Yudimah / All I Need
[Banzaï Lab]

8.9 Note de l'auteur
8.9

Yudimah - All I NeedLongtemps retardé en raison de la crise sanitaire, le premier album de Yudimah nous arrive comme si on ne l’avait jamais écouté. Il se dégage de ce disque une telle énergie, une telle fougue et une telle ferveur que All I Need a du mal à s’émousser et garde son potentiel insensé au fil des écoutes. Le Bordelais de 26 ans signe un grand disque de hip-hop qui n’a de Français que son label et la nationalité de son interprète. All I Need est en effet tout entier influencé par le hip-hop américain et nourri d’un souffle épique et romantique qui emplit d’espérance et d’envie de vivre chacune des dix compositions. La seule exception est paradoxalement l’un des morceaux les plus puissants et évidents du disque : le final A Méditer qui, chanté en français, rappelle par son aisance, son flow et sa positivité la majesté poétique d’un MC Solaar au meilleur de sa forme, le tout emballé dans des arrangements sophistiqués et parfaitement calibrés pour cette balade philosophique.

Le morceau donne les clés de l’esprit qui anime le chanteur : un credo fait de respect de l’autre, d’affirmation de la différence et de tolérance envers toutes les cultures et les formes de vie, de valeurs portées en bandoulière et sur lesquelles les chansons reviennent avec un sens de l’engagement politique qui fortifie et rappelle le souffle des reggae men ou de types comme Bob Marley (la force, le détachement, le sens du cool) ou Fela Kuti. Yudimah énonce souvent ses vérités de manière frontale et sans s’embarrasser de métaphore. Son discours fait office de stimulant pour l’âme et agit comme le ferait le discours balancé mais offensif d’un agitateur de pensée. Sur Today, Yudimah semble s’adresser aux jeunes qui glandent au bas des immeubles. Il vante la vie au présent, le fait d’entreprendre quelque chose, de s’ébranler pour aller bosser et s’élever dans la société. Le chanteur, qui a travaillé dans le champ social, met en musique ce qui pourrait passer pour le discours d’un éducateur charismatique et chargé de réveiller le bloc mais le fait avec une grâce et une forme de foi qui impressionnent. Par-delà ce qu’il raconte, c’est la manière qui l’emporte : Yudimah aligne les récits, raconte sa vie et la façon dont il agit avec un flow si clair, agile et fluide qu’on est acquis à sa cause avant même d’avoir compris son discours.

La production de All I Need est formidable : old school mais contemporaine, comme posée sur un lit de basses antiques, respirant l’urbanité côte Est, tout en déroulant une cool attitude qui rattache l’ensemble au son West Coast ou à des labels comme le Mello Group. On l’a déjà dit en évoquant le single Run It (absent du LP), mais on n’avait pas assisté à l’émergence d’un talent si évident et énergique, si intelligent et réfléchi depuis l’apparition du chanteur Patrice à la toute fin des années 1990. Les deux ont plus en commun que le métissage, une culture afro-européenne qui vient inonder de Lumière(s) l’essence combative et contemplative du rap US. The One est une tuerie rythmique et un tube instantané. Mais All I Need a plus d’une corde à son arc et sait aussi s’engager dans une veine plus soul voire RnB qu’il manie avec précaution et un vrai sens esthétique sur le morceau Life ou encore le Princier Sky avec ses claquements de doigts et ses synthés vintage. Patrice, justement, avait tenté d’imposer pour décrire sa musique le terme de musique « sweggae », en désignant la mixité culturelle de ses influences mais aussi une forme de cool attitude. Le terme s’applique tout à fait au champ couvert par All I Need, oscillant entre hip-hop traditionnel et un format chanson qui évolue entre la pop, la soul et le reggae. Be Good est remarquable de détermination soulful. Time est joueur et soyeux comme une production Motown des années 70. Il y a du funk dans ce hip-hop-là, des cuivres et beaucoup de sensualité dans la façon dont les contrepoints sont agencés. On pense à la précision des standards d’un Isaac Hayes et à la manière dont les notes sont espacées. Le talent de Yudimah explose aussi bien sur ces morceaux plus référencés que sur des titres iconiques et ultra-classiques comme Ready ou le généreux Wolf Appetite.

D’aucuns reprocheront au chanteur son prêchi-prêcha et son discours qui renvoie l’ensemble à un essai chanté de développement personnel. Il y a sur All I Need de quoi crier au donneur de leçons mais cet aspect, bien réel, renvoie à une tradition vivace des musiques noires et religieuses d’une manière générale, qui n’ont jamais eu aucun mal à concilier morale et esthétique. All I Need est un disque qui parle de la vie, de ce qu’on peut en faire pour ne pas la gaspiller ou se fourvoyer. L’humanisme de Yudimah est une des qualités immenses qui font de ce recueil de chansons un disque pas comme les autres et l’un des plus stimulants de l’année. On aimerait que les jeunes écoutent ce rap conscient plutôt que de s’abandonner au simili gangsta qui leur fait rechercher la moula, les paires de seins et les grosses bagnoles de caïd.

 Avec son discours à contre-courant, Yudimah ressuscite un rap politique inspiré et inspirant et accouche de dix chansons uniques car débarrassées de tous les clichés et boulets du rap contemporain. Il n’ y a rien de plus radical par les temps qui courent que l’humanisme et la sincérité.Yudimah est un prophète qui s’ignore, terrestre et modeste.

Tracklist
01. Today
02. Yeah
03. The One
04. Life
05. Be Good
06. Time
07. Sky
08. Ready
09. Wolf Appetite
10. A méditer
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