Notre goût naturel nous porte très rarement à écouter des disques de chanson française féminine, poétique et en français, comme celui de Buridane. Mais ce troisième album de la jeune femme est de nature à convaincre les plus récalcitrants (dont on fait partie) qu’il y a quelque chose à retenir ici, quelque part entre pop et variété. Colette Fantôme est un disque qui mériterait d’être écouté par le plus grand nombre, c’est-à-dire pas seulement par quelques convertis indé, mais bien de devenir VRAIMENT populaire et d’aller remplacer les horreurs variétoches qui tournent trop souvent sur nos radios. C’est un disque superbe, intelligent, inventif et particulièrement bien écrit. Les textes rappellent par leur poésie, leur générosité et leur caractère non définitif (cette manière de rendre le sens exact insaisissable), les techniques d’écriture de feu Murat.
Sur le plan musical, Buridane bénéficie de l’apport à la production et à la réalisation de Féloche, musicien expérimenté qui assure également la direction du label Silbo Records qui abrite le disque. On prendra pour exemple de réussite le magnifique Tambourine, vraie leçon d’écriture sensible où la production vient donner une vivacité et un dynamisme autour d’arrangements très simples. Le mainstream est habillé d’électro et de petites astuces sonores qui viennent étoffer une structure chanson qu’on suppose montée en acoustique mais pas dénuée d’efficacité.
Il y a quelques titres qui nous agacent parce que très variété justement (Slave) mais que la production vient sortir du commun pour les rendre intéressants et un peu moins familiers. Buridane s’intéresse sur cet album à la destinée d’une alter ego fantomatique (elle ne l’a pas connue), Colette, sa tante devenue religieuse et qui mourra très jeune dans un accident de voiture en compagnie d’une autre sœur avec laquelle elle partageait plus qu’un chapelet. Le portrait de cette jeune femme entravée justement dans sa féminité et qui va affirmer tout au long du disque sa liberté à penser, aimer, évoluer selon son bon plaisir est touchant, fuyant et bouleversant. Sur le chouette Pourquoi tu m’fais pas, la jeune protagoniste entonne d’un ton guilleret les 1001 raisons de ne pas vouloir d’enfant. Le thème est à la mode mais, avec l’aide de Pauline Croze, qui a aidé pour le texte, le traitement est convaincant. Sur Game Over The Rainbow, Buridane signe une chanson particulièrement émouvante et qui rend compte de toute la subtilité de son écriture. Le titre est intriguant, riche et ne cède jamais sur la mélodie, circulant quelque part entre chanson française et accents jazzy. La voix est belle, presque érotique parfois, bien posée et rappelant souvent le charme et la grâce d’une Françoise Hardy jeune plutôt que les intonations souvent agaçantes des chanteuses françaises. Tombeau qui clot le cycle en mode folk intimiste est d’une belle justesse et témoigne qu’avec trois fois rien, on peut faire de très très belles chansons.
On ne fera croire à personne qu’on renonce désormais à l’électricité pour s’enfiler le disque à longueur de journées mais il y a suffisamment de beauté, d’art et de poésie ici pour qu’on s’y arrête et qu’on en dise du bien, qu’on l’écoute avec attention et qu’on en ressente l’émotion au fond de soi. Cette Colette Fantôme agit comme un beau mirage, une initiation à la féminité moderne et triomphante et nous offre une réconciliation attendue avec la chanson française dans ce qu’elle a de meilleur.
02. Colette Fantôme
03. Slave
04. Pluie Vaudou
05. Tambourine
06. Chasser la Nuit
07. Ni Kalifa Ala Ma
08. Pourquoi tu m’fais pas
09. Game Over The Rainbow
10. Tombeau