Lesneu / Ce Qui Ne Vient Jamais Vraiment
[Music From The Masses / [PIAS]

8.2 Note de l'Auteur
8.2

Lesneu - Ce Qui Ne Vient Jamais VraimentLa musique comme introspection, personnelle et universelle. La chose n’est pas nouvelle, c’est même le ciment qui lie depuis toujours musique pop, rock ou variété. Celui là même qui relie aussi les artistes et leurs auditeurs qui leurs reconnaissent précisément ce talent de pouvoir mettre en mots (justes et sensibles) et en musique (parfaitement évocatrice) des sentiments si souvent partagés mais maladroitement exprimés ou carrément tus. Peut-être est-ce pour s’assurer de l’intelligibilité de son propos que sur Ce Qui Ne Vient Jamais Vraiment, son nouvel album, Victor Gobbé alias Lesneu a décidé d’assumer pleinement son écriture en français entrevue sur le précédent Bonheur Ou Tristesse sorti il y a tout juste deux ans, au pire moment pour le défendre à sa juste mesure. Sans doute aussi que le parrainage nouveau d’un Miossec qui l’a invité à ouvrir pour lui sur une partie des dates de sa dernière longue tournée hexagonale lui a permis de réaliser que la proximité avec un public se construisait également dans une relation particulière où les mots, autant que les notes, ont toute leur importance. D’ailleurs, comme un signe qui ne trompe pas, les paroles qui avaient timidement, de façon un peu brouillonne fait leur apparition sur le disque précédent sont cette fois clairement imprimées, un peu à l’ancienne : elles ne se cachent plus et le disque peut s’écouter les yeux rivés sur le pochette, histoire de ne pas en perdre une miette. C’est que cela fait maintenant longtemps que l’on a compris que l’anglais n’était pas la langue exclusive du rock, surtout quand on a comme Lesneu une certaine aspiration musicale à s’en détacher. Pas complétement, bien sûr, mais ici, s’il convoque comme à son habitude et avec le talent qu’on lui connait la douceur de Beach House ou l’énergie en particulier vocale des Walkmen, il pioche également dans le terreau d’une certaine variété française de qualité, jadis honnie mais à présent reconnue à sa juste valeur, ici notamment, celle des Chamfort, Christophe et autre Polnareff.

Sur Ce Qui Ne Vient Jamais Vraiment, la musique et les mots de Lesneu portent plus que jamais la nostalgie de temps anciens, ceux des photos jaunies et craquelées et des vacances en bord de mer, à l’hôtel de la plage. Mais aujourd’hui, si les téléphones ont remplacé les Kodak Instamatic et les Agfa Movexoom Super 8, rien n’a vraiment changé. Dans les bandes de filles et de garçons, on rencontre toujours des individus qui se cherchent, se tournent autour, flirtent ; on déroule des amours éphémères, platoniques même parfois même si en réalité on les rêverait immortels aux yeux du monde. Alors, sur des airs de toujours qu’il s’applique à remettre au goût du jour depuis son premier disque il y a déjà 5 ans, Lesneu pioche dans les souvenirs, exprime des regrets ou s’interroge sur ces relations amoureuses jamais simples, ces relations que l’on construit entre euphorie et pragmatisme ou celles que l’on fantasme avec des êtres intimidants et inaccessibles, peut-être plus âgés, plus expérimentés. Des amours plein d’ambiguïtés, comme les textes dont les niveaux de lectures se superposent parfois si bien qu’on ne sait pas toujours s’ils adressent à l’être aimé.e ou aux proches, solides amis ou famille. C’est cette relation amoureuse qui, comme une obsession, guide l’ensemble d’un disque où chaque titre entre en résonance avec un autre.

Ainsi, le tube d’ouverture, Entre Toi Et Moi auquel répond Entre Moi Et Toi, sont les deux seuls véritables morceaux enlevés du disque, comme deux points de vue antagonistes au moment de se reprendre pour aller de l’avant et décider de tirer un trait sur l’histoire. Le magnifique Tes Yeux sur lequel le chœur féminin prend de l’assurance pour petit à petit devenir alter-ego retrouve plus loin sur sa route le léthargique La Raison, comme une ambivalence perpétuelle entre l’attirance passionnée, physique et la recherche de durabilité solide. Et puis, toujours, cette obsession de comprendre ce qui n’a pas fonctionné, chercher des responsabilités dans le mince espoir d’avancer et de trouver sa place, quitte à mettre son ego de côté. T’ai-Je Dégouté De Moi ou Est-Ce De Ma Faute se demande sans fard Lesneu dans une posture moderne où l’homme sait reconnaitre ses travers.

Portées par une voix en constante évolution, moins grave mais plus ample dans sa capacité à s’envoler et tenir la note, les chansons de Ce Qui Ne Vient Jamais Vraiment se développent dans leur propre espace-temps, complétement détachées de la sacro-sainte contrainte des trois minutes qui différencie encore les productions libres et indépendantes de celles avant tout calibrées pour les radios et les playlistes formatées. Elles sont à la fois baignées du minimalisme de compositions qui vont à l’essentiel, sans user de plus de mots ou de notes que nécessaire, mais se parent aussi d’artifices instrumentaux entre ombre et lumière, où des claviers étincelants et aériens pleins d’espoir en un amour absolu côtoient les guitares orageuses de la dispute et le saxo triste et langoureux du doute et de la rupture.

Album lumineux à l’image de sa pochette colorée, réalisée par Victor Gobbé en personne, soucieux de garder le contrôle de son univers, Ce Qui Ne Vient Jamais Vraiment nous plonge pourtant dans la tristesse des sentiments perdus et des lendemains incertains. Le disque bien dans son époque d’un jeune homme moderne traversé par des questionnements intemporels. S’il ne bouleverse pas l’environnement du Lesneu que l’on connait depuis Lovin’, son premier mini-album, il l’installe dans un paysage musical qui, en d’autres temps, a vu de la même façon de jeunes pousses persévérantes s’imposer au fil des disques pour devenir aujourd’hui, 20, 30 ans plus tard, des références aux fortunes diverses mais néanmoins incontournables.

Tracklist
01. Entre Toi Et Moi
02. Tes Yeux
03. On Ne Saura Jamais Vraiment
04. Entre Moi Et Toi
05. La Raison
06. T’Ai-Je Dégoûté De Moi
07. Encore Une Fois
08. Arbre
09. Est-Ce De Ma Faute
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