La stratégie qui consiste à communiquer bien en amont des sorties d’album et ainsi à révéler quasiment la moitié des titres est à double tranchant. Elle permet évidemment d’attirer l’attention sur un album à venir et d’en vendre (comme une bande annonce de cinéma bien montée) les meilleurs morceaux. Mais elle risque (comme au cinéma toujours) de décevoir doublement l’auditeur qui s’aperçoit qu’il y avait tout dans la bande-annonce et que le film ne parlait pas forcément de… ça.
Ça, en l’occurrence, c’est le « retour de Tricky aux origines », le miroir aux alouettes d’un Tricky qui reviendrait à Maxinquaye, heureux et enfin débarrassé de sa dette fiscale, de ses multiples addictions, d’un Tricky berlinois ressourcé au contact de la Russie impériale, pionnier digital et ogre d’innovation. On avait nous-même teasé sur le retour de Martina Topley Bird… sur un titre, When We Die, d’assez loin le meilleur morceau de cet album. The Only Way est également une belle réussite. Et le reste alors ? Bah c’est justement là que le soufflé retombe un peu. Cela fait un bail que Tricky n’arrive plus à produire des albums homogènes, des albums qui séduisent du début à la fin, des albums qui ne font pas les montagnes russes entre l’exceptionnel et le médiocre. Ununiform ne fait pas exception. Cela démarre plutôt bien avec un Obia Intro qui pose le ton : sombre et gothique. Si Tricky est heureux, son univers est morbide. L’album ne cesse de revenir sur des thèmes mortuaires, quitte à ce qu’ils soient associés, dans une vision presque romantique, à l’amour éternel et à la renaissance. Same As It Ever Was est une sacrée surprise et introduit l’une des caractéristiques de Ununiform : la place donnée aux rappeurs russes. On ne sait pas trop à ce stade ce qu’il faut en penser mais le moins que l’on puisse dire c’est qu’on n’y est pas habitués. Comme la musique n’est pas folichonne (un machin un peu vulgaire) et le rap complètement exotique (l’accent, bon sang), on ne peut s’empêcher de se croire dans une parodie, attendant sagement que des escorts à gros nibards débarquent avec un plateau de vodka, de caviar et de coke. On peine ensuite à revenir en terrain connu. New Stole et Wait For Signal, très réussi, sont plus dans le ton. Les textes sont fragiles. Le premier morceau est orienté soul et fonctionne correctement. Le second est magnifique. Tricky retrouve sa fonction première de fauve, observant des femmes dans l’ombre. Wait for Signal avec Asia Argento est léger et délicat, pop et amoureux. Il a beau ne rien raconter, c’est la chanson la plus sensuelle de cet album et un titre qui fait monter la température.
L’interlude russe de It’s Your Day vient saboter l’effet produit, nous sortant encore une fois de l’émotion dans laquelle on avait été plongée. Blood of My Blood est atroce, une scie RnB sans originalité, ni fond. Mièvre et commun comme pas un, c’est le genre de morceaux qui vous fait regretter le Tricky vénéneux et terroriste des années 90. Musicalement, il y a de toute façon un problème ici. La production est à la limite du vulgaire parfois et souvent banale, sonnant comme une dance music un peu cheap et tapageuse. C’est le cas sur Dark Days qui est vraiment médiocre. La fulgurance de The Only Way n’y change rien. Le cœur d’album est indéfendable entre le ridicule Armor, quasiment insupportable, et la reprise/variation de Doll, une chanson de Hole, qui tombe comme un cheveu sur la soupe. On se demande à cet instant : mais où est-ce qu’il veut en venir ? Pas que le résultat soit indigne mais pourquoi est-ce que Tricky fait ça ? Qu’est-ce qu’on doit éprouver ? Qu’est-ce qu’on doit rechercher ?
Bang Boogie est plutôt cool pour un machin russe. C’est dub et ragga-moscovite et ça ne dure qu’un peu plus d’une minute. Et les gars ? Vous savez pas où j’ai mis mes notes sur l’album concept ? Quoi ? Tu t’en es servi de feuilles pour rouler ? – Attendez, j’ai encore deux morceaux à l’ancienne pour la fin. On va essayer de camoufler le truc ainsi. Running Wild, ça le fait bien. C’est digne et ça tient la route. Mais il n’y a aucun rapport avec le machin d’avant, non ? Aucun, putain, c’est ça qui est génial. Et puis on ferme avec When We Die. C’est une chanson belle à crever. Ils nous emmerderont pas trop tant qu’on l’a au programme. C’est impossible d’écrire mieux que ça. Impossible. Inattaquable. Une chanson qui change la vie, qui donne envie d’être amoureux et de mourir dans un accident de voiture. La plus belle chanson de Tricky depuis 15 ans. Oh, tu poussses. J’ai fait des trucs bien sur mes derniers albums. Mais pas aussi bien que celle-ci. Et mon titre bonus il est bien ? Il est pas bien mon titre bonus? Si. Justement. Il donne des regrets. Ca sonne comme du Tricky. C’est moi ! Je t’en ponds des comme ça à la douzaine quand tu veux. Et je les ferai fondre. A quoi bon ? Je l’ai déjà fait. Tu entends ce que je chante là-dessus : « This is the end. Every time she goes away. I feel like the rain. I feel the pain. Is this the end ? I fall apart. She goes away.» C’est beau non ? Le pire c’est que je le pense. Je vais, je viens. Je tombe en morceaux.Tiens, il y a une nouvelle nana canon qui voudrait chanter pour moi. Elle m’a appelé ce matin. Elle sait chanter ? Non, pourquoi ? Juste comme ça.
Ununiform est littéralement une demie-réussite : 6 ou 7 titres à tomber, dont au moins 2 ou 3 sont encore plus que ça, bouleversants et envoûtants. Et puis 5 ou 6 chansons qu’on aurait aimé ne jamais avoir écoutées. A l’arrivée, cela ne fait pas seulement une moitié d’album mais bien deux tiers de déception, alors qu’on se serait contenté d’une demie si on n’y avait cru une fois encore. Ce n’est pas pour ça qu’on ne marchera pas la prochaine fois. La fidélité est une naïveté qui s’oublie.
Tricky – Ununiform sur Bandcamp
02. Same As It Ever Was
03. New Stole (feat. Francesca Belmonte)
04. Wait For Signal (feat. Asia Argento)
05. It’s Your Day
06. Blood of My Blood (feat. Scriptonite)
07. Dark Days (feat. Mina Rose)
08. The Only Way
09. Armor (feat. Terra Lopez of Rituals of Mine)
10. Doll (feat. Avalon Lurks)
11. Bang Boogie (feat. Smoky Mo)
12. Running Wild (feat. Mina Rose)
13. When We Die (feat. Martina Topley-Bird)
14. Bonus
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