Dans la série des rattrapages qu’on se serait voulu de ne pas avoir fait avant la délicieuse période des classements de fin d’année, rendre justice au premier EP des Caennais de Beach Youth est probablement le plus urgent. D’où qu’on le réécoute (et on l’aura finalement beaucoup écouté et réécouté depuis cet été), le premier disque des jeunes Étienne, Louis-Antonin, Simon et Gautier (tous ont entre 19 et 24 ans) est l’une des meilleures surprises françaises de cette année.
Pop, brillante, légère comme un été à la plage, cette collection de cinq chansons résonne comme un instantané, une bulle contre l’air du temps où espoirs, guitares échevelées et nostalgies adolescentes se mêlent en ce qui ressemble à un rêve éveillé ou à un mirage. Beach Youth, qui n’avait livré auparavant que quelques démos, réussit ici à capter cet instant souvent insaisissable et si précieux où la jeunesse s’abîme, les yeux encore grand ouverts, dans l’âge adulte. C’est dans ces territoires qu’est née historiquement la meilleure pop depuis les arabesques irlandaises de The Thrills, jusqu’aux Beach Boys en passant ici (une influence majeure) par les amis de Motorama. Comparés généralement à Two Door Cinema Club, un groupe bien plus roublard, les Beach Youth ont en plus un sens du refrain inné et une énergie dans les guitares plus classique qui leur permet d’éviter les mélodies trop sautillantes, les montagnes russes à la Libertines et autres mochetés afro-pop. Pour rester dans le jeu des comparaisons, Beach Youth nous rappelle par-dessus tout les excellents Surfer Blood à leurs débuts. Ils sont aussi brillants et innocents, aussi vifs et peu en contrôle du talent qui est le leur. Eux aussi avaient commencé par un Ep magnifique avant d’enchaîner sur Astro Coast, un album génial et qu’ils n’auront réussi à égaler que sept années plus tard avec Snowdonia, dont on a déjà parlé cette année.
Beach Youth est de cette lignée-là, discret et modeste dans l’intelligence, économe de ses effets magiques. L’entrée en matière du EP s’appelle Days et est sans conteste l’un des titres les plus cools qu’on a écoutés cette année. Tout y est : le rythme, la vitesse, la beauté et surtout ce sentiment d’urgence et de nécessité qui tient en haleine pendant 2 minutes et 51 secondes. Le chanteur fait les chœurs tout seul et le morceau s’arrête net comme on l’aime sans une seconde de trop. Memories ressemble comme deux gouttes d’eau à un très beau morceau de Motorama : basse forte, guitare smithienne et voix éthérée. La ressemblance résonne jusqu’au thème. « Look back. Dont ever look back. I regret not to be… what i was before. Dont ever look back, the past is dead .» Difficile de faire déclaration plus programmatique tandis que le fond (résolument nostalgique) dit à peu près exactement le contraire. C’est l’essence même de la pop, la chose qui résume tout : capter cet instant où l’appel du futur permet de jeter ce regard à la fois cruel, un peu triste, mais vivifiant sur hier. Young nous plaît moins au début, un peu trop Talking Heads à notre goût, avant de se changer en tout autre chose et de gagner en ampleur. Le reste est épatant d’efficacité et de savoir-faire. On ne s’appesantira pas (à tort) sur Closer dont le changement de tempo est remarquable pour redire avec Diary qu’on a l’impression de marcher sur l’eau. C’est simple, c’est juste et cela ne s’embarrasse d’aucune complexité superflue.
Des Motorama, les Beach Youth ont hérité l’air de ne pas y toucher, la simplicité et le caractère direct des approches mélodiques. On leur souhaite d’enregistrer un premier album dans cet état d’esprit et le plus vite possible, avant que cette allégresse et cette simplicité ne soient tendues par l’âge et les tentations de faire le beau.