Colin Stetson presents Sorrow a reimagining of Gorecki’s Third Symphony
[Kartel Bertus Music Services]

6 La note de l'auteur
6

Colin Stetson presents Sorrow a reimagining of Gorecki's Third SymphonyLa troisième symphonie de Gorecki est probablement l’une des œuvres les plus belles, les plus tristes et les plus connues du XXème siècle. Tenter de la réimaginer est de fait au premier abord une absurdité presque totale tant l’œuvre originale (1976) se suffit à elle-même et emporte, sur sa seule partition et la fait qu’elle soit devenue ce qu’elle est, toute altération ou tentative de transformation qu’on pourrait lui apporter. D’un autre côté, ce n’est pas parce qu’une œuvre est parfaite qu’on ne doit pas s’autoriser à la faire vivre et à l’interpréter. La distance est du reste assez ténue entre les variations apportées par une interprétation inventive note à note et, comme ici, une interprétation, globalement très révérencieuse, qui « ajoute » des instruments et quelques séquences à la partition originale.

La démarche de Colin Stetson, saxophoniste géant rencontré, versant pop, chez Arcade Fire ou Bon Iver, mais qu’on avait suivi aussi sur ses expérimentations jazz au long souffle, fait partie des tocs bizarres qui prennent possession parfois des « stars » de la pop, à l’âge de la maturité. L’homme a croisé la musique de Gorecki et a eu envie d’en donner sa version « filtrée par sa propre sensibilité ». Pourquoi pas après tout ? Ce n’est pas comme si le type était un ahuri et n’y avait rien compris. Entouré par un ensemble à cordes et par des membres du groupe  Liturgy, Colin Stetson revisite ainsi une œuvre qui fascine pour son caractère composite et par l’équilibre qu’elle a su trouver entre romantisme et expressionnisme.

C’est du reste à cet équilibre fragile que semble en vouloir Stetson. Son traitement du premier mouvement est à cet égard assez symptomatique de ce qu’il développera par la suite : il s’agit souvent de souligner (surligner diront les plus critiques) les séquences émotionnelles en en appuyant la musicalité et en renforçant le lyrisme. La version de Colin Stetson, globalement très fidèle à l’original, devient ainsi une version quasi illustrée où les séquences, parfois assez austères chez Gorecki, sont sublimées et arrangées de telle sorte qu’on en saisisse plus directement l’émotion. Ce renforcement émotionnel est d’autant plus curieux ici qu’il vient d’un type, Stetson donc, qui a surtout bossé auparavant dans le champ du minimaliste. Etrangement encore, dans cette tentative de renforcement des séquences, Stetson semble se montrer plus sombre et plus pessimiste  que Gorecki. Certaines séquences assombrissent le propos, tirant le caractère lumineux et sacré de l’original vers une version plus terrestre et lugubre. Il est assez difficile toutefois de porter un jugement de valeur sur cette interprétation qui reste en tout point fascinante et dont il est souvent assez ardu de se détacher : la partition originelle est si bien ancrée en nous que notre oreille a tendance à entendre les notes et les instruments qui n’y sont pas ou plus.

Sur le premier mouvement, Stetson négocie à merveille le milieu de séquence. La voix soprano est habitée et relevée de picking de cordes bien placés. Les deux dernières minutes du mouvement emmènent la symphonie vers des territoires plus rock et tortueux sous l’influence des batteries de Greg Fox et l’on marche à fond dans ce mélange d’audace et de sobriété. En injectant une autre dynamique dans une symphonie qui repose en partie sur sa succession atypique de mouvements lents, Stetson réussit un assez joli coup, sans toutefois qu’on crie au sacrilège.
On est un peu plus sceptique sur l’interprétation du deuxième mouvement qui nous paraît moins subtile et profonde. Le saxophone de Stetson joue les enluminures et l’ensemble nous rappelle la musique de Kenji Kawai pour le film Avalon de Mamoru Oshii. On adore cette bande originale (pour un tas de raisons) mais ramener la symphonie de Gorecki sur ce terrain-là, plus léger et badin, n’est pas forcément ce qui paraît le plus approprié. Ce mouvement est, rappelons- le, une prière à la Vierge Marie gribouillée par une jeune femme prisonnière de la Gestapo. Pour le coup, on y est plus du tout. Stetson est de fait plus à l’aise pour illustrer les tourments de l’âme, les affres de la souffrance ou l’inquiétude que pour suggérer l’élévation et  le dénuement. Là encore, si le disque fonctionne tout à fait (ce qu’on ne niera pas), on se demande si c’est en raison du souvenir qu’on garde de l’original ou de la réinterprétation de Stetson. Si l’on considère que le deuxième mouvement est globalement dysfonctionnel (mal équilibré, trop mainstream), on peut se raccrocher aux branches d’un final assez bien mené. Les séquences chantées sont sublimes et d’une belle clarté. Stetson a modifié le mixage qu’on connaît pour amener, ce qui est de bonne guerre, la voix soprano vers l’avant. La partition semble plus lisible, plus claire ce qui, ici, ne l’affaiblit pas. On n’est pas certains que sa lecture échappe à la tentation de simplifier ce qui ne l’est pas, mais l’effet est conservé et le mouvement qu’il croque a de l’amplitude et surtout une belle élégance.

On pourrait ainsi, si l’on s’en tenait à une stricte analyse musicale, être beaucoup plus critique qu’on ne l’est : simplification des effets, emphase sur certaines séquences, ratés sur le second mouvement, sens du sacré incertain. On tient là tous les stigmates d’une interprétation qui se rate dans les grandes largeurs. Mais ce n’est pas ce qu’on retient de la version de Stetson qui, parce qu’elle est sincère et cohérente, permet peut-être d’expliquer pourquoi cette symphonie d’abord difficile est devenue le plus grand succès commercial classique du siècle dernier.

La symphonie de Gorecki est un mystère que Stetson éclaire pour nous. Elle renvoie à une beauté pop et universelle (le chant populaire, le chant sacré) qui parle intensément aux oreilles. Stetson en choisissant de faire parler l’émotion renvoie directement à ce qu’ont dû entendre tous les gens qui ont aimé ce morceau : de l’émotion pure, de l’émotion qui est comme contenue tout du long, par la prison, par l’ordre nazi, par la lenteur, par le poids de la vie, et qui bout, prospère intérieurement, sans jamais vraiment éclater. Stetson a globalement respecté ce contrat tacite qui veut que tout ici soit joué « en dedans » ou plus précisément « depuis l’intérieur ». Si la simplification du message est indiscutable, Stetson réussit son pari qui est de donner à entendre…. ce qu’on avait déjà pu entendre en nous, de rendre libre ce qui était contenu par la frustration. Sa version est probablement plus proche de la vérité de l’œuvre telle qu’elle apparaît à chaque homme qui l’écoute : une version « popularisée », proche du vrai son qui en définit la ligne claire et le sentier d’émotion. Une version primale où le cri est autorisé, faible mais autorisé tout de même. On n’est pas certain que cela en dise beaucoup plus que ce qu’on savait déjà, mais cela n’en dit pas moins, ni surtout pas moins bien. Ce qui en termes de jeu est déjà beaucoup. On peut donc y aller chercher la même paix et tranquillité que dans l’original, les mêmes larmes joyeuses.

Tracklist
01. I
02. II
03. III
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