[Soup Music #7] – Aya Nakamura / Aya
[Warner Music France / Parlophone]

2.9 Note de l'auteur
2.9

Aya Nakamura - Aya Sans doute est-ce qu’avec Hume qui disait « La beauté n’est pas une qualité inhérente aux choses elles-mêmes, elle existe seulement dans l’esprit qui la contemple et chaque esprit perçoit une beauté différente« , Aya Nakamura aurait eu toutes ses chances de convaincre et aurait pu se targuer d’être la numéro 1 des ventes françaises de ventes numériques à l’international (tu parles d’un titre de gloire). Mais Hume n’était pas qu’un apôtre du relativisme laissant à chacun le droit d’aimer tel ou tel disque. Il réclamait que l’œuvre dans sa présentation ait un sens, une finalité sous peine de ne ressembler à rien. « Dans toute les compositions du génie, écrivait-il, on réclame donc que l’auteur ait un plan ou un objet. Une œuvre sans dessein ressemblerait plus aux extravagances d’un fou qu’aux sobres efforts du génie et du savoir ». Prendre ceci à la lettre nous amène à considérer que le travail d’Aya Nakamura ne relève pas du génie, même si la focalisation totale de son travail sur la description de ses passions amoureuses trahit sans doute un dessein cohérent et structuré. Pour le reste, il faut avouer qu’au fil des écoutes, on reste circonspect quant à la portée historique de son troisième album, Aya, assez pauvre en punchlines et qui ne casse pas trois pattes à un canard aulnaysien.

Plus jamais, le single qui embarque un featuring rikiki de l’anglais Stormsy, est plutôt bien charpenté. Le texte est indigent : « J’ai donné mon cœur/ Je le referai plus jamais/ Ça fait mal/ Mais je tourne la page/ Je dois l’avouaiii/ Je pensais à toi tous les jours/Parfois je suis dans l’excès/ Ma folie me joue des tours. » et la voix défigurée par une surcharge d’effets qui étire les rimes en « ai » au delà du raisonnable. Les « è », les « ê » et les « ai » sont vraiment un problème majeur dans un disque qui en abuse dans la mesure où ils sont systématiquement allongés dans les finales. C’est à considérer pour la suite.

On aurait aimé que Stormsy fasse autre chose que dire « ouais ouais » à l’arrière-plan mais le morceau permet de mettre en évidence la qualité des productions, un vrai acquis de l’écurie Nakamura, qu’il faut mettre au crédit du trio Julio Masidi (le génie à l’oeuvre derrière Sheryfa Luna et quelques pièces majeures de la belle Tal), John Makabi et Isaac Luyindula. C’est cette qualité d’arrangements et de prods qui tient le disque à bout de bras et propose à l’artiste des mises en scène inspirées dans lesquelles elle n’a plus qu’à poser ses histoires. Les influences musicales « ethniques », tantôt trap, latinos, afro ou caribéennes, sont intéressantes et amènent du sang frais dans un univers ultra codifié où les femmes sont systématiquement trompées, malmenées, trahies par les hommes mais tentent de récupérer le pouvoir symbolique.

Le positionnement d’Aya Nakamura en femme forte est une curiosité ici et prolonge de manière encore plus nette les tendances à l’œuvre dans son album précédent. Depuis l’imposant Tchop qui voit débouler l’artiste en mode conquérante au volant de sa voiture « j’ai taffé toute la nuit/ j’vais rider toute la night » au moqueur et très africain Doudou, tableau quasi parodique de la posture de la femme africaine, Aya Nakamura joue de ses origines maliennes pour évoluer dans un registre qui fait penser à un mélange un peu étrange d’Amadou et Mariam (en moins élégant) et de Frankie Vincent (dont l’influence est évidente sur un Jolie Nana, idiot de bout en bout). Difficile d’apprécier à l’écoute des « situations » si les chansons sont à prendre au second ou au premier degré.

Fly est magnifique. Nakamura s’y glisse dans la peau de Céline Dion comme Aunjanue Ellis (Hyppolita) dans celle d’Abbey Lee Kershaw (Christina) dans Lovecraft County. Ça craque un peu aux entournures et il y a de la peau et du sang qui dégoulinent sur la carpette mais le morceau a une certaine élégance. « J’avoue que tu m’as conquise/Si j’ai des doutes/ Serre moi plus fort/ Je ressasse, je repense, c’est toujours pareil/ Plus le temps passe et tu fais danser mon cœur/ Comme un oiseau je veux fly/ On est connectés. »  Ça donne envie de revoir Titanic.

On n’en dira pas autant des barbants Biff et Sentiments grandissants, fillers bas de gamme, et comme interprétés et écrits en pilotage automatique. Nakamura manque ici d’énergie et de détermination. Son engagement est minimal et son écriture sans aucun intérêt. On n’ira pas à dire que ces pièces là marquent la fin de l’ascension de la jeune femme mais on pourra y pointer plus tard les premiers symptômes de sa décadence. « Depuis que t’es ici/ ma vie est de plus en plus jolie/ Sentiments grandissants/ C’est comme un papillon/ Qui s’envole dans le ciel gracieusement. » Difficile de faire plus con. Le corps de l’album frise l’indigence et les morceaux s’enchaînent sans qu’on en retienne quoi que ce soit. Les prods rivalisent d’imagination pour tirer quelque chose d’un peu marquant d’une chanteuse qui s’y refuse. Aya Nakamura traverse les pièces trap ou salsa (Ca blesse) comme un zombie, alignant les séquences avec un art de la répétition (je pars, tu pars, on part) qui ennuie profondément. On a beau chercher là matière à émerveillement, il n’y a quasiment rien à sauver. Le chant est débité en série avec justesse mais sans incarnation excessive. L’authenticité qui donnait du peps à Djadja semble avoir disparu. L’écriture est au coeur du problème : générique et surtout complètement décontextualisée, elle peine à exprimer un point de vue. De qui parle-t-on ici ? De quel point de vue ? Le succès de l’artiste trahit une forme de lissage extrême de la personnalité et des émotions des jeunes filles et une contamination d’un mode d’expression appauvri qui donne au disque des allures de bande-son pour les Marseillais ou les Chti à Miami. Nirvana est une purge, La Machine, une horreur. Le disque se conclut sur un Mon Lossa revigoré par le chouette featuring de la londonienne Ms Banks. L’Anglaise donne un véritable cours d’engagement à la française et ouvre une voie que Nakamura devrait exploiter à fond sur ses prochains disques : celles d’accueillir des invités internationaux pour dynamiser une musique qui ronronne et tourne en rond affreusement.

Comme souvent sur les méga productions, Nakamura s’offre une dernière chanson « permissive » résolument érotique. Préféré avec OBOY, le rappeur malgache WTF du Val de Marne, a une certaine allure. Alors qu’elle semblait s’être emmerdée comme un rat crevé sur une bonne moitié de son propre album, Nakamura s’amuse enfin et décrit comment elle aime baiser de manière un peu crue et libérée.

Cette dernière chanson trahit à merveille ce qu’on pense : Aya Nakamura s’est faite digérer par la machine. Elle s’ennuie ferme et débite de la soupe par marmite alors qu’elle rêverait de faire autre chose. Aya manque de fraîcheur, de peps et témoigne de l’asséchement d’une veine qui, en dehors de quelques formules plutôt savoureuses, n’a plus grand chose à produire. On se situe avec ce disque au coeur du problème. La loi du troisième album s’applique ici comme dans le rock indé. C’est l’étape où on se vautre ou celle où on triomphe. Nakamura s’avance vers autre chose, vers une carrière qu’on lui souhaite à succès et brillante, mais devra avoir la force d’ouvrir son univers pour ne pas finir momifiée.

Tracklist
01. Plus jamais (feat. Stormzy)
02. Tchop
03. Doudou
04. Jolie Nana
05. Fly
06. Biff
07. Sentiments grandissants
08. Love de Moi
09. Ça blesse
10. Mon chéri
11. Hot
12. Nirvana
13 La Machine
14. Mon Lossa (feat Ms Banks)
15. Préféré (feat. OBOY)
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2 Comments

  1. says: Alaphasant

    S’infliger le dernier Aya Nakamura et en produire une chronique aussi argumentée qui commence par une citation d’un philosophe écossais et a du prendre un journée à écrire est un bel exploit masochiste alors qu’il y aurait à disposition, par exemple, les derniers It’s Immaterial ou Tunng. Passer de Vagina Lips à Aya démontre un éclectisme admirable. Bravo

    PS: je suis toujours surpris de la précision à la décimale près des notes.

    1. Merci ! Notre système de notation repose sur un système très très complexe que… je n’ai jamais compris. La série Soup Music ne permet des notes qu’entre 0 et 4. 2,9 correspond ainsi à une note plutôt bonne pour un disque de cette série.

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