La note bleue, voilà ce que le producteur LaBlue et la chanteuse Astrønne, inconnus au bataillon, arrivent aisément à atteindre avec cet EP. Blue Phases est le fruit de la rencontre d’une voix et d’une musique, toutes deux aussi néophytes que la couleur de leur musique. Un (gentil) bizutage peut s’envisager.
Blue is the nu jazz. Les sonorités hip hop vieille école croisée avec la technologie numérique du beatmaker confèrent cette atmosphère planante et décontractée dont seule cette musique est capable. Les notes dubisantes vibrent ; la voix attise un feu nous enveloppant dans une couette de chaleur. Keep It Smouth et Home sont de la même trempe, doucereuses mais classes. Les accords de piano feignent le lambinage ; les notes électroniques pétillent. On est paré : le tempo hip hop est posé, confiant en lui. Les mêmes ressorts sont utilisés, mais c’est suave, très suave, cela s’écoute sans fin. C’est la musique de bars des palaces, cet univers noctambule implanté par les films noirs dans notre imaginaire collectif, où les femmes croisent leurs jambes effilées sur des sofas capitonnés, et où les hommes d’affaires en smoking solitaires mirent la chanteuse de jazz dans une semi-pénombre.
50 nuances de blue
On s’étonnera que la voix engageante d’Astrønne use de ritournelles similaires dans les deux derniers titres évoqués, alors même que le piano de LaBlue retombe parfois, lui aussi, dans des automatismes. Ces deux artistes ne forment pas un tandem, et pourtant, ils n’ont pu s’empêcher de tomber dans un certain mimétisme. Nous aimerions pour la prochaine fois que mélodies et voix s’entrouvent à autre chose. Que LaBlue déflore d’autres sentiers musicaux, et cela non forcément en changeant de genres musicaux, bien qu’il soit amplement envisageable de le voir produire des miracles en investissant le trip hop ou l’ambiant. Cela n’empêche aucunement le duo d’offrir aux aficionados de jazz une musique certes, déjà entendue, mais bien huilée.
La première minute de Lost, morceau introductif, décuple différentes teintes de voix d’Astrønne, et cet effet nous renvoie encore cette fois un peu le récent album Mono de Shitao (l’envoûtant Gigantic Ruins), invitation à la langueur. La voix d’Astrønne, bien que d’une tessiture différente, nous rappelle, dans un équivalent blanc et plus rare peut-être – les belles voix noires soul ayant l’apanage de moins nous surprendre par leurs nombre et puissance – celle de la chanteuse Raphaëlle Portier des Timeless Keys. Nos souvenirs se reportent aussi sur Jessie Ware, en particulier sa période Devotion (2012) qui, musicalement, sonnait similairement.
Avec ces titres précédemment évoqués, nous aurions pu difficilement deviné l’origine de nos artistes, bien que le nom du label Roche Musique nous oriente. Les morceaux chantés en français nous suggèrent une réponse. L’exquis Femme du Crépuscule, balade nonchalante au flegme si français, nous ferait presque croire à un titre de L’Impératrice, ceux comportant cette pâte à la fois funky et somnolente. Qu’elles soient exprimées en anglais ou dans un français parfait (le français du groupe n’est pas celle que l’on pensait être, Astrønne étant britannique), les paroles sont simples comme le prescrit ce cocktail d’électro-R’n’b jazzy. Cette musique ouatée y est pleine de désinvolture nocturne, alors que Sous la pluie nous sert une ganache hip hop languide et méditative, grâce à un piano jouant en à-coups. Celle que l’on écoute un dimanche après-midi pluvieux, quelques petits bleus à l’âme, avachi à sa fenêtre.
Nous évoquions le fait que certains morceaux avaient des conduites souvent gémellaires. Cela ne signifie aucunement que les pistes sont indistinguables entre elles. À vrai dire, on ne peut pas vraiment leur en vouloir : le titre de l’album avait annoncé la couleur. Avec Blue Phases, nous sommes bien devant divers éclats d’un même coloris. On attend que LaBlue s’émancipe de son nom. Après ce premier EP, nous ne pouvons que souhaiter voir leur palette s’orner.
02. Keep It Smouth
03. Blue
04. Femme du Crépuscule
05. Sous la pluie
06. Home