Nu et habillé. Symphonique et acoustique. Beau ou laid. Bien ou bof. Est-ce qu’on peut être tout et son contraire, lorsqu’on est une chanson ? Est-ce qu’on peut avoir été électrique et devenir tout autre chose ? C’est la question que pose ce double album rétrospectif nommé Quelques lumières et enregistré pour partie avec l’Orchestre de Chambre de Genève (soit une quarantaine de musiciens remarquables) et pour le CD 2, en formule acoustique trio. Autant dire que d’un disque à l’autre, on passe d’un dispositif sophistiqué et riche en enluminures à quelque chose de tout à fait autre et qui résonne ou se heurte à chaque fois au souvenir des enregistrements originaux, eux-mêmes rares ou très connus, qu’on a pu voir déclinés par l’artiste sur scène dans des écrins assez différents. C’est parfois à n’y plus rien comprendre ou ressentir.
L’ensemble d’une trentaine de titres (28 pour être précis) est monumental. A l’écoute, on s’incline et on plie : que ces chansons sont belles, que les mélodies sont belles, que c’est élégant et stylé, que c’est intelligent, émouvant et brillant. L’oreille ne ment pas, habillée ou non, il y a ici très peu de déchets et de chansons qu’on aime pas. On ne dit pas ça pour nos préférées (le courage des oiseaux, la mémoire neuve, le commerce de l’eau, plein d’autres) mais aussi pour toutes les autres qu’on connaît moins (comme l’encre, le sens, etc), tirés d’albums qu’on a peut-être moins aimés ou pratiqués, on ne sait plus. Dominique A est à l’aise dans le dispositif. Il chante plutôt bien et librement avec l’Orchestre et paraît presque plus sérieux et maniéré en petit comité. Il est techniquement souple et agile, ondulant avec grâce sur Quelques Lumières, souple un peu court parfois mais avec le sourire et la lumière au bord des lèvres, les yeux pétillants qui s’entendent et luisent sur chaque syllabe. Quelques Lumières nous rappelle à quel point il est précieux et a compté pour nous.
Comme tout traitement choisi et peut-être offert par l’opportunité et le statut, on est pas certains non plus que ces relectures présentent un grand intérêt ou même qu’elles apportent quoi que ce soit à nos souvenirs d’auditeurs. Elles agissent comme des reprises curieuses, et un brin exotiques d’émotions qu’on a parfois éprouvées il y a vingt ou trente ans maintenant. On aura beau le jouer comme on veut, le Courage des Oiseaux ne sera jamais aussi bon que celui qu’on a découvert sur la Fossette en 1992. Il a cet âge là et nous celui d’hier. Tout le reste ne sert pas à grand chose au point que la version arrangée ne nous offre rien d’autre qu’une gentillette distraction, reprise superflue d’elle-même pour elle-même. La Mémoire Neuve prend du galon mais perd toute fébrilité dans sa version flonflon. D’autres s’en sortent mieux (le commerce de l’eau) et bénéficient de l’épique progression coplandienne des Suisses ou d’une suite prokofievienne comme le spoken word de Corps de Ferme à l’Abandon. On peut aimer ou pas (plutôt pas, il ne faut pas toucher à certaines, aucune chance de recouvrir le souvenir) mais tout ceci est bien intéressant, bien puissant, bien mené. Les arrangements sont somptueux et subtils, intelligents et tout à fait pertinents mais cela ne sert souvent à rien. Le Twenty Two Bar est toujours une chanson maudite et mal aimée. Le Ruban est splendide et brelien. Comme l’encre, belle à pleurer. Que dire de tout ça ?
Les versions acoustiques sont un poil moins amusantes. Le Geste Absent donne le ton. Plombé de lumière et de grâce. Presque trop poétique pour ce qu’on peut porter. Mais qui pourrait dire que cela ne fonctionne pas ? Ces Quelques Lumières feront un beau cadeau de Noël pour les fans et un beau souvenir pour ceux qui ont aimé et connu ces chansons quand elles étaient jeunes. Certaines ont voyagé, d’autres sont restées confidentielles. On peut les habiller comme on veut, les maquiller, elles seront toujours jeunes et fraîches comme aux premiers jours. Il y a celles avec lesquelles on est sortis plus jeunes, et celles qu’on a pas aimées hier. Elles sont plus nombreuses que nous. Même privées d’insouciance. Beaucoup sur ce CD 2 sont trop écrites, trop lourdes de sens (Le Sens, L’Humanité). On aime le temps de l’insouciance, des mots de peu et des plats surgelés. C’est ainsi : on n’y est plus tout à fait mais cela n’empêche pas qu’avec ce disque, on rêve au jour où tout sera comme avant.
01. L’écho
02. La mémoire neuve
03. Vers le bleu
04. Le temps qui passe sans moi
05. Le commerce de l’eau
06. Eleor
07. Le ruban
08. Le Twenty two bar
09. Au revoir mon amour
10. Rue des Marais
11. Immortels
12. Corps de ferme à l’abandon
13. Le courage des oiseaux
14. Comme l’encre
15. Ce geste absent
Disque 2 en trio
01. L’océan
02. Chanson de la ville silencieuse
03. Chemise à fleurs
04. Les éveillés
05. Elle parle à des gens qui ne sont pas là
06. Valparaiso
07. Rendez-nous la lumière
08. Les animaux
09. Music-Hall
10. Le sens
11. L’humanité
12. Tout sera comme avant
13. Quelques lumières
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