Donostia-San Sebastián, à n’en pas douter, est l’une des villes les plus agréables d’Espagne. A l’exception de quelques journées par an où le surtourisme vient un peu gâcher l’ambiance, on se plait à y déambuler entre vieille ville portuaire et larges allées où se succèdent d’exceptionnelles villas qui témoignent de la richesse passée et encore présente de la station balnéaire qui fait face à l’une des plus belles baies du monde. Si la villégiature y est douce, la vie le semble tout autant et il n’y a certainement pas de hasard à ce qu’elle ait été à la fin des années 1980 le berceau de l’une des scènes les plus classieuses d’Espagne, pour ne pas dire d’Europe, voire du monde entier. Menée autour de deux groupes exceptionnels encore aujourd’hui largement sous-estimés, Le Mans (1993-1998) et La Buena Vida (1992-2009), cette scène qui a su insuffler une véritable identité sonore a influencé une grande partie des groupes pop qui se sont depuis lancés dans la langue de Cervantes dans un élan, on l’ignore, bien plus important que ce que l’on peut imaginer de notre point de vue souvent autocentré. Si les premiers se sont vite remis en selle dès les années 2000 à travers les œuvres de leur cerveau bicéphale, Ibon Erraskin et Tereza Iturrioz (aka Single), il aura fallu attendre 2017 pour avoir des nouvelles de Mikel Aguirre, tête pensante des seconds et à présent d’Amateur avec son compère de toujours José Luis Lanzagorta ainsi qu’Iñaki De Lucas, lui aussi collaborateur de longue date de La Buena Vida en tant qu’ingénieur du son.
Soyons clairs : si du côté des anciens Le Mans, c’est la volonté de casser les codes qui l’a emportée en se lançant dans l’exploration d’univers baroques et parfois franchement expérimentaux, ici, avec Impasse, second album du trio basque tout comme sur Debut!, son prédécesseur en 2017, on retrouve avec un plaisir absolument intact les ambiances pop classiques qui faisaient tout le charme intemporel de La Buena Vida, la douce voix d’Irantzu Valencia en moins, un peu à regret, reconnaissons-le. Il n’y a rien d’étonnant à ce que cette musique naisse ici tant elle semble en harmonie avec l’environnement proposé par la ville. Ici, tout est douceur, calme et volupté et Amateur propose une invitation perpétuelle à flâner dans les rues de la capitale Gipuzkoa le sourire aux lèvres, à la recherche de l’un de ces cafés sans âge aux cuivres rutilants où se retrouvait jadis tout ce que le pays basque comptait d’intellectuels et d’artistes. Alors on marche, parfois en compagnie de personnalités oubliées comme Diego Vasallo des mythiques Duncan Dhu, donostiarra lui aussi, sur Duelo Sin Cumbre, déambulant en paix et sans but véritable, à la recherche de chemins qui ne mènent finalement nulle part.
La musique délicate et attentionnée d’Amateur, bien que sensiblement plus brute que sur le très ouvragé Debut! nous renvoie certes aux souvenirs précieux que nous gardons de la Buena Vida mais le groupe ne se contente pas de capitaliser pas sur ce passé et cherche sans cesse à explorer des voies nouvelles dans un écrin contraint. Mikel Aguirre et sa bande assument sans peine leur passé et leurs influences, de Nick Drake à Bob Dylan en passant par les Beatles. Impasse est habilement construit, revendiquant à la fois son unité sonore et sa diversité de tempo et d’ambiances. Si on a parfois l’impression que cette chaude voix grave, familière et réconfortante s’accompagnant d’une seule guitare aurait pu suffire, (Jane, Dulce Jane en hommage à Lou Reed et au Velvet Underground qui finit par s’envoler dans un élan de cuivres splendides), c’est généralement sans compter sur l’envie du groupe d’enrober ces mélodies fragiles d’une enveloppe sonore d’une beauté à la simplicité confondante. Sur le splendide Fue Una Vez, un piano mélancolique et une slide parfaite de concision font monter le morceau vers le Panthéon du « Donosti Sound ». Sur Maneras De Quederte s’ajoutent quelques cordes discrètes qui finissent de vous soutirer quelques frissons comme sur le très bel interlude cinématographique Coda En Sol directement sorti d’un film hollywoodien des années 1950. L’harmonica lui aussi très présent se fait même vindicatif lorsqu’il vient vous secouer les puces alors que vous vous laissiez aller à l’autodépréciation et à la déprime sur El Marcador.
Bien sûr, il est souvent question de nostalgie ; difficile d’en être autrement pour un auteur qui, dès ses 20 ans et durant toute la vie de La Buena Vida en fit un véritable thème transversal et le final sur Los Hijos est même en l’espèce un véritable modèle. Les chansons d’Impasse parlent souvent d’amour, de séparations, d’espoirs renaissants puis de déceptions et il faut toute la classe de l’écriture de Pedro Gracia Pérez de Viñaspre d’Havoc, un autre de ces artistes donostiarras à jamais reconnaissant de l’héritage laissé pour parvenir à se projeter dans un avenir heureux. Curieusement, ce El Huerto Provenzal absolument radieux et enjoué est sans doute de ces 10 titres celui qui se rapproche le plus de l’héritage des grands hits de La Buena Vida avec son tempo enlevé mais surtout ce duo parfait avec la voix fort fréquentable d’Isa Cea des galiciens de Triángulo De Amor Bizarro qui œuvre précisément ici dans le même registre un peu détaché que celui d’Irantzu Valencia à l’époque.
Entrer dans un disque comme Impasse, malgré son classicisme intégral qui ne risque pas de heurter quiconque nécessite pourtant un peu d’efforts. Il faut prendre le temps, celui de ces déambulations sans but particulier, pour découvrir ses moindres recoins et la véritable beauté de ses façades sages qui cachent d’infinis détails architecturaux. Amateur, ce ne sont ni des gars qui prennent ça à la légère, ni des fans transis mais bien trois musiciens et leurs invités qui vouent une profonde passion pleine d’humilité pour ce qu’ils font. Peu importe en réalité de ce qu’il adviendra de leur musique, ils n’en ont de toute façon jamais vécu depuis les débuts de La Buena Vida, même du temps où une bonne partie de la jeunesse espagnole romantique reprenait en cœur Qué Nos Va A Pasar. Mikel Aguirre et ses amis de toujours ont juste laissé passer le temps, ses petits bonheurs et ses grandes tristesses, à moins que ce ne soit l’inverse, pour retrouver, enfin, l’envie d’écrire et de composer de jolies chansons pop en langue espagnole et de continuer à incarner l’âme vivace de cette scène donostiarra.
02. El Huerto Provenzal
03. Maneras De Quererte
04. Fue Una Vez
05. Coda En Sol
06. El Marcador
07. Jane, Dulce Jane
08. Vendrán Días Mejores
09. Duelo Sin Cumbre
10.Los Hijos
Et si le coeur vous en dit, révision des classiques avec une petite Vuelta Pop par ici.