1=0 / Cœur
[Quixote Music]

7.8 Note de l'auteur
7.8

1=0 / Coeur (Quixote Music)Cœur, le nouvel EP de 1=0 est le disque français le plus intense et bouleversant du moment. Il ne faut pas exclure qu’il présente quelques-unes des meilleures chansons du groupe parisien. J’ai qui ouvre ce cinq titres en fait partie. C’est un morceau magistral, emballé en trois minutes serrées et dont la maestria rappelle immanquablement la perfection énergique et l’exposé clinique des meilleurs Diabologum. La comparaison colle aux baskets d’Ali Veejay et des siens depuis l’origine. Elle reste flatteuse d’où qu’on la prenne, même si on imagine que le groupe en a soupé. On y a accolé depuis quelques années la référence obligée à Fauve, le collectif nébuleux qui est devenu façon blitzkrieg le groupe (bidon) le plus célèbre du pays avant de disparaître. 1=0 est, par nature, plus proche de Diabologum : moins adolescent que Fauve, moins superficiel et concentré comme jamais sur l’état du monde (Yogi Girl).

J’ai est un titre singulier. C’est un morceau d’action paradoxale où tout ce que le narrateur a entrepris conduit littéralement à sa dépossession. Comme dans un jeu de balle, où celui qui va recevoir, indique aux autres qu’il tend les mains et récupère le ballon en criant « j’ai » !, « j’ai » !, 1=0 évoque un sujet qui se croit au centre du jeu mais voit tout lui échapper. La chanson est intelligente et accompagnée par un groupe en furie, tumultueux et quasi ironique dans sa manière de mettre en scène la colère désespérée du sujet. 1=0 décrit à merveille l’échec et l’épuisement. Il le fait avec le plus grand sérieux et cette tendresse pour les perdants qui en fait des héros. « Frappe les mots-maux/ Frappe jusqu’au sang/ A en faire tomber l’écorce/ Frappe le centre ». La figure du boxeur dérisoire renvoie au boxeur abattu du Boxers de Morrissey et c’est splendide du début à la fin.

Yogi girl, comme d’autres morceaux « politiques » du groupe, est marqué par l’urgence et la violence. La section rythmique évolue comme étouffée par sa propre vitesse. Le débit du chanteur est accéléré et à la limite de la confusion, ce qui atténue la portée du morceau sur sa première minute. Yogi Girl marque les esprits lorsqu’il se change à mi-chemin en une formidable tornade instrumentale. C’est cette énergie primale qui fait l’identité du groupe, cette capacité à concentrer la rage dans un discours poétique dont la finesse et l’impact ne sont jamais obscurcis ni réduits par la colère ou le déferlement sonore. 1=0 reste ainsi souvent pop, alors même qu’il emploie des voies instrumentales puissantes, shoegaze ou noisy. Cœur, le troisième morceau du EP, est un excellent exemple de ce que fait le groupe dans un registre encore plus sensible. Mi-menace, mi-déclaration d’amour, le titre renvoie à une approche sensible du monde (le cœur), tout en annonçant l’échec irrémédiable, le repli nucléaire sur soi et le désespoir noble qui en découleront. Est-ce que cela en vaut la peine ? Oui, si on considère que toutes les autres voies relèvent de la trahison et aboutiront à des défaites encore plus cuisantes, dont la morale ne sera même pas sauve.

L’univers d’1=0 reste sombre et par nature tragique. Ce disque ne fait pas exception, même si un morceau comme Mon fils semble offrir une voie nouvelle. Un enfant dispose de pouvoirs magnétiques qu’il contrôle à travers la méditation. 1=0 imagine une issue fantastique et presque humoristique qui rappelle les méthodes d’émancipation qu’évoquaient jadis Dantec dans ses romans. La voie est psychique, magique et spirituelle. On retrouve ce schéma dans l’autre sommet du disque qu’est Esclave, l’histoire remarquable d’une émancipation. Ali Veejay démarre dans une contrition brelienne, en surjouant la diminution de l’esclave (« je suis un esclave »/ « t’es un esclave », chanté en quasi voix de tête), avant de sonner la révolte. Le sujet se libère tout en ré-ingérant ses traumatismes fondateurs. Le contenu psychanalytique plus ou moins explicite du morceau (résilience et tout le toutim) n’enlève rien à sa puissance extraordinaire et au flux d’énergie qu’il produit à l’écoute. L’art électrique nous traverse, nous transperce et nous donne l’envie folle de tout envoyer valser. 1=0 écrit des chansons qui ébranlent les fondations intimes. C’est une musique qui fait tanguer et interroge en permanence. En cela, elle dépasse ce qui s’est fait jusqu’ici dans le slam rock ou le spoken en ne cédant jamais sur la métaphysique. Mêler avec un tel sens du naturel la révolte punk et la révolution psychanalytique n’est pas donné à tout le monde et est susceptible d’affecter gravement la normalité et l’équilibre de nos vies de merde. C’est ce qu’on appelle la subversion. Le ver est dans le fruit. Le fruit devient le ver. Ca arrive.

Cœur est un ep dont on ne devrait pas recommander l’écoute aux âmes chancelantes, aux indécis et aux gens en colère. On sait en écrivant qu’il n’y aura que ce genre de types qui écouteront cette musique. C’est évidemment couru d’avance. Cela leur fera du bien et du mal à la fois. Les autres kiffent la soupe et le RnB. Une affaire qui roule.

PS : la pochette du ep est une tuerie.

1=0 / Cœur

Tracklist
01. J’ai
02. Yogi Girl
03. Cœur
04. Mon Fils
05. Esclave
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