The Prodigy / No Tourists
[Take Me To The Hospital / BMG]

7.8 Note de l'auteur
7.8

The Prodigy - The TouristsIl y a plus de vingt ans des dizaines de milliers de jeunes se rassemblaient dans des champs pour danser comme des tarés sur des musiques électro répétitives, avant que le gouvernement britannique (John Major) ne décide de criminaliser le mouvement, perçu comme le plus sérieux danger social exposant la jeunesse de son temps. Contraints de rentrer dans le rang, quelques groupes issus de cette scène alternative et punk ont envahi le mainstream, le plus célèbre et notable d’entre eux étant un trio composé d’un producteur musicien Liam Howlett et de deux danseurs/chanteurs/MC Keith Flint, le punk aux cheveux verts, et Maxim Reality. En signant des tubes immenses (nous sommes en 1994) comme Firestarter, Breathe ou plus tard Smack My Bitch Up, les Prodigy ont été, avec Orbital, l’un des rares groupes à survivre brillamment à la fin d’une époque.

Racontée ainsi, l’histoire de Prodigy ressemble à un conte de fée un peu triste et vaguement révolutionnaire dont on imagine qu’à la fin les protagonistes se sont endormis ou embourgeoisés après avoir organisé la conquête du royaume. Sauf que Prodigy est resté droit dans ses Docs et n’a jamais eu, ne serait-ce que la moindre idée, de domestiquer son son ou de le dénaturer. L’engagement musical du groupe est compté et le trio (recomposé) n’a jamais cédé à la surproduction. Après un The Day Is My Enemy tout à fait correct, sorti il y a trois ans, Prodigy vient rappeler avec cet incandescent No Tourists qu’il n’est pas un groupe de compromis. Ce septième album est un album qui se joue en mode accéléré, partout et tout le temps, un album qui crache et fonce droit devant. C’est à la fois fatiguant quand on a pas dansé ou secoué la tête depuis longtemps mais réjouissant de s’abrutir ici en dégringolant les bangers et les nappes d’infrabasses.

Need Some1 donne le ton à l’ouverture, comme sorti tout droit d’une plaine de l’Essex au début des années 90. Light Up The Sky sonne comme du Prodigy de cour d’école : des synthés azimutés, des paroles brèves et criées à l’arrière-plan tandis que des beats sont propulsées à toute allure et rebondissent dans les coins. La formule peut paraître un peu datée mais elle fonctionne toujours comme au premier jour à l’image du chouette enchaînement entre We Live Forever, morceau remarquable et cauchemardesque, et No Tourists, l’un des morceaux de bravoure du disque. La rythmique de la chanson titre est incroyablement efficace, tandis que Flint, à l’arrière-plan, reprend en boucle un « No Tourists, no sights to see » moins idiot qu’il en a l’air. Cette figure du touriste roi est évidemment l’image clé ici, renvoyant la concurrence, les hommes politiques ou plus largement les gens engagés dans l’économie à un statut de butineurs de misère, de profiteurs et de parasites, au détriment des vraies gens et des indigènes. Cette musique n’a jamais eu besoin de grand-chose pour suggérer la rébellion et  appeler à l’étincelle qui mettrait le feu aux poudres. Avec le temps, le groupe a durci son message. La colère est moins apparente que jadis mais le sentiment d’angoisse et de menace qui émane de la musique de Prodigy a grandi. Le son est compacté, dense, presque anxiogène parfois mais d’une puissance qui, déchaînée sur scène, devrait être irrésistible. Prodigy est une machine de guerre, intacte dans sa capacité à frapper et à cracher le feu. Le renfort d’Ho9909 sur Fight Fire With Fire vient ajouter au sentiment de dérangement et de folie (indus ici) qui guette, tandis que l’énorme ligne de synthé de Timebomb Zone se reçoit comme un uppercut au menton.

Pas de quartier : c’est ce que semble indiquer le groupe en s’enfonçant plus avant dans un déluge étourdissant. Give Me A Signal mêle des basses ronflantes et des guitares démontées pour un résultat tout simplement terrifiant, mais un peu laid tout de même. On peut s’amuser à monter le son à fond sur Champions of London, notre morceau préféré du disque, furie drum n bass comme on n’en avait pas entendu depuis des lustres, et qui ne mène nulle part ailleurs que dans un gros mur (de son) fatal. Keith Flint est, sur cette séquence, à son meilleur : punk et en rogne dans son incarnation de la classe populaire. « Watch the rythm like a champion done/ Bassline drama, cuts through your armour/ Dobson to Brixton, the friction/ Bassline drama, cuts through your armour. »  Dans un genre pas si éloigné, Boom Boom Tap traduit l’esprit du moment : sombre et quasi suicidaire ou plus sûrement kamikaze. Il n’y a pas grand-chose à sauver et pas grand monde à épargner. L’insurrection ne viendra pas malgré la dernière tentative représentée par le quasi carnavalesque Resonate. « Tear down the place and break them chain/ Resonate and break the chain. » Il n’y a plus grand monde pour y croire, le plus important étant sans doute de perdre la tête en faisant semblant.

Il y a toujours eu dans l’esprit rave une sorte de transformation d’un désespoir manifeste en espoir intérieur, l’idée qu’absorber le monde, aussi pourri qu’il soit, à l’intérieur de soi permettrait de le transformer en s’illuminant de l’intérieur. C’est à cette idée originelle que les Prodigy n’ont jamais renoncé. Plus ils tapent fort et moins ils sonnent creux.

Tracklist
01. Need Some1
02. Light Up The Sky
03. We Live Forever
04. No Tourists
05. Fight Fire With Fire (feat Ho9909)
06. Timebomb Zone
07. Champions of London
08. Boom Boom Tap
09. Resonate
10. Give Me A Signal (feat Barns Courtney)
Ecouter The Prodigy - No Tourists

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