10 ans de QuixoteMusic : la bataille de l’indépendance n’aura pas lieu

Patrice Mancino par Alexandra Lebon10 ans / 10 questions. Évoqué déjà pour sa formidable et monumentale éphéméride des musiques françaises (pour rappel, il s’agit de faire une critique par jour pendant un an d’un disque français passé ou présent) qui se terminera normalement le 31 décembre de cette année, Patrice Mancino est aussi et avant tout le patron du label QuixoteMusic.  Sur la page du label, l’inscription suivante « the – roots – of – all – music – come – from – underground« , autant slogan que programme ou constatation, qui condamne peut-être le label à demeurer indéfiniment (et par nature ou vocation) dans l’ombre. Label transgenre (mais couillu et sonique), éclectique et sans frontières, QuixoteMusic a poussé, soutenu, découvert ces dix dernières années des groupes importants et atypiques dont a pu évoquer l’activité ici même à plusieurs reprises. 10 ans de combat underground, de soirées batcaves, de charmantes découvertes et de bouts de ficelle : c’était l’occasion de rencontrer très officiellement Patrice Mancino pour un tour d’horizon. Viabilité des micro labels ? Concurrence ? Avenir du disque ? Coups de cœur ? La routine des passionnés….

Photo : Alexandra Lebon.

Comment est-ce qu’on se retrouve à monter un label ? Ca consiste en quoi ? Pour Quixote, quel a été le premier disque que tu as sorti ?

C’est avant tout une passion pour la musique bien entendu. Personnellement, j’ai bien essayé d’en jouer et de chanter à un moment de mes études mais la libération des ondes et les radios FM ont marqué mon parcours au point de finir par en monter une avec d’autres étudiants… et, pour la faire courte, de fil en aiguilles, d’interviews en écoutes de démos, on venait me demander des conseils, des coups de mains et je me suis retrouvé pris jusqu’au coude et jusqu’au cou… une envie d’aider au développement et à la circulation d’artistes loin des courants mainstream. Après, je ne considère plus vraiment Quixote R.P.M. comme un label en tant que tel mais plus comme une structure d’accompagnement apportant les briques de Lego qu’il manque à la définition du profil d’un groupe et à sa capacité à aller chaque jour un peu plus loin que la veille…

Du coup, le premier disque sorti était Spleen vs Ideal. Une belle expérience dans tous les sens du terme… Jetés direct dans le bain, on a fait plein de belles choses avec un disque qui, bien entendu,,ne plaisait pas à tout le monde… Mais se retrouver avec entre les mains un disque mixé par Billy Anderson, membre éminent de la galaxie Mike Patton, aller jouer à Belfort en ouverture de Melt Banana ou à Bruxelles en faisant celle de Sleepy Time Gorilla Museum, sans parler de Qui avec David Yow ou The Locust… Beaucoup de portes prises dans les dents mais au final on ne retient que les bons moments et ce qu’on apprend pour avancer et pour ne pas reproduire certaines erreurs.

Est-ce que tu as un label modèle en référence à l’époque ? Un patron de label que tu veux imiter ? Une histoire à rattraper ? 

Non pas vraiment. Parce que de toute façon, de l’extérieur, tout semble beaucoup plus facile et la multitude de choses qui entrent dans l’équation fait qu’il est difficile de prendre exemple. Comment pourrais-je imiter deux gars qui se lancent dans des compilations de cassettes dans la région de Seattle pour finir par signer une ribambelle de groupes qui vont marquer les années 90 et au-delà ? Comment me comparer à un ado qui se lance dans l’aventure au bon moment et au bon endroit et se retrouve à travailler avec toute la scène renno-nantaise et au-delà… de Katerine aux Little Rabbits en passant par Married Monk, Lighthouse, ou Welcome to Julian…?

Après, attention, il n’y a pas non plus de bon moment et bon endroit, c’est une notion plus rétrospective parce qu’avant tout ce sont des relations qui se tissent, des énergies et des envies communes de faire avancer un projet… et qui lui font franchir des étapes vers plus de notoriété et de reconnaissance… il n’y pas tant que ça de part de chance ou d’histoire toute tracée.

A l’époque, tu rêves de quoi ? Pour le label, pour toi, pour tes artistes ? Est-ce qu’il y a de l’ambition ? Un peu d’angélisme ? Un dessein sur plusieurs années ?

Non pas vraiment. J’imagine que ce qu’Eric Sourice des Thugs me disait un jour en interview s’applique très bien à Quixotemusic… Il racontait comment chaque nouvelle étape qui les avait amenés chaque fois un peu plus loin d’Angers était un accomplissement autant qu’une surprise et donc autant une source d’émerveillement que de motivation… premier concert loin d’Angers, rencontre avec des labels de plus en plus gros, traverser l’Atlantique, etc… aujourd’hui Quixotemusic a dix ans… ce n’est pas Born Bad mais c’est dix ans quand même.

Après dix années, quel bilan tu tires de cette aventure ? Qu’est-ce qui te rend le plus fier et à l’inverse est-ce que tu as un regret ?

… que ça m’a coûté énormément d’argent dont je ne reverrai jamais la couleur, que j’ai pris de grosses torgnoles, piqué de belle colère contre l’immobilisme de certains et la culture de suivisme d’autres… que j’ai souvent été pris pour un imbécile mais que la suite de événements a souvent montré qui de l’artiste ou de moi avait raison… mais aucun regret, ni remords, puisque que chaque décision s’est faite en conscience. Ça s’appelle assumer, un terme légèrement galvaudé mais qui a son sens.
… alors tout ceci peut sembler noir, mais ça ne l’est pas parce que ce sont les composantes-mêmes de toute passion dévorante.

Quels sont les 3 disques que tu chéris le plus dans ta production ?

Ah ah ah, houlà question piège ! … à laquelle je répondrai ceci : dès lors que je commence à travailler avec un artiste c’est parce que j’y crois et je m’investis dans l’aventure… et donc quelque part, surtout au regard des différents styles au catalogue, les 3 que je chéris sont les 3 prochains… ça voudra dire que l’aventure continue et que je ne suis pas encore trop cynique ou désabusé par l’état dans lequel est le milieu de la musique et qu’il reste de la place pour ceux qui font ça avec passion et militantisme.

La ligne de QuixoteMusic n’est pas si facile à lire que cela. C’est une ligne de plaisir où on trouve du rock, du shoegaze, du hip hop, des musiques expérimentales. Cette diversité est un atout, un credo ou une petite faiblesse marketing ?  

Cette diversité émane surtout du fait que ce soit des histoires de rencontres et que mes nombreuses années de programmation et de recrutements de bénévoles pour Graf’Hit font qu’il n’y a que peu de styles de musique auxquels je ne sois pas sensible… après il faut que l’humain fonctionne et c’est ce qui parfois met fin à des histoires…
Je ne sais pas si je peux considérer la diversité comme un atout. Ce serait effectivement parfois plutôt un handicap… mais c’est dans mon ADN au propre comme au figuré… je ne peux pas imaginer un monde fait de boîtes hermétiquement séparées… les meilleurs artistes et musiciens le savent d’ailleurs très bien… c’est en décloisonnant qu’on obtient les choses les plus intéressantes. Le genre d’audaces que l’on aimerait voir plus souvent à un autre niveau que simplement la musique.

J’ai le sentiment que Quixote est autant l’histoire d’un label qu’une histoire personnelle ? Tu es seul aux commandes ? Est-ce que de temps en temps tu aimerais avoir du renfort ?

Ah ça c’est sûr, un peu de renforts ne serait pas inutile mais à l’heure où 1 euro investi représente 1.000 streams… c’est un peu difficile d’imaginer ce genre de pas en avant. Pour l’instant c’est, retroussage de manches, DIY, et travail de terrain pour ouvrir le plus de portes possibles et chercher à déclencher un cercle vertueux qui apportera plus d’eau au moulin… Et même temps, je ne suis pas tout seul, l’idée est tout de même que ce soit un travail d’équipe… d’un côté que serait n’importe quel label sans l’artiste et de l’autre ça ne m’intéresse pas de bosser avec des gens qui attendent que ça leur tombe tout cuit et qui se trouveraient tellement extraordinaires qu’ils s’offusqueraient de ce que le monde entier ne reconnaissent pas leur talent, comme ça, juste parce que leur musique est en ligne… aujourd’hui plus qu’avant, des milliers de titres sortent chaque semaine… il est donc encore plus compliqué d’émerger dans cet océan de musique…

Le milieu des micro labels est finalement très éclaté. Est-ce que tu as des contacts avec d’autres patrons de label ? Il n’y a pas une association « des labels qui rament, font du bon boulot et survivent par passion » ?

Non pas tant que ça, pour ce qui est des contacts, mais je suis toujours à l’affût de ce qui sort, d’autant plus avec cette petite folie d’éphéméride 2017… french-o-rama.
Mais en soi, on est tellement à faire ça par passion, en marge d’un travail, et avec tout ce que demande une sortie de disque, j’imagine qu’on est tous toujours un peu la tête dans le guidon… il y a des échanges de plans de fabrication, de contacts promo ou concert, ici ou là, mais en soi, il y a des choses comme CD1D et les fédérations locales de labels mais en soi… la politique culturelle française en termes de musiques actuelles nie ce travail de défrichage… je l’ai connu avec ma radio associative… le travail de proximité est ignoré au profit de gros indépendants ou de figures de proue qui se nourrissent du travail de ces mêmes micro acteurs et en tirent les bénéfices… avec ou sans subventions… mais qui bénéficient d’une aura soit disante plus professionnelle… alors qu’on est certainement beaucoup plus professionnel que nombre d’entre eux… juste beaucoup moins riches, aidés et certainement beaucoup moins représentés…

Comment imagines-tu le label dans 10 ans ? Comment le marché va évoluer selon toi ? Le climat est chargé, non ? Les ventes s’écroulent. Les possibilités de faire tourner des artistes en les rémunérant correctement diminuent comme peau de chagrin. Tu risques de finir comme un département de La Souterraine ou en dealer de mp3 à 0,12 centimes sur amazon?

Dans dix ans ? Aucune idée. Difficile de se projeter d’une année sur l’autre parfois. Mais pour ce qui est de l’évolution du marché… le pire est à craindre pour les défricheurs et les mineurs de fond… quand je disais un euro investi demande 1.000 streamings c’est une moyenne dégrossie, mais quand enregistrer, mastériser, promouvoir, presser 300 exemplaires physiques… coûte pour chacun entre 1.000 et 3.000 euros… ça veut dire au bas mot 3.000.000 de streams pour un disque… autant dire qu’à ce taux-là de reversement de la part de plate-formes ou de fournisseurs de contenu qui de leur côté vendent des abonnements illimités à 10 euros ou de la fibre … pour une matière première sur laquelle ils ont construit un modèle économique plus stable que le nôtre sans pour autant rendre la monnaie de leur pièce à des artistes (musique, cinéma, …) sans qui ils ne pourraient même pas exister… une belle pyramide de Ponzi.

Donc oui le climat est chargé, c’est Venise face à la mer… c’est une structure dont ceux qui sont au sommet oublient un peu vite que sans les étages du bas ils perdraient de l’altitude et qu’à trop tirer sur la corde ils tuent les fondations-même de ce qui font qu’ils sont là où ils sont, puisque le plus souvent le développement ne les intéresse pas, car trop couteux (rires)… mais bon, il y a une parade à cela… et c’est eux qui la fournissent en quelque sorte… ça s’appelle l’offre et la demande… et comme en politique, si la base se met à boycotter, à privilégier les circuits courts, à aller voir des concerts pas chers pour des artistes à découvrir avant tout le monde, achat direct hors des grandes enseignes,… une belle utopie certes, mais eh ! Don Quixote hein !

Pour la Souterraine, ils se considèrent et apparaissent plus comme un agrégateur, une plate-forme de découverte et de mise en avant, c’est autre chose. Pour les mp3 à 12 cents no comment sur l’omnipotence de plate-forme à qui tu présentes un titre en disant vouloir le vendre à 99 cents et qui décident unilatéralement de le vendre à 55 cents, tout en gardant leur marge et en te laissant ce qu’il en reste… mais ça montre une chose : c’est qu’ils n’arrivent pas à vendre à plus cher peut-être… mais est-ce que ce devrait être à l’artiste ou son (micro ou pas) label d’en payer les frais ?…

Tu réunis pour la soirée du 21 novembre un plateau d’exception avec notamment le Jon Spencer Blues de Guingamp, The Craftmen Club, Traditional Monsters et Captain Americano que je ne connais pas, j’avoue. C’est sympa ces goûters d’anniversaire. Tu es fier de pouvoir organiser ces soirées ?

Dix ans ça se fête ! L’idée est d’en faire une fête en mode Quixotemusic and friends. Avant et depuis les débuts de l’aventure Quixote R.P.M., mes activités radio m’ont amené à rencontrer des groupes que j’adore. Les Craftmen, c’est un camarade de radio de Mutine à Brest qui m’avait fait écouter et j’avais accroché direct. La version live de french-o-rama vers 2005 avait été l’occasion de faire un plateau de showcases professionnels au Nouveau Casino où ils avaient jouer avec les Sukoi Fever dont je sors le nouveau disque… je serais superstitieux, je serais encore plus content. Les Traditional Monsters, je suis tombé amoureux au premier concert que j’ai vu d’eux, à la Féline, et les Captain Americano c’est le forum de la Jimi qui m’a permis de les rencontrer… donc fier oui aussi de pouvoir leur offrir l’occasion de jouer dans une aussi belle salle que le Petit Bain… après le Divan du Monde en juin… c’est beau, ce sera une chouette soirée… faut viendre nombreux.

C’est bientôt Noël. Dis-nous deux mots sur les 3 derniers disques sortis sur le label. A qui on peut les offrir. Et aussi deux mots sur les 2 ou 3 prochains si tu les connais déjà.

Alors ma stratégie, si l’on peut dire, est empruntée un peu à ce que font les anglais depuis longtemps… sortir des formats courts, mais en digital, régulièrement, pour les réunir ensuite sous un format physique en forme de coffret… j’évite les étiquettes 45t, EP, compilation, album, qui, sauf exception, n’ont plus trop de prise avec la réalité des choses aujourd’hui… donc il y a beaucoup de digital à disposition… et une opération éclaire façon Soldes de Noël en perspective… sur la boutique Wiseband et le Bandcamp… Après, en physique, les trois derniers en date sont le premier album art-rock de Traditional Monsters (vinyle/digital), le 4e album garage soul des Orléanais de Sukoï Fever (vinyle / digisleeve /digital) et la réédition du premier album de notre Elliot Smith/Jim O’Rourke local, Stéphane Garry aka Pokett, en double vinyle gatefold.

Ce sont de supers disques exigeants et accessibles, qui feraient donc de parfaits cadeaux à toute une gamme de mélomanes… Et pour ce qui est à venir, le jour de la 2e soirée anniversaire sortira la première partie de ce que les Captain Americano avaient dans leur besace et qui n’avait pas encore pu sortir… la 2e partie étant prévue au printemps 2018. Il y aura aussi une nouvelle série de titres du britannico-néo-zélandais Scalper… avec deux superbes clips à venir… j’adore l’univers dark downtempo hip hop et ce qui arrive est aussi bon que ce à quoi il nous a habitué jusqu’ici… et puis sans trop m’avancer, peut-être une réédition de deux délicieux albums pop.. mais c’est largement trop tôt pour en parler… et bien sûr 1=0 qui poursuit sur son rythme habituel devrait nous gratifier d’une nouvelle série de titres début 2018.

C’est la question 11 pour dire qu’il y aura une 11ème année. C’est quoi ton meilleur meilleur souvenir avec Quixote ?  

J’ai pour coutume de dire que les meilleurs souvenirs sont ceux à venir, avec l’envie de faire toujours mieux, ils ne peuvent qu’être meilleurs que les précédents… qui sont nombreux… mais il y en a un récurrent… ce sont les petites étincelles qui habitent le regard du groupe quand il déballe son premier exemplaire vinyle ou digipack… comme sous le sapin à Noël… un bonheur à chaque fois….

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