Il faut être un brin masochiste et midinet pour s’intéresser au premier single d’un groupe qui ne sort qu’en cassette dans une édition limitée à cent exemplaires et dont le seul attrait évident est de compter dans ses rangs le jeune prodige américain Jackson Scott. C’est bien pour cette seule raison qu’on s’est rué sur ce premier EP de Calypso et qu’on a commandé illico l’objet (il faut avouer que recevoir une cassette en 2015 procure une sensation curieuse et infiniment jouissive) : la présence d’un type qui avait signé en 2013 avec Melbourne l’un des trucs les plus saisissants et les plus emballants qu’on avait écouté depuis l’invention de Wavves et des Libertines.
Jackson Scott appartient à la catégorie des jeunes blancs becs de vingt ans qui pratiquent la musique entre deux joints dans un dilettantisme aussi accablant que génial. Melbourne était une collection de chansons brillantes qui évoquait à la fois Radiohead, Jackson C. Frank, Syd Barrett et les Pixies. Le prochain album de Jackson Scott, Sunshine Redux, est annoncé pour fin avril et un premier morceau, Pacify, a été dévoilé qui place la barre assez haute. Reste Calypso, apparu fin janvier chez Atelier Ciseaux, et qui se présente donc comme un projet surprise où Jackson Scott s’associe de manière éphémère (sait-on jamais) à deux collègues, la chanteuse Samantha Richman et un dénommé Sheets Tucker, pour une poignée de chansons qu’on imagine enregistrées sur le pouce, avec les moyens du bord et dans un petit moment « do it yourself » amoureux et/ou éméché dont ce genre de mecs ont le secret. L’existence d’un tel projet autour d’un garçon dont on a dit le plus grand bien et qui s’apprête sûrement dans quelques mois à « franchir un cap » est en soi une bonne nouvelle et marque l’extrême liberté et l’insouciance de cette nouvelle génération post-punk qui n’a pas connu les grandes heures de l’industrie du disque et peut naviguer aussi facilement d’un concert chez l’habitant à une grande salle, d’un projet de grande diffusion à une cassette confidentielle.
Passé l’instant de grâce qui consiste à tenir cette pièce d’artisanat subversif en main, il faut se rendre à l’évidence : ces six morceaux de Calypso, on l’espère pour lui, ne resteront pas dans les annales (encore tendres) de Jackson Scott. Oracle est un ensemble décontracté et en roue libre qui présente les défauts de ses qualités : expérimental, décousu et détendu du gland. Du coup, le groupe passe un peu trop de temps à faire mumuse avec ses instruments et à jammer à la recherche d’un truc intéressant. Et cela se sent. Cela donne à l’arrivée un petit 50% de beau gâchis grunge et instrumentale mais aussi 50% de très bonnes chansons et de petites séquences qui sont tout à fait réussies. Samantha Richman, quand elle prend le chant, a de faux airs de Kim Deal et transporte des éclats abrasifs qui sont tout à fait dans le ton de l’expérience : alertes, concis et incisifs. Sur Isnt Now, c’est Jackson qui s’y colle pour ce qui constitue sans aucun doute LE morceau à retenir ici et un petit joyau de 2 minutes et 51 secondes justifiant à lui seul l’investissement et des comparaisons flatteuses avec l’Eglise Nirvanesque des Premiers Jours. La chanson est mélodique, punk, dissonante, noisy et soutenue par une basse de belle facture. Le chant est foutraque, mal ajusté mais aussi déplacé où il faut.
Oracle constitue à cet égard le genre de ratage dont sont faites les belles carrières et les légendes naissantes : un zeste de jmenfoutisme, un brin de génie et deux doigts d’inspiration. On en pense ce qu’on voudra mais il est à parier qu’on ne regrettera pas d’avoir dépensé une poignée d’euros pour cette magnifique imposture.
02. Velvet Void
03. Diablo Grins
04. Psychoactive Basement Session #1
05. Isn’t Now
06. Dichotomy