Il faut parfois se mouiller, quitte à passer pour un abruti deux ans plus tard quand on relira ce qu’on a dit d’untel ou tel mais Get Better de Bad Sounds pourrait bien être l’album de l’année 2018. Pas celui qu’on préfère, le plus rock, le plus académique, ni même le plus homogène ou le plus réussi. L’album de l’année 2018, c’est-à-dire celui qu’on a le plus envie d’entendre et qui reflète le mieux ce qu’on pense être la « modernité musicale » de notre époque.
Get Better est le premier album d’un duo de frères, Ewan et Callum Merrett, anglais de leur état et venus respectivement du hip-hop, pour le premier, du rock et de la soul pour le second. Les deux hommes d’une vingtaine d’années (entourés d’une batteur et de deux musiciens de complément) ont travaillé tous les deux comme producteurs avant de s’engager dans leurs propres compositions remportant un certain succès sur leurs premiers essais (et sous divers alias), au point de signer assez vite pour ce premier album qui sort chez Insanity. A l’écoute de ce Get Better qui s’ouvre sur une annonce programmatique « Hello, welcome, we’d long to take this time to invite you to get better. Take a deep breath… », on est stupéfait par la force positive, l’allégresse et l’énergie qui se dégagent de cette musique. Get better est un album qui s’adresse autant à l’humain qu’au fan de Tektonik, c’est un déferlement d’idées, de punch lines, de riffs de guitares, de refrains irrésistibles et de chansons solides. C’est un déluge de genres mixés dans un grand saladier inspiré et bouillonnant où l’on trouve aussi bien de la pop lumineuse, des décrochés hip-hop, des scratches que des pépites soul, funk et RnB. Après des années de dépression et de musique sérieuse, Bad Sounds arrive tel une tornade et vient secouer nos certitudes : et si ? et si la musique n’avait pas vocation à faire pleurer dans les chaumières et dans les cœurs ?
Bon sang mais c’est bien sûr ! La vérité est dans l’évidence d’un Wages, le single héroïque qui porte l’album. Elle est dans l’excellence d’Avalanche, le morceau qui suit. On est là au cœur de la mécanique Bad Sounds : un chant slammé/rappé de premier plan, de l’humour, un sens des situations incroyable et des séries de « hooks » qui vous laissent baba qu’on exécute tantôt dans un registre rock (un riff), synthétique, voire carrément disco ou rétrofuturiste. Il y a du génie dans ces arrangements qui ne ressemblent à rien de connu. « Try as I might. I’m losing the fight to get better » Get Better est soutenu par un élan vital, un enthousiasme et une capacité à changer les pulsions en émotions et en ruptures de rythme qui est tout bonnement époustouflante. Les Bad Sounds ne se contentent pas d’aligner les tubes en puissance (même s’il y en a un sacré paquet ici) et évoluent dans un registre aussi large que le fleuve Yang Tse. Il faut écouter le sublissime How Are You Gonna Lose (quel titre magnifique en passant « comment tu vas paumer ») aux voix et à l’ambiance princière, classe comme un titre de la Motown, puis rebondir sur l’immonde Couldnt Give It Away, roublard et salement opportuniste, pour mesurer ce qui est à l’œuvre ici : une tentative complètement débridée de nous remonter le moral par tous les moyens. Les frères Merrett ne font pas dans la demi-mesure et ne refusent pas de tomber parfois dans la putasserie. Ce sont les effets qui comptent, pas les moyens qu’on y met. C’est le vieil adage qui a porté New Order où il est. On tutoie parfois le mauvais goût (Milk It) mais avec la certitude que personne ne nous regarde en train de danser et de hurler comme un demeuré, on sait que les Anglais nous appliquent EXACTEMENT le traitement qu’il nous faut.
L’album avec treize morceaux connaît (on parle ici d’un premier album) bien quelques chutes de tension mais le groupe a du ressort et de la ressource et sait relancer l’intérêt quand le soufflé retombe. La relance qui intervient avec l’interlude Eat Right et l’incroyable enchaînement de Evil Powers et Thomas is A Killer permet à l’album de se maintenir en haute altitude. Evil Powers est subtil, délicat, avec ses chœurs et son élan mid-tempo. Le chant est soul, presque à l’ancienne dans sa scansion et son usage des cris et des modulations. Mais Thomas Is A Killer est plus que ça, le sommet émotionnel de l’album. Le texte est magnifique et symbolique de la poésie quotidienne, urbaine et ramassée qu’on croise ici : « Thomas is a killer/ Evil ain’t the word/ Holding to a feeling/ Like It’s holding on to her/ Winter took more than the flowers/ And the Daylight hours (it took you)/ 9 hours of TV a day/ Home early in the cold/ Thomas is a killer/ I wonder if he knows. » C’est l’une des rares fois où une chanson de Bad Sounds dépasse les quatre minutes mais c’est une véritable leçon de savoir-faire à laquelle on assiste.
Pas vraiment plombé par ce titre émouvant, Bad Sounds propose ensuite un titre mi-rap, mi-RnB du meilleur acabit, Another Man, qui n’arrive pourtant pas à la cheville d’un Honestly qui a la force d’entraînement, le génie et la simplicité euphorique d’un Happy (oui, ce Happy là) et mériteraiy de nous poursuivre sans relâche les six prochains mois. Honestly a un refrain infectieux, une mélodie qui tue et un faux rythme qui invite autant à la nonchalance, qu’à l’insouciance et à la sensualité. On peut trouver qu’évoluer dans ce genre-là relève de la facilité mais beaucoup sont morts sans parvenir à faire aussi bien.
Les Bad Sounds sont au funk, au hip-hop et à la pop ceux que les Fat White Family sont au rock et au punk : une vision du futur, une anticipation des choses à venir. On s’est suffisamment gargarisés quant à l’avènement des musiques mêlées, sur la fin des genres et cette idée d’une musique totale, qu’il faut accueillir ce Get Better pour l’importance qu’il a. L’avenir sera terrible mais accueilli avec le sourire. Il sera difficile, antisocial et rude comme le sable mais ceux qui resteront l’aborderont avec cet air conquérant de ne pas y croire, de n’être là que pour profiter des quelques instants de danse, de sexe, d’amour ou d’eau fraîche que la vie propose avant de décamper pour échapper au pire. Il est temps de s’en foutre et penser à autre chose. Il est temps de se regarder les yeux dans les yeux et de se tenir par la main. C’est ce que semble nous recommander ce Get Better qui rend meilleur et remplace avec bonheur les anti-dépresseurs et ta sœur.
02. Wages
03. Avalanche
04. How Are You Gonna Lose
05. Couldn’t Give It Away
06. Milk It feat. Ardyn
07. Banger
08. Eat Right
09. Evil Powers
10. Thomas Is A Killer
11. Another Man
12. Honestly
13. No Luck