On est généralement assez frileux quand il s’agit de considérer les chanteurs québecois. Mais aussi trop curieux pour ne pas avoir eu envie d’écouter (et de comprendre) un morceau dont le titre est Bûcher dans le tas, morceau enlevé, fougueux, rock, qui nous rappelle que, jadis, Jean-Louis Aubert avait une sacrée allure et que peut-être Téléphone n’était pas si naze.
Le chanteur Québécois JeanPhilip semble avoir un peu de bouteille mais on n’avait jusqu’ici jamais croisé sa route. Son dernier album en date, Vérandas (Bunker d’Auteuil), a une chouette couverture jaune qui nous a intrigué. Ce qu’il propose (il a quelques albums derrière lui) est très cohérent, sonne bien et témoigne de qualités d’écriture (textes et musique) au delà de la moyenne. Œuvrant dans un registre electro-rock très contemporain (des basses, des synthés, des rythmiques engageantes et festives « à la Katerine« ), l’homme a un registre vocal plutôt singulier, avec une voix qui craque et qui donne à l’oreille, le sentiment qu’il n’en a rien à foutre et est un peu plus trash qu’il ne l’est. Son travail est ainsi un bon compromis entre toutes les familles (variét, rock, électro, chanson) de la chanson ou de la pop française : un peu de Gainsbourg, un peu de Bashung, un peu de Darc, et tout de même un sacré côté variétoche qui ne gâche rien et rend le tout très accessible. Ivresse est un excellent morceau, simple et efficace. On aime aussi beaucoup le single Les Amants, sur lequel intervient le poète canadien Paul Cargnello. C’est poisseux, lent, et traînard à la Miossec, avec une voix fainéante et qui ne se relève que sur un simili refrain uptempo.
Le chant se fraie un chemin difficile à travers le larynx comme s’il frisait parfois l’overdose de foie gras. On pense à Arno parfois. « je veux juste que ça groove/quelque chose d’éloquent/ de richement superficiel/ plein de dévotion/ en simplicité/ une tension particulière/ avec de vieilles branches et pas trop en perdre…. » chante-t-il sur l’excellent En Stéréo, petit manifeste de cet art modeste et jmenfoutiste qui offre de belles formules et se ramasse au box-office avec classe et sens du désespoir. On est carrément fan du titre de l’album, les Vérandas, bizarrerie électro-pop au texte digne d’un Florent Pagny mais qui claque juste et bien :
Si on ne fait que chialer
Dans nos vérandas
Vaut mieux pas rêver
Que la bêtise s’en ira
Il y a une sincérité dans le propos, un côté direct qui fait du bien et qui donne envie de suivre JeanPhilip dans ses développements rock. Fanfare est une très très bonne chanson sonique, dont la construction rappelle les productions d’un Rodolphe Burger. C’est à la fois assez sophistiqué, gentiment ironique et en même temps très direct et premier degré. Le recours quasi permanent à des choeurs est plutôt bien vu et donne un charme mainstream à un propos qui ne l’est jamais. Saisons est extraordinaire et peut-être l’un des meilleurs titres du disque. On s’identifie très vite à ce type, à ses regrets, à ses observations désabusées. Miossec au ralenti et à l’ancienne, avec du groove en plus.
Il y a quelque chose dans l’air
Qui nous rend paresseux
C’est la faute de personne
Bâtir l’avenir
Le grand dérangement
En ne changeant rien
Qu’on le veuille ou non
On ne contrôle pas les saisons
Ça doit être l’ignorance
Qui nous passe sous les yeux
La courbe insurmontable
L’orage à l’est, le final, est encore meilleur, refermant ce petit disque triomphant, précieux et qui plaira à toutes les oreilles attentives au miracle du rock chanté en français. Cette découverte tardive est une excellente surprise. On s’y tiendra désormais et on ira surtout faire un peu de rattrapage et écouter ses albums précédents. Si on vous oblige à écouter un chanteur québécois : réclamez JeanPhilip ! Vos oreilles vous remercieront.
Une excellente surprise 2024. C’est chouette de découvrir cette chronique dans vos pages. L’album est sorti depuis quelques temps déjà et je trouve qu’il n’a pas été assez mis à l’honneur dans les magazines rock (ou assimilés). Merci pour les commentaires (très pertinents au demeurant).