Comme chaque année, les mois de juillet et d’août s’accompagnent des habituelles sorties électroniques pour habiller la chaleur de l’été. Cette fois, c’est au tour de l’anglais Felix Nyajo, salute de son pseudonyme, de franchir ce pas redouté de beaucoup. Ce second album semble puiser dans les souvenirs cathodiques et sonores d’enfance (les publicités datées, les jeux à cartouche d’il y a vingt ans aussi rétros qu’une mâchoire de dinosaure, etc.), madeleines de Proust digitales d’une jeunesse nourrie à l’écran. Entouré d’invités de choix (Empress Of, Karma Kid, etc.), voyons si la TRUE MAGIC opère.
Ceux qui danserons te salue…
S’il y a quelque chose d’appréciable à signaler, c’est un indéniable enthousiasme éclatant aux oreilles. Le DJ prend également à cœur l’objet d’album, souhaitant séquencer celui-ci, quitte à s’essayer à une bribe de « narration » vidéoludique via diverses expérimentations sonores. C’est, là encore, appréciable, surtout à une époque où beaucoup confondent LP et EP, balançant sans soucis d’ordre leurs tranches de saucissons.
Dommage, par contre, que cela passe par des gimmicks fluo que nous jugerons puériles (l’ouverture start sonne l’alerte, avec ses voix robotisées) pour nous figurer un Speed Racer sonore et halluciné, entre néo et rétro. C’est d’ailleurs le principal problème de TRUE MAGIC, cette oscillation ne se soldant jamais par une hybridation innovante. salute s’inscrit parfaitement dans ce renouveau anglais de la deep house vers 2013-2014, s’étant accompagnée d’une tonne de pistes à la clé produites dans une quantité (et même disons, une qualité « moyenne ») jamais égalée avec la décennie 90. Pour autant, lois de la jungle (ou de Gauss – nos lecteurs statisticiens comprendront) obligent, les appelés sont nombreux mais les élus aux hymnes cultes toujours aussi rares, si ce n’est… paradoxalement plus encore. On pourra en dire tout autant de l’album entier, qui ne détonne jamais assez des récents albums de TSHA, Aluna, Logic1000 et Jayda G.
Aucune piste ne fait de peine à entendre, dépassant de loin le minimum syndical. Petite exception pour go!, piste gâchée par une chanteuse en crise d’hyper-shôjoïsme, passage pensé comme obligatoire par tout otaku gaijin (amoureux de bizarreries vidéoludiques comme Elite Beat Agents ou Channel 5) se voulant légitime en démontrant un attrait forcé pour l’exotisme asiatique, et dans lesquels de nombreux contemporains comme Téléraptor ou Peggy Gou se vautrent tout aussi risiblement. À part cela et l’excès de bons sentiments de luv stuck, l’album n’a pas à rougir, promesse de joie certaine pour au moins quelques journées éclatantes de soleil. Il est même plus riche et long que la moyenne, des artistes comme Shygirl et son ClubShy jouant la carte de la brièveté pour probablement masquer une mesquinerie créative. C’est d’autant plus agréable pour un album dont la thématique gravite autour de la vitesse.
Dans le gaz
Nous évoquions la récupération house des années 2010 par la nouvelle vague anglaise des natifs digitaux. C’est probablement grâce à quelques souvenirs que cette résurgence a eu lieu, mais surtout via à cette formidable bibliothèque d’Alexandrie que constitue internet. salute a bien potassé ses classiques, car une bonne moitié de l’album est portée, en large sous-bassement référentiel, par la french touch : les réminiscences de Modjo, The Supermen Lovers, DJ Falcon, Cassius filent en trombe dans l’album, mais c’est surtout – et c’est avec joie que nous le constatons – à Alan Braxe (son Upper Cuts semble avoir été scrupuleusement ausculté, en long comme en large), enfin célébré à la hauteur de son apport au genre, jusqu’à être explicitement cité sur le dernier album de Justice, groupe auquel on pense aussi plusieurs fois pendant le trajet. Sur l’excellent lift off!, avec les Disclosure (premiers de cordée auxquels on pense de ce renouveau house), on repense au You d’un David Guetta frais comme un gardon. Le découpage de move faster… rappelle l’art du ciselage si particulier à Todd Edwards. L’ombre des robots plane, mais salute ne cède pas à la citation attendue, préférant inconsciemment étendre l’influence (oubliée!) de la disco filtrée jusqu’à la scène big (pop) house nordique des années 2005, des pistes comme system ou maybe it’s u contenant quelques résurgences pur jus d’Axwell, Supermode ou Beatfreakz; et cela, jusque dans l’utilisation récente des voix d’éphèbes de pop FM comme The Weeknd et Tame Impala par la Swedish House Mafia et… Justice. Voilà la boucle bouclée, en somme.
Les références sont bien digérées, efficacement régurgitées. Pour autant : qui y-a-t’il derrière celles-ci ? Qui est derrière cette relecture proprette de la french touch (mais pas que, la drum’n’bass et la jungle se taillant des parts de lionceaux) ? À vrai dire, l’originalité n’a jamais fait partie du vocabulaire accolé à l’artiste. Celui-ci n’arrive par ailleurs jamais à se dépêtrer du carcan de la voix, tentation pop trop facile alors qu’il s’agirait d’embrayer sur l’instrumental, au pouvoir plus évocateur. Plus généralement, ce que nous pourrions reprocher à certains de ces artistes, c’est peut-être de ne pas avoir suffisamment dangereusement vécu, conférant une approche consensuelle et bien élevée d’autant plus accrue par la perfection technologique contemporaine, remarque que l’on se faisait aussi à l’écoute du dernier album de Barry Can’t Swim. Nous, en vieux routiers, sommes à l’affut du moindre déraillement, de la sortie de route frappadingue. L’album colorera d’un œil bienveillant des moments d’euphorie pré-existants, sans pour autant les fabriquer ni nous embarquer. TRUE MAGIC est enthousiasmant, mais non suffisamment décapant. Ce n’est évidemment que partie remise.
02. saving flowers (with Rina Sawayama)
03. reason (with Karma Kid)
04. lift off! (with Disclosure)
05. maybe it’s u (with Sam Gellaitry)
06. go! (with なかむらみなみ)
07. true magic, bonus round
08. one of those nights (with Empress Of)
09. move faster…
10. system
11. softly (with Léa Sen)
12. luv stuck (with piri)
13. perfect (with LEILAH)
14. drive (with LEILAH)
Quant à moi, la musique sans voix, ça me rappelle la messe.
Va falloir, cher Li-An, retourner à la messe, car on y chante beaucoup quand même
Hi hi hi, c’est vrai. Mais le pire, c’est quand il n’y a que la musique.