Christophe Deniau / Look Back In Angers, une histoire de la scène musicale angevine
[Éditions Acétate]

8.8 Note de l'auteur
8.8

Christophe Deniau - Look Back In Angers, une histoire de la scène musicale angevinePour être tombés très tôt dans le rock anglo-saxon, on ne s’est intéressés que très tardivement à la géographie du rock hexagonal à travers les âges. On a alors pris conscience qu’en dehors de la légende qui veut que Nantes et Rennes (puis Bordeaux) aient été des villes fortes du rock français dans les années 80-90, il existait une foultitude de scènes régionales et de petites capitales rock (Caen, Le Havre, Le Mans, Lille, Nancy, etc) et on en passe qui avaient abrité, comme Liverpool, Leeds, Newcastle ou Oxford, des écoles entières de jeunes groupes fougueux et tout à fait fréquentables; Ce n’est pas maintenant qu’on va rattraper notre retard (la musique circule aujourd’hui au moins aussi vite que les TGVs) et sans doute est-ce que cette approche par les campagnes n’a plus rien à voir avec ce qu’elle était hier. Il y avait à l’époque des scènes organisées autour de deux ou trois lieux, des groupes qui circulaient moins et surtout ne pouvaient pas s’appuyer sur les mêmes leviers/moyens pour se faire connaître.  Il se trouve d’ailleurs que ces mêmes groupes donnaient jusqu’à il y a peu des CONCERTS, sortes de rassemblements en salle de plus de 30 personnes en sueur et avinées qui leur permettaient de s’exprimer. Curiosité, curiosité. Les temps changent et heureusement. On imagine assez mal ce que pouvaient faire les gens avant l’invention des Facebook lives et autres sauteries en ligne.

Mais fi des digressions. Christophe Deniau signe avec Look Back In Angers qui évoque, bien entendu (?), le standard des Television Personalities et non celui plus connu de Oasis (Dont Look Back In Anger), enfin espérons le, un panorama sous forme d’abécédaire du rock angevin. Le livre est plutôt bien fichu, bien écrit et permet à ceux qui, comme nous, ne connaissaient Angers que pour sa tapisserie de l’Apocalypse et les Thugs, de plonger dans un univers aussi méconnu que mystérieux. La plupart des groupes qu’évoque Deniau sont morts et n’auront laissé derrière eux qu’une trace infime : des concerts, quelques disques gravés ici ou là et qui se transmettent (on suppose) dans les brocantes du coin, discogs ou dans l’enfer des collectionneurs reliquaires. C’est une sacrée affaire que de ressusciter ce monde là, tous ces espoirs, toute cette énergie juvénile et électrique, ainsi répandue pour la beauté du spectacle et la gloire d’avoir été les rois et reines de la fête. Deniau parle de Denis Péan et de Lo’Jo, il parle des Thugs dont on présentait la biographie il y a peu, il parle de les Atlas (au milieu des années 60), des Drifter’s, des Missiles dans une sorte de géographie psycho-historique des quartiers qui constitue une introduction passionnante. Avec lui, et sur la vingtaine de pages qui constituent l’amorce de son abécédaire, on est projeté avec vivacité et un certain bonheur dans un terroir dont on ignorait tout.

Le choix de l’abécédaire qui occupe de l’ouvrage est un peu moins sexy et poétique avec son organisation alphabétique et statique mais permet, pour celui qui en prendra la peine, de passer le doigt, l’esprit sur quelques groupes du passé. Il est probable qu’on n’écoutera pas tout cela en entier mais qu’ici coucher sur le papier ces groupes disparus a un sens : celui de l’archéologie et de l’entomologie, celui de la conservation et du ressouvenir. Algue était un groupe de rock progressif composé de Noël Gaultier, de Michel Vivier, de Philippe Beuchard, de Bruno Guyot. Leur premier 45 tours sort en 1981. Algue devient Ways en 1986 et sort un album qui s’appelle Planètes. Voilà ce à quoi on est confronté ici : la mémoire est hiéroglyphique. Ces groupes ont-ils existé ? Cette histoire angevine est-elle réelle ou ouvrage de fiction ? Il faut taper les noms un à un et les chercher sur youtube pour s’apercevoir que tout ce qui est écrit est REEL et a pu constituer une Histoire à part entière, d’hommes et de femmes, de concerts, de spectateurs, de lieux, d’espaces-temps.

https://www.youtube.com/watch?v=3jal46652bw

Boutique du Tao. Projet du chanteur Fabrice Nau. Rassemble le guitariste Raphaël Thuïa, le bassiste Nicolas Kham Meslien, et le batteur Mehdi Ennemri. Discographie : EP Studioscope démos (autoproduction, 2008). 

Le livre de Deniau est une merveille. Connaissiez-vous Explosive Coolies ? Le projet de Jean-Pierre Théolier, de Seconde Chambre et de Laurent Terrade ? Enchanté. The Flanders ? Kyu ? Lucid Ann ? Dire qu’il y a des imbéciles qui se sont emballés sur le Da Vinci Code et toutes ces âneries ésotériques quand il suffisait de se pencher sur l’histoire locale pour ouvrir des espaces imaginaires aux dimensions infinies. Voilà le pouvoir de Deniau et celui de l’écriture : ressusciter des vies, ni plus ni moins, donner envie d’entendre résonner à nouveau la fureur de The Noodles, groupe du milieu des années 90, programmé (c’est son heure de gloire) par John Peel quelque part entre Lemonheads et The Wedding Present, nous apprend l’auteur. Qui dit mieux ?

Look Back In Angers est une malle au trésor. Ce n’est pas grand chose en terme de littérature mais quel bonheur de recroiser les Occidentaux qu’on avait tant aimés. La Phaze, revenus récemment aux affaires. Tous les disparus, les jamais apparus, les morts et les vivants. Le rock est un cimetière des éléphants. Il n’y a pas de petites vies. Pas de petits groupes. En les mettant tous sur le même plan, Deniau nous renvoie à la dimension réelle et spatio-temporelle du genre, à son inscription dans un présent perpétuel, à ce qui nous manque infiniment aujourd’hui. Les grands groupes ont rarement joué pour la postérité. Ils ont toujours été là, au coin de la rue. Le livre renvoie à l’économie finissante, à la question de la survie des salles, des petites, des cafés, à la subsistance élémentaire, au temps qui passe, aux larmes, aux mésalliances, à l’évolution des sons, à la vie. Ce livre en soi n’est pas grand chose mais il n’est pas loin d’être l’un des plus importants de l’année. On peut préférer les trucs de Simon Reynolds qui vous refont la planète entière en 100 pages. On peut préférer la macro-économie. Mais c’est toujours le réel qui finit par perdre ou gagner. Le commerce de proximité qui vend les meilleurs souvenirs, ceux de première nécessité.

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