Trevor Gureckis / Old Original Motion Picture Soundtrack
[Back Lot Music]

7.2 Note de l'auteur
7.2

Trevor Gureckis - Old Original Motion Picture SoundtrackTrevor Gureckis est un compositeur en phase ascendante, un jeune loup des cordes et cuivres qui produit des BO à son image : conquérantes et vives, intrigantes et marquées par une certaine violence dissonante. Ses attaques sont franches, sèches et à la limite de la brutalité, et ses caresses semblent dissimuler toujours une vacherie ou un futur coup fourré. La vivacité de ses approches est perçue comme quelque chose d’assez inédit et qui bouscule les codes bien établis de la BO, presque aussi solides que les canons de composition d’une symphonie. Gureckis ose se répéter, travailler toujours la même émotion comme s’il était inutile de vouloir varier les tempos, de vouloir faire peur et puis d’accompagner ensuite par une sérénade une scène d’amour. Ses BO sont obsessionnelles, comme sur le beau The Goldfinch, ou abstraites (Voyagers). Sa rencontre avec Night Shyamalan s’est nouée autour du projet Servant, une série (qu’on a pas vue malheureusement) qui a, semble-t-il, rencontré un certain succès sur Apple TV+. Gureckis a composé la BO, Shyamalan réalisé quelques épisodes de la saison 1. Les deux hommes se sont naturellement retrouvés au chevet de Old qui, après le spectaculaire redressement connu par la carrière du réalisateur de Sixième Sens, et sur son pitch (une plage où l’on vieillit de manière accélérée), était très attendu.

Etrillé par la critique et succès en salles, Old est néanmoins un excellent film de genre, tourné à l’économie (pendant la pandémie) et qui tire de son sujet, un brin abracadabrantesque, et si on peut composer avec quelques incohérences, à peu près tout ce dont il était possible de tirer. Le scénario de Shyamalan, une fois n’est pas coutume, n’est pas strictement original mais tiré d’une BD  suisse, Château de sable, de Lévy et Peeters. Ceux qui ont aimé la BD ont toutes les chances de détester le film qui repose sur son principe repoussoir selon lequel l’âge et le passage du temps sont non seulement une malédiction mais des forces d’enlaidissement majeures du réel. Si Old est un film d’horreur, ce n’est ainsi pas tant pour ce qu’il montre (quelques morts et scènes vaguement horrifiques) que parce qu’il renvoie le spectateur à la fragilité et à l’insignifiance de son existence qui, sur cette plage dissimulée aux touristes, lui saute littéralement aux yeux. Le film est une révélation brutale, un accélérateur de sens remarquable, dont les personnages sont des marionnettes, parfois à peine dessinées, et qui sont toutes entières assujetties à l’objectif : montrer la laideur de la vie sur terre et le caractère abject de la plupart d’entre nous. Comme c’est Shyamalan, l’un des derniers génies humanistes travaillant à Hollywood, qui opère, le message est évidemment tempéré par quelques notes d’espoir et possibilités de rédemption qui s’exprime dans la chute des commanditaires (dans un final impeccable et qui, en pleine pandémie, dénonce l’industrie pharmaceutique, ce qui n’est pas rien) et dans quelques « belles » morts comme celle du couple qui s’entredéchire avant de s’éteindre en pleine harmonie ou la belle relation nucléaire entre le frère et sa soeur.Comme souvent chez Shyamalan, c’est dans la cellule familiale qu’on trouve ce qu’il reste d’espérance : l’attachement, l’attention à l’autre et le respect de sa différence.

Gureckis sert, avec sa musique, le dessein du réalisateur avec une servilité exemplaire en produisant une BO répétitive, assez ennuyeuse à la réécoute et qui tente, très souvent, de ne pas faire de bruit. Le son reflète le calme angoissant et désolé de la plage tropicale (rien à voir avec le rêve d’Alex Garland, la Plage, flamboyant, néo-hippie et majestueux), mais aussi progressivement les angoisses des protagonistes (malades, mais on ne veut pas divulgacher), comme si on plaçait sur son oreille un coquillage et qu’on y entendait toutes les peurs du monde, celle de la mort comme celle de la maladie, du désamour ou de l’abandon. Le résultat est angoissant, Gureckis mêlant habilement des séquences chichement orchestrées, du synthé et des notes éparses de piano qui n’ont jamais rien de tout à fait léger ou rassurant. Les plages sont brèves, fugaces et notoirement sous-développées (Morning Swim, 55 secondes par exemple), car tout ici va passer vite, être pour ainsi dire bâclé comme une vie peut l’être et filer vers sa fin. Comme les personnages du film, la BO n’a pas le temps de pousser des thèmes significatifs ou de prendre de l’ampleur. Elle refuse les effets de manche ou d’héroïsme pour agir comme un compte à rebours. On n’entrevoit ainsi que ce qu’elle aurait eu pu être si elle avait eu le temps comme sur le splendide Slot Canyon qu’une minuterie vient éteindre au bout d’une minute et quarante secondes. Car ce qui intéresse Shyamalan et le compositeur c’est de soumettre son casting aux ravages du temps. Les titres ne trompent pas : Body (cadavre), Disoriented, Collapse, Surgery sont de la même farine et illustrent les 1001 peines qui peuvent affecter les « participants ». Les morceaux sont émaillés de sonorités métalliques, malaisants et moches.

Un peu plus loin (dans le film et la BO), on croit que le destin va s’éclaircir avec la grossesse éclair d’une des protagonistes (qui avait 6 ans, quelques minutes avant ça) mais l’enfant ne passe même pas la demie seconde. La musique, de toute façon, ne lui a jamais donné sa chance et l’écrabouille à coups de percussions et de sons graves. C’est une boucherie qu’on grimpe pour s’échapper (Climb) ou qu’on descende dans la folie (Attack et ses rythmiques tribales dingo) : tout  n’est que mort et désespoir. Le recours à l’électro de Gureckis est à peu près aussi funky que de s’enfiler l’intégrale des concerts de Throbbing Gristle et ajoute au caractère traumatisant du film. Si les critiques s’en sont émus, c’est que l’effet recherché était là : inspirer le dégoût et le rejet par tous les moyens. L’expérience spectateur est dégueulasse et on hésite à demander le remboursement, non parce que le film n’est pas bon mais bien parce qu’il nous renvoie exclusivement à des pensées négatives.

Last moments nous procure un bref instant de répit. Le temps s’arrête enfin pour donner une mort douce et apaisante. C’est la seule concession que feront Gureckis et Shyamalan à leur feuille de route, avec un Sandcastles tendrement anecdotique et qui donnera les clés de la sortie aux survivants. Comme souvent chez le réalisateur, c’est en revenant vers l’innocence et la spontanéité qu’on peut trouver l’issue de cet Escape Game morbide. La conclusion, Are There Others, est impeccable, tendue vers l’inquiétude à venir (une suite qui n’existera pas) mais peine à faire oublier l’unique morceau chanté ici, la chanson-titre Remain donnée par l’outrancière Saleka, balade FM romantique et faussement inspirée qui referme le couvercle horrifique comme il se doit, en laideur et second degré.

Gureckis ne marquera peut-être pas de points avec cette BO. Elle est trop illustrative pour laisser des traces durables. Il n’y a aucun thème saillant, ni aucun morceau de bravoure. Cela n’en reste pas moins une bande son utilitariste à la valeur ajoutée évidente. Cela peut être aussi ça composer : servir le film jusqu’à en crever avec lui. Old est une tuerie et un suicide à la fois. C’est un film remarquable, affreusement sérieux et concentré sur son sujet. On ne peut pas en faire un grand Shyamalan mais il est  bien plus intéressant, signifiant que ses grands films ratés du passé qu’on parle de After Earth (le pire de tous) ou de The Last Airbender. On peut le trouver au moins aussi réussi que la Jeune Fille de l’eau (pas du tout un nanar comme on le croirait) dont il reprend quelques uns des ingrédients en « faisant du sale » comme diraient nos amis les jeunes.

Tracklist
01. Main Title Theme
02. Siblings
03. Morning Swim
04. Slot Canyon
05. Body
06. Feel Different
07. Have You Seen My Children?
08. Disoriented
09. Collapse
10. Surgery – Trevor Gureckis & Jay Wadley
11. Delivery
12. Reflections
13. Knife – Trevor Gureckis & Jay Wadley
14. Tell Me
15. Need Time
16. Climb
17. Now
18. Attack – Trevor Gureckis & Jay Wadley
19. Last Moments
20. Sandcastle
21. Message – Trevor Gureckis & Jay Wadley
22. Watchers
23. Return
24. Looking Back – Trevor Gureckis & Jay Wadley
25. Remain – Saleka
26. Are There Others?
Écouter Trevor Gureckis - Old

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