Sorti pour la Saint-Valentin, dans une sorte de contre-programmation dont les studios Marvel ont maintenant le secret, Black Panther est en train de réaliser un joli carton dans les salles qui se traduit, dans le même mouvement, par des ventes exceptionnelles pour sa BO coordonnée et composée en grande partie par le rappeur star Kendrick Lamar.
Il faut le dire : on n’a jamais fait partie de ceux qui trouvaient le rappeur de Compton complètement génial même s’il faut admettre que son quatrième album DAMN, sorti en 2017, était un véritable tour de force. Le retrouver si tôt aux manettes d’une BO telle que celle de Black Panther est donc assez inattendu et peut sonner comme une prolongation inespérée de son travail de jeune artiste. Lamar a fêté ses 30 ans il y a quelques mois. Marvel Studios a révisé pour lui son modèle de composition en ne se contentant pas (voir Les Gardiens de la Galaxie) d’agréger des tubes déjà existants mais en passant commande de morceaux écrits spécialement pour l’occasion. Bien en a pris aux studios qui se paient ici une bonne occasion d’étendre encore l’univers super-héroïque en le prolongeant dans des morceaux in vivo que les rappeurs les plus célèbres (et noirs) de la galaxie américaine habitent, pour la plupart, à la 1ère personne.
L’originalité de la BO, sur laquelle Lamar a travaillé, nous dit-on, étroitement avec le réalisateur, repose sur sa capacité à faire écho directement au film et donc à en épouser l’idéologie pro-black (pour faire simple) : acteurs noirs, réalisateur noir, musique black et mise en scène d’une sorte de remake à l’affrontement (assez convenu finalement) des pro- et anti-violence. Black Panther le film est une réflexion très élégante et stylée sur l’indépendance, les guerres de libération et la notion de résistance (au coeur de l’ensemble des films des studios Marvel), comme si tout se résumait à cette question de la libération et de la lutte contre l’oppression et la sujétion. Lamar la joue moins politique que premier degré s’amusant d’emblée à respirer à travers le masque de la Panthère Noir. Son rap d’ouverture est limpide, puissant, revendiquant sa communion avec Tchalla sans aucune ambiguïté. La BO est dans le droit de fil de cette identification sans grande distance : élégante, prévisible mais extrêmement soignée à l’image du morceau-phare et guimauve royale All The Stars, interprété avec SZA et qui symbolise à merveille le style Lamar. Le morceau est bien écrit, produit avec une maîtrise totale et soyeux comme la meilleure étoffe. Le cahier des charges Marvel est respecté à la lettre : puissance, volupté, conscience de soi. L’érotisme est mêlé d’efficacité, proche finalement (malgré la complexité du travail d’enregistrement et la sophistication de la mise en son) de l’univers aseptisé et porno-soft (pour oreilles épilées) des années 80. On peut être ému aux larmes par cette précision comme rebuté par cet écrin travaillé et d’où rien ne dépasse que l’art du producteur.
Les compositions sont caractérisées par l’utilisation de beats et d’instruments « africains » qui font couleur locale à l’image de la vision alambiquée de l’Afrique à laquelle renvoie le film. High tech, peu réaliste, mais presque mythique, la possibilité qu’un Etat ait suivi le sentier de développement du Wakanda est très très improbable, et fait l’impasse sur tout ce qui ne relève pas de l’oppression extérieure, à savoir les déterminants politiques et culturels locaux. Certains morceaux sont excellents comme le Opps de Vince Staples et Yugen Blakrok ou le magnifique final offert par Kendrick Lamar et The Weeknd, Pray For Me, tandis que d’autres sont beaucoup moins surprenants et quasi soporifiques.On mettra en avant parmi les réussites le sublime Bloody Waters, porté par la sensibilité soul du toujours impeccable Anderson .Paak, et l’ultrarapide King’s Dead avec James Blake, au flow irrésistible et à la production perverse.
Dans les deux cas, Black Panther s’affranchit ici du cadre un peu strict et convenu dans lequel il évolue pour devenir autre chose que la simple illustration d’un film. Le vrai et unique reproche qu’on peut faire à cette excellente bande-son est qu’elle a le défaut de ses qualités : être assez proche esthétiquement de son sujet l’amène paradoxalement à manquer d’audace et à ne pas chercher à avoir une fonction autre qu’illustrative. Les meilleures BO sont celles qui, justement, poussent au delà de leur sujet, le trahissent suffisamment pour lui rendre justice et l’augmenter. Pas la peine de faire la fine bouche toutefois : cet essai de Kendrick Lamar est transformé haut la main et devrait amener Marvel à commander à l’avenir des oeuvres originales plutôt que de se contenter d’un jukebox à tubes. Pour le chef d’oeuvre du jeune génie américain, il faudra en revanche plutôt attendre le prochain album. Black Panther est prometteur mais est tout sauf une BO pionnière, un travail inspiré mais scolaire, brillant mais qui privilégie la bonne note à l’expression créative.
The Weeknd, Kendrick Lamar – Pray For Me
02. All The Stars – SZA & Kendrick Lamar
03. X – 2 Chainz & ScHoolboy Q & Saudi
04. The Ways – Khalid & Swae Lee
05. Opps – Vince Staples & Yugen Blakrok
06. I Am – Jorja Smith
07. Paramedic! – SOB X RBE
8. Bloody Waters – Ab-Soul & James Blake & Anderson .Paak
9. King’s Dead – Future & Jay Rock & James Blake & Kendrick Lamar
10. Redemption Interlude – Zacari
11. Redemption – Zacari & Babes Wodumo
12. Seasons – Mozzy & Reason & Sjava
13. Big Shot – Kendrick Lamar & Travis Scott
14. Pray For Me – Kendrick Lamar & The Weeknd