Capture d’écran (de gauche à droite) : Eminem, Kendrick Lamar, Dr Dre, Mary J-Blige, 50 Cent (de dos) et Snoop Dogg
Le show concocté par Pepsi et Dr Dre pour animer la mi-temps du Superbowl réunissait rien moins que le gratin du rap des années… 90-2000, soit dans cet ordre Dr Dre, Snoop Dogg, 50 Cent, Mary J. Blige, Kendrick Lamar (le jeunot de la bande) et Eminem. Un casting cinq étoiles pour un show épatant, réglé au millimètre et qui allait régaler un public chauffé à blanc par la bonne mi-temps réalisée par ses protégés des Rams, vainqueurs au final et qui ont ainsi remporté leur deuxième victoire de l’histoire de la compétition.
Le show a été mangé par la décontraction et le flow hyper-fluide d’un Snoop Dogg qui n’est jamais meilleur que lorsqu’on l’attend, par l’aplomb et la grâce d’un Dr Dre, bien installé dans son rôle de parrain du rap West Coast, tandis que 50 Cent, un brin empâté tant physiquement que dans son flow bourbeux, et Kendrick Lamar évoluaient clairement un cran en dessous. Mary J. Blige assurait la touche féminine du show à coups de vocaux tonitruants, les « grandes voix » étant l’une des signatures quasi obligées de la cérémonie. Eminem, qui aurait mérité une meilleure place, se glissait dans la peau du type le plus menaçant pour un Lose Yourself remarquable et plus sombre qu’à l’ordinaire. Son genou à terre fera parler un peu, ce qui est toujours très bien pour la viralité du propos et du spectacle. Sur le plan musical, des arrangements, rien à redire, les quinze minutes passaient crème et offraient aux spectateurs et téléspectateurs un spectacle de haute volée et d’une belle densité.
Ce n’était évidemment pas la première fois que le Super Bowl faisait la part belle au rap, mais la réunion de ce All Stars d’un soir peut aisément être lue comme la reconnaissance officielle du genre, urbain et mal famé, comme une vraie « musique patrimoniale » américaine. Là encore, ce n’est pas en soi une révélation mais la confirmation selon laquelle après grosso modo trois grosses décennies le genre est devenu une musique adulte, acceptée pour ce qu’elle aura été et est encore aujourd’hui : une musique mêlant décontraction et conscience politique, une musique dérangeante, sexuelle et contestataire. Dr Dre est désormais âgé de 56 ans et est arrivé aux affaires au milieu des années 80. Snoop Dogg a fêté ses 50 ans en 2021et a sorti ses albums les plus importants durant la première moitié des années 90. Cela ne signifie en aucune façon que le ton s’est adouci, que le rap s’est assagi ou que ces types là sont devenus les Lionel Ritchie ou les Michel Sardou de notre temps. Ils n’ont rien gagné et ce qu’il chantait hier n’a pas perdu de son sens. La présence de ces chanteurs et immenses artistes (on généralise) à un tel degré d’exposition témoigne simplement de la longévité de cette musique, de sa pertinence rétroactive et de sa lente acceptation parmi les musiques qui ont fait l’Amérique. Le rap a naturellement vieilli et suit, en cela, le même chemin que le rock, le punk ou la soul.
En tant que tel, il n’y a rien à en dire. Cela ne fait que s’opposer à ceux qui envisageaient la chose comme un simple symptôme de classe (le malaise des banlieues, la colère des populations noires) et une manifestation aussi anecdotique que la tektonik vouée à disparaître comme un vulgaire phénomène de mode. Le rap existe, vieillit et les artistes qui en ont été les grands artisans dans le passé continuent de produire, parfois avec beaucoup de savoir-faire (c’est le cas de Snoop Dogg et d’Eminem), même si, comme tous les autres chanteurs avant eux, ils sont meilleurs jeunes qu’adultes. Le rap prend des rides, du bide mais est encore à la recherche d’une expression véritablement artistique de cette maturité. Le show du Super Bowl n’était rien moins qu’un medley de vieux morceaux, connus de tous, et faciles à entonner. On attend dans les prochaines années le premier album consistant et novateur d’un rappeur adulte qui propulsera le genre au rang des musiques qui vont aussi bien aux blancs-becs qu’aux vieillards. Non, le rap n’est pas un truc de vieux… pas encore. C’est tout ce qu’on peut lui souhaiter.
Le show est à voir en intégralité ici.
Au Super Bowl, les time lapse incroyables du montage de la scène pic.twitter.com/Irl101ZV1w
— Le HuffPost (@LeHuffPost) February 14, 2022
Il y avait quelque chose de presque embarrassant car c’est à ma connaissance le premier show live hip hop jouant ouvertement sur le rétro avec ce décor et ces bagnoles échappés de GTA San Andreas. Et même si c’était pas caritatif le moment avait quelque chose de ce qu’étaient le Live Aid ou le Princes Trust, moments de l’institutionnalisation des rockers. On est loin de ce que racontait (mal) le biopic NTM qui faisait du hip hop la reprise du flambeau du punk.
Tout à fait d’accord mais je trouve cela plutôt sain que le rap qui est encore un genre jeune mais un genre qui vieillit s’institutionnalise. C’est un signe de longévité que les rappeurs grandissent et d’une certaine façon accèdent ainsi à une sorte de valeur patrimoniale. Evidemment, ça n’est pas très punk… mais les punks ont connu un mouvement vaguement semblable…quand les groupes originaux ne se sabordaient pas.
A la différence près avec le rock que le rap a cherché très vite cette institutionnalisation. Le but de l’imagerie bling des années 1990, initiée notamment par P Diddy producteur, était de ne plus effrayer le public blanc et de plutôt lui vendre du rêve. Faut se souvenir qu’avant de devenir ce que l’on sait Trump était une icône pour beaucoup de rappers de l’époque. A la limite le biopic NTM se trompe peut être: le moment rebelle du rap (Public Enemy, NWA) fut bien plus bref que celui du rock, 4-5 ans à tout casser. L’embourgeoisement était sans doute la destination naturelle de ce courant musical et Jay Z apparut aux côtés d’Obama tel Sardou aux côtés de Tonton en 1981 ou Johnny aux côtés de Sarko (avec Doc Gynéco!). Pour cette raison, je ne crois pas trop à l’idée avancée par une certaine critique hipster d’underground rap.
Et en France? Le poids du rap aux Victoires de la musique ne reflète pas son leadership sur les ventes (Jul a pris la place de Booba comme nouveau gros vendeur à la Johnny/Sardou) tandis que la grille de lecture des rappers actuels « médiatiquement corrects » est indexée sur l’ancienne culture dominante d’un pays qui n’a jamais eu de culture rock : la variété. Il a fallu des études de ses textes pour légitimer Booba, Orelsan est célébré comme le chroniqueur du prolétariat français blanc.. A l’inverse, Jul, trop peu « cool », trop marseillais est snobé par la place critique de Paris et les grands médias. Et en dépit de la déclaration de flamme de Marion Maréchal à Youssoupha, en dépit de la citation de Basique d’Orelsan par certains politiques, on est encore loin du moment où Macron, Zemmour et MLP feraient de la joute verbale à coup de Booba (à l’exemple pour le rock de ce débat de la Chambre des Communes où majorité et opposition se taclaient en citant les Smiths).