C’est l’un des disques les plus attendus de l’année hip-hop 2020 en français: les duettistes Al Tarba et Swift Guad promettent à leurs fans un album collaboratif depuis un paquet d’années, même si, évidemment, ces morceaux ne sont pas les premiers sur lesquels les deux hommes se retrouvent. Une mixtape impeccable, toujours disponible, reprend même leurs collaborations depuis l’année 2004, série en cours, signe que le chanteur et le beatmaker partagent bien plus qu’un goût commun pour la musique une amitié virile et artistique indéniable.
En guise de première mise en bouche, les deux hommes ont enfin mis en ligne un premier morceau, servi par un clip « aux grands moyens », magnifique et digne d’un film de cinéma. La réalisation est signée Pierre Daendliker et suit l’univers saturé en références cinématographiques des deux compères. Le texte de Swift Guad, pendant les quatre minutes et quelques du morceau, égrène pas moins de 90 références (possible qu’on en ait ratées quelques unes) à l’univers du cinéma et à des films qui ont bercé l’imaginaire des deux hommes entre les années 80 et aujourd’hui. Ce qui confine, tout de même, à un exercice de style ne nuit pas tant que ça au récit et à la volonté d’émouvoir. On s’amuse immanquablement à pointer les références et à réaliser qu’on partage le même terrain métaphorique que les deux hommes.
La mise en scène amusante tourne autour d’un Al Tarba hypnotisé par l’écran (petit) et qui, après avoir tapé dans son seau de pop-corn, s’anime sur le final. Swift Guad profite de la balade pour revenir sur le parcours heurté et en partie fantasmé des deux hommes, entre enfance à la dure et univers de lascars. Le Montreuillais et le Toulousain se ressemble généralement dans le « sens du danger » qui les entoure. Drogue, ultraviolence et insécurité planent sur une vie chamboulée (pour le meilleur) par la musique et l’émergence de collectifs hip-hop éloignés l’un l’autre de quasiment 1000 kilomètres. Qu’il s’agisse de la Droogz Brigade d’un côté ou du Narvalo City Show pour Swift Guad, la musique est envisagée comme un terrain d’expression, de liberté mais aussi d’amitié fraternelle. L’univers que suggère le beat délicat et illustratif d’Al Tarba (pas la plus spectaculaire de ses productions mais d’une simplicité et d’une justesse académiques qui font mouche) est un univers old school où la personnalité se construit au contact d’une culture, alternative, populaire et américaine, de salles obscures et de microsillons.
Au final, le titre résonne comme un bel hommage nostalgique à un hip-hop solidaire presque old school si on le compare aux productions mainstream du moment. Il y a une sérénité et une prise de distance dans ce morceau qui ne présume pas (on l’espère) des envolées et des flammes qui suivront. On ne doute pas que l’énergie du duo sera libérée à bon escient et de manière plus explosive sur d’autres plages. On sera là pour suivre cela, en janvier et février de l’an prochain.