour. Les plages, instrumentales, dépassent allègrement les cinq minutes et agissent comme des impressions, laissant suggérer des aplats de peinture ou plus sûrement le survol de paysages naturels ou l’exploration d’une cartographie intime qui nous échappe un peu. L’album évoque les travaux de Quentin Sirjacq, de Jochen Tiberius Koch ou d’Akira Kosemura, en plus sec encore, moins lyrique et peut-être moins enlevé. Il n’en reste pas moins très prometteur pour quelqu’un qui explore cette voie pour la première fois avec cette radicalité pleine d’espoir.
L’ensemble est ambient, souvent brillant, inspiré, même si modeste, musique d’avant-garde immédiatement accessible et qui motive les rêves d’évasion. Finalement, malgré des textes qui claquent, les quelques « chansons chantées » par la poétesse viennent retirer un peu du mystère et du charme qui provenaient de l’abstraite abstention des voix. Mais ce n’est pas bien grave. Géométries Sous-Cutanées est un album précieux qui met en contact l’infiniment grand et l’infiniment petit, un album surréaliste qu’on parcourt comme un palais intérieur, glacial et humain à la fois, de boîte en boîte, d’espace en espace, jusqu’à s’y paumer vivant. Jonathan le Goéland n’est pas mort.