C’est déjà le cinquième album des Suisses et, pour une raison qu’on ignore, on n’avait pas croisé leur route depuis leur deuxième (bien fichu). Cela tombe plutôt bien car, si le savoir-faire est là, on rentre dans la musique de Fai Baba comme s’il s’agissait d’une vraie (et bonne) découverte. Sad And Horny (« triste et chaud du cul », pour les non anglophones) est un excellent album de blues rock psychédélique comme on les aime en ce moment. Le duo, composé par Fabian Sigmund, chanteur, guitariste porteur du projet, et son acolyte batteur Domi Chansorn, a l’air tout du long de ne pas y toucher mais produit ici une collection de chansons efficaces, diablement élégantes et tout en doigté.
Il faut imaginer une version suisse (et un peu moins trash) de Fat White Family, une version bluesy et romantique de Kevin Morby, une version aérée et flottant sur l’eau d’un Jacco Gardner apuré. Le jeu des comparaisons peut servir à attirer l’attention sur ce groupe discret mais au look impeccable et à l’allure bankable. Il ne permet pas toutefois de saisir le délicat équilibre et l’harmonie qui se dégagent du duo. La voix de Fabian Sigmund est magnifique, aiguë et pleine de caractère. Elle excelle dans les morceaux à émotion, sans jamais user d’expédients à la petite semaine consistant à élever le ton ou à en faire des tonnes. Ce qui étonne ici, en effet, c’est justement le classicisme et la ligne claire. La musique de Fai Baba dégage un sentiment de facilité et d’harmonie qui est épatant. D’aucuns diront que cela manque d’aspérités ou de décrochés surprenants mais ce serait une grave erreur. Comme chez les Anglais de Fat White Family, l’impression de fluidité cache une sophistication et une maîtrise de son art qui sont tout bonnement remarquables.
Le psychédélisme est envisagé sous sa version « logique », c’est-à-dire sans que les liaisons entre les séquences qui composent le morceau s’enchaînent de manière heurtée ou inconséquente. Cela démarre souvent au ralenti et avec une sorte de mollesse confortable, comme sur l’inaugural Find Me A Woman, mais sans céder jamais sur le mouvement général et l’intensité de la direction. Don’t Belong Here sonne comme un morceau blues chanté par Thom Yorke, échappé d’un bœuf d’OK Computer. C’est à la fois limpide et hypnotique. Lorsque le groupe s’ébroue, comme sur Can’t Get Over You, Fai Baba lorgne vers un héritage 70s classique, californien et moins original. On peut trouver cela moins intéressant et stimulant, voire un brin archaïque, mais c’est si joliment fait que le solo de guitare passe comme une ectasy à la Poste. Les textes de Sigmund parlent d’amour et de solitude, qui sont deux mots/maux qui vont bien ensemble. C’est émouvant et un peu triste, voire carrément irrésistible quand le duo façonne des petites pépites pop telles que l’impeccable Why do I Feel So Alone ? (notre chanson préférée ici) ou le déchirant et minimaliste Lucky. On croise ici ou là le fantôme de Jeff Buckley débarrassé de ses tics de chant. Rien que du très fréquentable donc.
Dans le registre qui est le sien (un folk pop bluesy et psychédélique, vaguement effondré), Fai Baba fait le boulot au-delà de toute espérance. On ne conseillera pas l’écoute du disque pour s’échauffer avant d’aller faire la bamboche le samedi soir, mais il y a des circonstances (avant une bouteille de bourbon en intraveineuse, un suicide classieux ou au moment de tromper sa femme), où ce disque offrira beaucoup plus qu’un simple réconfort. On peut consommer les disques comme les médicaments. Celui-ci a comme d’autres sa posologie. Il faut la respecter pour en apprécier la saveur et en tirer le meilleur parti.