Une horreur. On ne croyait pas qu’on en viendrait à cette extrémité après avoir dit tant de bien du groupe jusqu’à son album Plastic Beach (2010), mais ce retour de Gorillaz est une véritable abomination et un signe de la fin des temps. Le groupe de Damon Albarn avait marqué au début des années 2000 l’apogée des albums collaboratifs et la fusion du chant et de la production hip hop (pour faire simple), de la com graphique et des sons pop(ulaires). Tenus le plus souvent par des concepts forts, les albums de Gorillaz dépassaient les limites des disques de featurings de masse pour dégager une énergie et un sentiment d’unité qui faisaient leur signature et leur conféraient une redoutable singularité. Si l’enveloppe est toujours aussi séduisante (on reste indéfectiblement attaché à l’univers graphique et aux personnages), la musique a baissé pavillon, se rendant corps et âme aux tonalités dominantes. La faillite est symbolique.
Six ans après un The Fall déjà critiquable et dont le principal argument de vente était qu’il avait été composé (en tournée) à l’aide d’une tablette (o tempora…), Humanz offre un triste tableau de l’humanité (musicale) dont il se prévaut. Si les trois premières minutes du disque (l’intro et le premier titre porté remarquablement par Vince Staples) font illusion, le reste est une catastrophe qui peine à dégager une quelconque unité et se plante souvent dans les grandes largeurs titre à titre, en se vautrant dans la laideur d’un son écœurant (où le Rnb prévaut) et souvent complètement démodé. Strobelite, chanté (plutôt bien) par Peven Everett, est une bonne illustration de ce qui se passe ici. La chanson est enlevée, pas dénuée d’intérêt dans son registre soul, mais comme suspendue dans un vide abyssal. Qu’est-ce qu’elle fout là ? A cet endroit ? Que veut-elle dire ? Gorillaz avait toujours brillé jusqu’ici par sa science narrative. Les irruptions RnB et les morceaux plus légers, les « fautes de goût volontaires » étaient justifiées en ce qu’elles s’intégraient dans un schéma transparent (des incarnations de personnages, des thèmes portés, des historiettes plus ou moins bien montées) qui permettaient de les contextualiser. Il n’y a cette fois rien qui justifie la plupart des morceaux. On n’a rarement vu De La Soul autant à la ramasse que sur Momentz, un morceau ridicule et sans âme. La technique et l’épate sont seules aux manettes au service d’un projet qui sent sur chaque note la volonté de faire son intéressant faute d’intention artistique globale. Les mélodies sont chiches et les rebonds de production sont presque tous forcés. Submission est une horreur et le Charger où apparaît Grace Jones n’a que son (chouette) refrain « I gonna take you for a ride » à faire valoir.
Gorillaz ne nous épargne ni les épisodes disco (Andromeda), ni le trap lyrique (Carnival). Quelques morceaux viennent heureusement rendre l’écoute de ce disque interminable supportable. Les interludes se tiennent et l’on apprécie le passage de Mavis Staple sur Let Me Out. Albarn s’économise le plus souvent (ce qui n’est pas pour nous déplaire) mais accompagne avec retenue un beau morceau comme Busted And Blue. La seconde moitié de l’album permet au disque de limiter la casse avec des titres moins tape à l’œil comme Sex Murder Party ou Hallelujah Money. On n’aurait jamais cru dire du bien de Benjamin Clementine mais il fait le boulot sur ce titre qui est probablement le plus juste et valable de tous. Avec les années (on avait déjà pu s’en rendre compte sur The Fall), Gorillaz qui était une formidable machine à emballer, un réservoir d’énergie invraisemblable est devenu une franchise éteinte dont les morceaux les plus intéressants sont lents et mélancoliques. Cette capitulation sur le front du divertissement est un signe des temps que le final dégoulinant de bons sentiments We Got The Power vient confirmer. Ceux qui ne peuvent pas encadrer Damon Albarn trouveront ici tout ce qu’il faut pour le ramener à son statut de faiseur opportuniste.
On a peine à le dire, mais ce Gorillaz, d’où qu’on le prenne, ne mérite aucune espèce d’attention. Et ce n’est pas les tentatives de lui faire dire des choses sur la présidence Trump qui arrangeront quelque chose. Il ressemble à de ces bidons échoués sur la Plastic Beach d’antan. Un mauvais fétu charrié par l’époque, les vagues et l’air du temps. L’enveloppe est jolie mais quelqu’un a utilisé tout le produit qu’il y avait dedans.
02. Ascension (feat. Vince Staples)
03. Strobelite (feat. Peven Everett)
04. Saturn Barz (feat. Popcaan)
05. Momentz (feat. De La Soul)
06. Interlude
07. Submission (feat. Danny Brown)
08. Charger (feat. Grace Jones)
09. Interlude : Elevator Going Up
10. Andromeda (feat. D.R.A.M)
11. Busted and Blue
12. Interlude : Talk Radio
13. Carnival (feat. Anthony Hamilton)
14. Let Me Out (feat. Mavis Staples)
15. Interlude : Penthouse
16. Sex Murder Party (feat. Jamie Principle & Zebra Katz)
17. She’s My Collar (feat. Kali Uchis)
18. Interlude : The Elephant
19. Hallelujah Money (feat. Benjamin Clementine)
20. We Got The Power (feat. Jehnny Beth)
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