Jean-Louis Murat / Il Francese
[PIAS]

6.8 Note de l'auteur
6.8

Jean-Louis Murat - Il FranceseLa discographie de Jean-Louis Murat s’organise comme un vaste cabinet de curiosités où s’accumulent des albums de chanson poétique, des disques de pop, quelques chefs d’œuvre et des bizarreries expérimentales qu’on ne conseillerait pas à nos meilleurs amis. L’Auvergnat, de 66 ans, a su garder une créativité de jeune homme. Arrivé à la notoriété sur le tard, Murat n’a jamais cessé d’occuper la marge, s’imposant par la grâce et la magie d’une poésie que d’aucuns ont toujours trouvée urticaire et à la limite du supportable mais qui renvoie sûrement à des schémas de composition venus des siècles précédents. Après un Travaux sur la N89, sorti à l’automne 2017, qui nous avait laissé de marbre et fait devenir chèvre, Il Francese sonne, d’une manière audacieuse, le retour aux valeurs sûres.

Faut-il considérer avec Murat que tout est affaire de chansons ? C’est lui qui l’a dit pendant des années, son horizon ne dépasse qu’assez rarement la composition suivante. Et il y a bien quelques chansons sur Il Francese, projet suscité (nous raconte-t-on) par la soudaine admiration éprouvée par Murat pour Kendrick Lamar. Kendrick, oui, ce qui explique sûrement et peut-être bien l’irruption amusante de sonorités électroniques dans un album qui sent aussi bon le terroir que les précédents. L’entrée en matière, Achtung, est à elle seule une chanson qui vaut le déplacement. Le chant est alerte, la rythmique plutôt emballante et le texte démarre par  « Un jour où ils nous rouvriront la boucherie. C’est la bête elle-même qui me l’a dit. » que seul Murat est capable de chanter sérieusement sans que cela nous paraisse bizarre. Véritable boucherie ou bête immonde ? Il y a une telle facilité dans l’écriture, une telle élégance qui se dégage du morceau qu’on n’en croit pas nos oreilles. Entre les paroles un brin hermétiques, le faux rythme et maintenant les arrangements électro d’arrière-plan, on se demande souvent ce qu’on est venu faire là, sans pouvoir s’en échapper, ni nous sortir de la tête qu’il y a là quelque chose de précieux et d’intéressant. Murat alterne les belles réussites comme le magnifique Cinevox (et son autotune royal), l’excellent La Treizième Porte, peut-être la plus belle chanson du disque, et des choses plus difficilement écoutables à l’image du complaisant Sweet Lorraine, agaçant et affecté, ou d’un Marguerite de Valois qui ne mène nulle part.

Le disque évoque d’anciennes obsessions du chanteur : Marguerite de Valois, donnée ici dans une version western qui nous renvoie elle-même à la poésie de Dolorès (1996), le roi de Naples Murat, homonyme du Quercy bonapartien dont on croise la métaphore et quelques autres. Les titres sont alignés sans idée de manœuvre véritable et manquent d’homogénéité. Le « d’où vient Murat ? » qui pourrait être avancé comme le thème fédérateur du tout ne tient pas. Les comptes se règlent vers à vers et presque au mot à mot. Le single Holp Up, chanté en duo avec Morgane Imbeaud, en est une belle illustration. Infiniment plus pop que le reste de l’album, il semble enregistré « un ton au-dessus » comme cela se pratiquait dans les années 60, comme si il s’agissait de faire ressortir le titre fort parmi les titres. Kids est un morceau ample où l’on croise le fantôme des Kids (United), le renard qui file comme dans cent autres morceaux de l’Auvergnat et quelque chose qui ressemble à l’amour. Entre le refrain mantra « Please i got a message for you » et l’inspiration rurale, auquel Murat ajoute une production « à l’américaine », le spectacle est aussi grandiose que déconcertant. On ne peut pas dire que Murat réussisse à réconcilier modernité et archaïsme mais plutôt qu’il les fait cohabiter dans un même espace en en soulignant les coutures pour mieux les faire sauter. La tentative qu’il poursuit depuis une demi-douzaine d’albums est bien de montrer en quoi le son évolue, en quoi il n’est rien d’autre qu’une convention non conventionnelle que l’on doit traiter sans respect excessif, quitte à faire n’importe quoi avec. Sans doute est-il difficile de soutenir un projet esthétique autour de ça, ce qui peut expliquer nos hésitations à en rendre compte désormais.

La modernité est un leurre, c’est un attrape gogo. Tout est ancien et ancré dans la tradition. Toute tentative de faire du neuf est anéantie par son rattachement à la terre et la force antique de la poésie. La démonstration est si radicale que Murat n’hésite pas à nous précipiter dans l’horreur avec un morceau affreux comme Gazoline, mêlant une scansion d’antan à des sonorités faussement modernes. Il est assez paradoxal que, malgré les expérimentations et les dynamitages qui nous font parfois penser à un Pere Ubu rural (Silvana cuivré), les morceaux qu’on retient ici sont ceux qui s’approchent le plus près d’une chanson française fantasmée et à laquelle le souvenir de Murat sera attaché pour l’éternité.

On finit à l’écoute du beau Rendre l’âme et du chef d’œuvre qu’est Je me souviens, son titre le plus fort depuis plus de dix ans, par réaliser que tout le cirque orchestré par Murat, toutes ses outrances et toutes ses excentricités musicales n’ont jamais fait que nous ramener à ses chansons les plus simples et les moins arrangées. L’Auvergnat a beau faire le spectacle et tenter l’impossible. On l’a condamné depuis vingt ans à chanter des poèmes à la guitare ou sur un manteau de pluie. Il Francese est comme un exercice de gymnastique intempestif dont la seule utilité véritable est de nous ramener aux cinq ou six titres ici où rien ne bouge et tout s’émerveille.

Tracklist
01. Achtung
02. Cinevox
03. Sweet Lorraine
04. Marguerite de Valois
05. Hold Up (avec Morgane Imbeaud)
06. Kids
07. La treizième porte
08. Gazoline
09. Silvana
10. Rendre l’âme
11. Je me Souviens
Écouter Jean-Louis Murat - Il Francese

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