Dominique A / La fragilité
[Wagram Music / Cinq7]

7.5 Note de l'auteur
7.5

Dominique A - La fragilitéSuite principalement acoustique (et enregistrée à la maison) d’un diptyque amorcé en mars avec le très moyen Toute Latitude, la Fragilité, le dernier album du tout récent quinquagénaire Dominique A, est un choc . Choc parce qu’il permet, sur sa simplicité et son minimalisme, de retrouver un contact direct, étroit et charnel avec la poésie d’un type qui nous enchante (ou désenchante) depuis plus de 25 ans. Choc esthétique et générationnel aussi parce qu’on n’avait jamais pris (ou repris) conscience qu’on était toujours autant en phase avec l’écriture, la façon de voir et les préoccupations du Nantais.

La Fragilité (n’ayons peur de rien) est l’album de Dominique A qui nous aura donné le plus de plaisir aux premières écoutes depuis Remué en 1999. A l’époque, Dominique A avait du chien, de l’électricité dans les jambes et une forme de revanche d’après Twenty-Two Bar à exprimer. La fragilité sonne en contrepoint comme l’album d’après le formalisme, l’album de la simplicité et paradoxalement de l’absence d’ambition. C’est un album qui s’interroge sur le sens de l’existence et le temps qui passe, sur l’amour et l’usure du monde sans chercher à y apporter de réponse explicite. C’est un album apaisé et apaisant où l’on regarde le chemin parcouru sans exprimer de regret ou de frustration. On avait décroché du héros sur Eléor et Toute Latitude qu’on trouvait trop abstraits et « élevés » pour notre goût. On avait dédaigné Vers Les Lueurs pour son côté éblouissant et panthéiste. La Fragilité permet à Dominique A de revenir à des thématiques intimistes dans le plus simple appareil et de nous donner à nouveau le sentiment qu’il chante pour nous plutôt que pour lui-même ou les étoiles.

L’album a quelques faiblesses qui ne pèsent pas bien lourd face à ses qualités. Le rythme est lent, souvent au-delà du raisonnable, ce qui peut déconcerter en ces temps de vivacité acharnée. La Fragilité (le morceau qui donne son titre à l’album et le referme) fait ses six minutes et a beau être porté par la force de son texte manque de ressort et d’amplitude pour convaincre tout à fait. On retrouve ce symptôme sur un démarrage piano piano (guitare guitare, en fait) où c’est le texte et la narration qui viennent compenser une musique à l’arrêt ou sans rien de remarquable. La Poésie et Comme l’Encre à l’ouverture installent l’album sur le terrain du littéraire et de la poésie, du mot imprimé et de l’écrit. C’est évidemment une des contradictions qui ont toujours agité le travail de Dominique A. Une chanson peut-elle être trop écrite ? Peut-elle déborder de littérature au point de sonner, même chantée, comme si on la lisait ? La Poésie est un texte anachronique de grande qualité mais qui installe l’auditeur dans l’idée qu’il pourrait bien s’ennuyer ici et que rien ne bouge. Il faut attendre Le Grand Silence des Campagnes pour que l’album décolle, grâce à une simple boîte à rythme (toujours la même, boîte signature). Dominique A a déjà composé de nombreux titres (le Convoi entre autres) animé par le même lyrisme et le même souci du réalisme social. Le Grand Silence des Campagnes parle de la vie rurale comme aucun autre morceau avant lui. C’est écrit superbement et soutenu par une tension pleine de tendresse et d’attention aux autres. C’est le genre de titres qui remuent et impressionnent par leur justesse poétique.

Cette justesse d’intention et d’exécution est vraiment ce qui caractérise l’album qu’on se situe dans un registre intimiste total (Comme au Jour Premier, l’excellent et coquin J’avais Oublié que tu m’aimais encore), dans l’illumination existentialiste (la Splendeur qui n’aurait pas dépareillé sur Vers Les Lueurs, mais qui ramène le traitement à hauteur d’homme) ou l’évocation d’un souvenir lointain (le Ruban qui parle de la disparition de la mère probablement, sur fond de bombardement). Les textes sont d’un raffinement et d’une subtilité inouïs, à la bonne distance entre un brin d’abstraction et un prosaïsme qui parle immédiatement. Dominique A se pose en conteur et historien sur quelques morceaux marquants comme le Ruban, à la scansion Brelienne, qui surprend par sa précision et son originalité.  Le Temps qui passe sans moi est un morceau merveilleux et compte parmi les grandes réussites de l’album. « Mes yeux me suffiront pour sentir que la vie/ Circule et même si je ne suis pas dedans/ Si je suis en dehors ou juste au bord du plan/ Il y a tant de choses qui donnent juste envie/ D’un regard qui les sauve. », chante Dominique A d’une voix pleine de nostalgie et d’espoir. L’attention portée au détail, aux choses et aux éléments est l’une des forces du chanteur qui se déploie aussi bien sur le pagnolien Le Soleil que sur l’indispensable Beau Rivage.

Évocation mi-réaliste, mi-amoureuse, cette chanson symbolise à elle seule la belle réussite que constitue la Fragilité. Tout Dominique A semble contenu dans cette petite histoire : la dérive amoureuse, l’idée d’une installation quasi mythologique, l’issue heureuse et fatiguée, la voix frêle et tremblante des débuts. L’arrangement guitare/pulsation rythmique suffit à tenir le souffle debout. Le nom du paradis enfin trouvé, Beau Rivage, évoque tout autant un Eldorado de bout du monde qu’une maison de retraite. Il y a une intelligence et une subtilité dans la composition qui, après toutes ces années, continuent d’émerveiller.

Est-ce le cap de la cinquantaine ? (la sienne, pas la nôtre) Est-ce le fait de vieillir ? Il y a dans cet album de Dominique A une telle sérénité, une telle joie d’être au monde et d’avoir encore les yeux ouverts que la musique s’en trouve elle-même éclaircie et allégée, comme dégagée de la responsabilité de convaincre. C’est dans cet état de retour à la naïveté et à l’impulsion créatrice presque primitive qu’on prend plaisir à renouer le contact et à redécouvrir le texte, le fardeau et le fondement de la chanson française, au centre du jeu. La Fragilité est un album de costaud, un album où le granite vibre avec la force et l’indécision du verre tendre. Dominique A a tout bon cette fois et pour longtemps. Sauf pour la pochette bien sûr….

Tracklist
01. La poésie
02. Comme l’Encre
03. Le Grand Silence des Campagnes
04. Comme au jour premier
05. J’avais oublié que tu m’aimais autant
06. La Splendeur
07. Le Temps qui passe sans moi
08. Le Ruban
09. Le Soleil
10. Le Beau Rivage
11. La route vers toujours
12. La Fragilité
Ecouter Dominique A - La fragilité

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