Ce vendredi 10 mars, Yasmine Hamdan (photo : Flavien Prioreau) débute la deuxième journée de promotion consacrée à son nouvel album, superbe Al Jamilat. Une tournée marathon qui verra ensuite la compositrice libanaise s’envoler pour Londres et les States : « Je suis déjà fatiguée et la promo n’est même pas commencée », dit-elle avec amusement. Ce qui n’empêche pas Yasmine de longuement répondre à nos questions avec une totale concentration et le souci du mot juste, soupesé. Logique pour cette artiste en quête d’épure, à la recherche de la sonorité parfaite : « Certains titres ont été écrits sur la route. J’avais besoin de morceaux ancrés dans l’actuel, plus politisés. Mais tout en gardant une distance. Et puis quand j’écris, il n’y a jamais de narration précise, cela se met en place comme un puzzle. Ma méthode n’est pas toujours évidente car je peux parfois bloquer sur un mot durant trois jours. Ce qui est horrible ! C’est parfois dur de se connecter avec soi-même, de connaître ses propres envies… Le mot doit fonctionner au niveau du poids, du rythme, de la mélodie. Il doit sonner mais faire sens. C’est toujours très laborieux quand j’écris les textes. Je peux y passer des heures et des heures et des journées, je dois être seule. Également car je recherche le minimal ». Un besoin d’épure pour mieux convoquer l’efficace ? « Oui, l’efficace et le sensible. J’ai plus de facilité avec les mélodies qu’avec les mots. J’essaie de créer un environnement doté de plusieurs couches, de plusieurs mood. Si dans le texte un personnage dit quelque chose de simple, il y a toujours une part d’ambiguïté. J’aime ce genre de confusions. »
Inutile cependant de comprendre toutes les subtilités de la langue arabe pour saisir la luminosité exprimée par ce chant aussi doux que réconfortant. « C’est le but, explique Yasmine. Car je pense que nous avons besoin de tendresse dans ce monde. De toute façon, j’ai commencé à faire de la musique car elle me procurait du bien. Comme un baume. Mais je me rends compte que ça ne l’est pas forcément car tout le travail autour, tout l’effort et la persévérance exigée, ce n’est pas évident (rire) ! Je me sens parfois obsédée par cela, donc coincée. En même temps, c’est un privilège que de pouvoir faire ce que l’on aime. » Une perfectionniste habitée, qui doute et se lance constamment de nouveaux défis. Mais qui pourtant, in fine, propose une œuvre qui ne transpire jamais l’effort. Admirable.
Revenons sur la genèse de ce deuxième album (après Ya Nass, en 2013). « J’avais plein d’idées et d’envies mais je n’étais pas certaine à 100% de leur mise en place. Cela s’est donc passé de manière très organique, au fil des rencontres. Et puis je crois que l’on attire les choses par soi. J’étais dans une recherche de sons et de crossover entre plusieurs genres et plusieurs mondes. J’ai donc mis un peu de temps mais c’était prémédité sans être stratégique : j’ai fixé un cadre, j’ai fait pas mal de démos et de recherches. J’ai mis quelques temps pour comprendre ce que je voulais faire et où je souhaitais arriver. Il y a beaucoup de facteurs de risque, les choses auraient pu arriver ou ne pas arriver. Et j’eus la chance de rencontrer des artistes merveilleux qui ont travaillé sur cet album et l’ont enrichi. Ils ont rehaussé mes idées et m’ont donné beaucoup de matières que j’ai intégrées, tordues, malaxées. »
Commencé en France puis à Beyrouth, l’enregistrement final d’Al Jamilat se déroula à Londres en compagnie des producteurs Luke Smith et Leo Abrahams. L’enjeu principal, semble-t-il, consistait à conserver le naturel des maquettes : « Au départ, c’est le défi et la difficulté : pouvoir travailler de façon organique et naturelle sans forcer les choses. Une histoire de dosage, en fait. Comme dans la cuisine : la recherche de la température et de la recette la plus équilibrée. Et puis, je travaille souvent les morceaux les uns par rapport aux autres. J’ai une approche de la musique assez ludique, cela m’amuse d’avoir des morceaux plus lumineux et d’autres plus graves ; des titres plus folk et d’autres plus électroniques. Il était donc intéressant de confronter les morceaux les uns par rapport aux autres, mais qu’ils possèdent tous le même niveau ». D’où la cohérence du disque, malgré sa profusion de styles ? « Il fallait trouver cette cohérence. Mes producteurs et mes musiciens m’ont beaucoup aidée à obtenir ceci, car ils possèdent beaucoup de talent ! Je devais être plus flexible car je suis arrivée avec des enregistrements assez avancés. Il était nécessaire que je sois ouverte à leurs propositions tout en gardant le cap. Mais il fallait leur laisser l’espace pour faire grandir les morceaux. »
Connaissait-elle le travail de Smith et d’Abrahams, notamment pour Depeche Mode, Eno ou Foals ? « En fait, je dois cette rencontre à mon éditeur (Thomas De Mot de Strictly Confidential). Au départ, je n’étais pas certaine. C’est très difficile de savoir ou de se projeter, surtout quand tu ne connais pas les gens. Et ce sont des personnes qui travaillent avec des artistes très différents. On a discuté sur Skype à plusieurs reprises, et je sentais qu’intellectuellement et musicalement le courant passait. Et qu’il s’agissait de gens sympas ! »
On perçoit un travail en studio sans prise de tête. À la limite de la légèreté ? « Complètement. Même si parfois c’était un peu stressant car il fallait tout tenir en trois semaines. » Trois semaines, à peine ?! « Oui, mais je suis venue avec un travail avancé, ce n’était donc pas impossible. Certains morceaux furent plus simples à concevoir que d’autres, et inversement. “Choubi”, par exemple, est le titre qui a le plus changé. Au départ, il n’était pas aussi avancé que les autres, et a donc nécessité trois jours de studio. Et quand tu passes trois ou quatre jours sur un morceau, il ne te reste plus que onze jours pour tout le reste (il s’agissait de semaines de cinq jours). Donc oui, c’était tendu car je devais également faire mes voix. D’habitude, je les fais en solitaire car je suis un peu control freak, je m’enregistre comme j’ai envie, je fais plein d’allers-retours. Mais avec mes producteurs, c’était intéressant car ils m’ont guidée afin de m’aider à positionner différemment ma voix. » Et quelle méthode de travail préfère Yasmine ? En solitaire ou en groupe ? « Je n’ai pas de méthode préférée. J’étais partante pour le changement car je n’aime pas la routine. Du coup, je pouvais m’aventurer vers des choses que je ne faisais pas avant. »
Al Jamilat est un disque qui abolit les frontières. Un disque monde, une œuvre cosmos. Yasmine, qui vient d’obtenir son passeport français (« avec difficulté »), reste effectivement très attachée à l’idée de rencontres, d’échanges, de passations entre tous : « La musique m’a permis de m’épanouir à plusieurs niveaux, et surtout de faire de belles rencontres. Ce qui est très précieux. Des gens t’inspirent, te donnent, te poussent. C’est aussi une manière de pouvoir façonner une petite famille, du moins un petit îlot ». Comme l’indique le titre de son nouvel album, Yasmine Hamdan est une « magnifique ».
02. La Ba’den
03. Assi
04. Choubi
05. Iza
06. Cafe
07. K2
08. Al Jamilat
09. Balad
10. La Chay
11. Ta3ala