Dix-huit ans depuis The Upper Cuts et pourtant, c’est une éternité d’insouciance semblant espacer la sortie de cette météore de sa réédition chez Smugglers Way. Composée de plusieurs morceaux dont certains des thèmes les plus majeurs de la french touch, produits pour la majorité entre l’année 1997 et 2013, cette compilation est peut-être la mieux à même de désigner ce que fût la french touch dans son essence.
L’équipée parisienne gravitant autour des Daft Punk a toujours fait preuve d’un dilettantisme confinant à l’acte manqué, concernant l’élaboration et la distribution de leurs albums. Une volonté de se saborder avant l’explosion populaire? de côtoyer les étoiles tout en gardant une aura intacte? de ne pas se voir récupéré par le système? ou… tout ça et ses contraires à la fois? À vrai dire, même un psychanalyste ne pourra répondre, mais cette compilation montre à quel point plusieurs embryons d’albums, de projets de groupes (le braquage de Stardust, la tentative rock de The Paradise) et de hits se sont évanouis à travers les années. L’unique morceau de Stardust en est la preuve, véritable hit générationnel laissé pourtant en déshérence pendant deux décennies, hors d’accès des plateformes. Cela faisait longtemps qu’une confection aussi géniale n’avait rencontré un tel attrait populaire. C’est de ces morceaux émanant non pas du génie de ses auteurs en soi, mais de celui de leur fabrication hâtive rencontrant un alignement d’étoiles des plus improbables. Cette compilation est aussi la preuve d’un véritable esprit d’équipe unissant le mouvement : Alan Braxe, pierre angulaire de la compilation, le fidèle compère Fred Falke dont le nom apparait à quasi égalité, Thomas Bangalter, Benjamin Diamond, Romuald… Voilà les quelques figures majeures du mouvement que l’on retrouve ici.
After Daft
On se revoit rajeuni de vingt ans dans le brasier de l’été, à dévaler les rues mouchetées de jaune soleil et du bleu de la Riviera : Bormes, Cannes. Puis l’Espagne ; puis New York. Il est peut-être ici, le son caractéristique de la french touch, celui qu’on associe par réflexe trop hâtivement aux Daft. Cette signature sonore de cette compilation se présente à la fois comme une genèse et un héritage au célèbre duo robotique, mais dont ils ne pourraient se targuer d’être les propriétaires exclusifs. Sur le mythique (car figurant sur de nombreuses compilations du label Hed Kandi) Intro, on se voit enveloppé par des voix de sirènes (chapardées au Crush On You de The Jets) plus hypnotiques les unes que les autres. Le soleil est bon, il fait mûrir les poitrines sur le sable. On a envie de fondre comme un glaçon au fond de leurs verres, de se réincarner en paille. Il y a quelque chose d’infailliblement groovy, d’infiniment apaisant dans ces titres.
Pour autant, on reconnait chez Braxe et Falke la paresse des brillants esprits. C’est peu ou prou un trait caractéristique qui aura traversé beaucoup des acteurs de la french touch. Le morceau plus rock et planant de The Paradise montre, comme tant d’autres morceaux plus secondaires, des schémas de boucles répétées à outrance (c’est l’époque de l’échantillonnage tous azimuts, de la pèche à l’arpège et au gimmick puissants) ; et l’endorphine générée par ce son si moelleux ne suffit plus à masquer cela. C’est un peu comme contempler un paysage de carte postale ; c’est idyllique, mais un peu vain à la longue. Par contre, de presque tous les morceaux ressort la captation d’un moment gracile. Qu’on ait vécu dans sa chair ces divers moments (le millénarisme exalté et technologique autour du passage à l’an 2000) ou non, et si oui, de proche (les grandes fêtes parisiennes, le faste de la jet set de ses années) ou de loin, on a l’impression de se balader dans des souvenirs ; peut-être les nôtres, mais assurément les leurs d’abord. En tout cas, elle se donnera en legs, rendant alors possible la prochaine vague (plus tant vraiment) french touch qui lui succèdera, avec des artistes comme Breakbot et Paul Prier en France, The Magician, Jafunk et tant d’autres ailleurs. The Upper Cuts rappellera aux plus fainéants compositeurs contemporains reproduisant ad nauseam les mêmes formules pop que la french touch constitue à ce jour une des dernières tentatives inventives en musique de faire du neuf avec du vieux avec des bouts de ficelle, celle-ci ayant pillé le funk 70’s et la pop FM 80’s en la faisant autre par force d’astucieux bricolage.
Funktastike
C’est la musique des étés sans nuage ni débordement. Penthouse Serenade offre des visions de cités rutilantes, comme un Monaco à la fois rustique et d’un futurisme bienveillant d’où émaneraient des cascades du plus haut niveau vers le bas de la baie. Arena (qui nous rappelle l’affection qu’a Falke pour le rétrojeu vidéo) ou Chrystal City comportent ce son granuleux et adorablement tacheté, perfectible, caractéristique de la french touch, et qui aura préparé le terrain retrowave des Mitch Murder et FM-83 à venir. On regrettera des remix n’ayant pas la même puissance que ceux du second volume The Upper Cuts, ressorti en 2016 chez Fidelity Records : Braxe rhabille le culte At Night avec la robe de Donna Summer ; le remix de Britney Spears, quant à lui, s’oublie rapidement. Annie, pour laquelle Braxe avait composé un remix il y a des années, nous refait une excellente impression sur le superbe Never Coming Back, morceau exclusif et, nous présumons, très récent, nous rappelant l’effet que faisaient Thérèse, l’actuelle Alison Goldfrapp ou les sœurs Kylie et Danii Minogue quand elles nous susurraient des mots doux. L’incroyable One More Chance, de même que Voices, morceaux sortis en 2013, bénéficient d’un réarrangement merveilleux. Les remix peuvent donner des miracle ; oui. Les morceaux sont tous sourires adressés à l’horizon, comme une main tendue émanant du soleil couchant.
C’est tout comme si la musique, défiant temps et géographie, nous faisant vivre par procuration les souvenirs de leurs auteurs, la frénésie d’une époque relativement plus confiante en l’avenir. Sur l’addictive Rubicon, très influencée par la pop très Miami Vice comme Kajagoogoo ou le funk des The Sister Sledge et de The Pointer Sisters, on cavale dans la cité des anges. On a ce sentiment de quiétude, mais aussi cette pointe d’inquiétude que tout cela ne soit qu’un beau rêve menacé par le mot « fin ». On part, on se donne au monde, on s’abandonne aux mains du hasard, caressé par le vent, l’euphorie nous montant au ventre. The Upper Cuts doit à la fois s’entendre comme le testament de toutes les œuvres avortées, et un manifeste enfin physique faisant preuve de leur autorité sur la house de l’époque. L’aventure suit toujours son cours, Falke perpétuant son récent duo Ampersounds avec Zen Freeman et Braxe, de son côté, ayant accouché d’un EP sympathique, trop référencé peut-être, avec son cousin DJ Falcon (Braxe + Falcon) et ayant produit un autre plus intéressant pour le chanteur Lynda. On espère qu’une chose : la voir se redorer de nouveau, s’intensifier encore.
02. The Paradise – In Love With You
03. Stardust – Music Sounds Better With You (Radio Edit)
04. Alan Braxe & Fred Falke – Intro
05. Shakedown – At Night (Alan Braxe Remix)
06. Alan Braxe & Fred Falke – Love Lost
07. Alan Braxe & Fred Falke – Palladium
08. Alan Braxe & Fred Falke – Arena
09. Alan Braxe & Fred Falke – Rubicon
10. Alan Braxe & Fred Falke – Penthouse Serenade
11. Alan Braxe & Fred Falke – Chrystal City
12. Alan Braxe – Voices
13. Britney Spears – Anticipating (Alan Braxe Remix)
14. Alan Braxe – One More Chance (ft. The Spimes) (Redux)
15. Alan Braxe – True Love
16. Alan Braxe – Never Coming Back (ft. Annie)
17. Alan Braxe & Fred Falke – You’ll Stay In My Heart (Instrumental)