La vie n’est pas facile. Tout le monde s’accordera aisément là-dessus, ce qui n’empêche pas les Suisses de Leopardo de se poser la question tout au long des neufs chansons de leur premier véritable album. Quatuor suisse organisé autour de Blaise Yerly, Romain Savary, Noah Satori et Giuliano Iannarella, Leopardo a démarré initialement comme un projet solo à travers lequel Romain Savary, parti en virée new-yorkaise, écrivait pour sa copine de l’époque (on ne sait pas où ils en sont aujourd’hui). De fil en aiguille, le groupe, dont le leader était entretemps revenu au bercail, s’est mis à exister puis à donner des concerts ce qui nous vaut aujourd’hui cet excellent album enregistré dans les conditions du direct.
Le titre éponyme, qui ouvre le disque, est un peu poussif et fait penser à une chanson surf rock ralentie, à du Ty Segall en petite forme ou essayant de se donner un genre. Il faut oublier ça et aller directement à la suivante, Modern Love, laquelle donne les clés de cette petite affaire. La voix est remarquable et les guitares mènent la danse. Leopardo évolue dans un registre lo-fi qui tient autant des premiers punks à guitare (on parlait récemment de Peter Laughner, le mystère de Cleveland) que des branques du mouvement DIY. Lorsque la chanson est bonne, c’est un plaisir de se laisser embarquer et de ressentir le frisson de l’instant. Le titre repose sur deux accords répétés et sur un chant désinvolte qui lui colle à la peau. C’est à peu près la même histoire avec l’excellent Holiday of Love que le groupe agrémente d’une nappe de guitares fuzz qui entraîne le tout dans une veine psychédélique du meilleur aloi. Leopardo est pop, psyché-pop pour être précis, et se gargarise de la répétition. On pourra penser que le morceau est un poil long mais il ne faut pas faire la fine bouche. Leopardo ne fait pas n’importe quoi même s’il s’attache à le laisser penser. Fear est le titre le plus cool des neuf. « You’re afraid of myself tonight » constitue quasiment la seule ligne de texte que répète le chanteur d’un air psychotique. On sent la folie prête à sortir du corps, la folie qui s’insinue dans l’obsession amoureuse et qui atteint des sommets sur la fin du morceau. C’est du bel ouvrage.
Leopardo rentre un peu dans le rang par la suite avec les cabotins Happiness, morceau plus calme et qui va chercher, dans la durée, un effet de densité qu’il ne trouve pas tout à fait au point de passer pour un titre de transition, et l’agaçant Alone On Earth, trop outré pour nous. I Wanna Tame You initie une veine pop, séduisante mais finalement assez passe-partout. Il faut saluer la simplicité et l’efficacité des textes, romantiques en diable qui parlent de réveils tendres ou de solitude, de fin du monde et de mort, sans beaucoup plus de précision. Leopardo alterne le moins bon et l’excellent à l’image de l’impeccable Again, chanson bringuebalante, sensible et brillante qui a tout bon. Le final est au moins aussi curieux que le reste puisqu’il s’agit techniquement d’une chanson historique évoquant l’armée chinoise (Chinese Army), ses conditions de vie et sa balade à travers le pays. C’est punk et complètement vain mais gentiment intrigant et saturé d’énergie. On n’est pas tout à fait chez Frustration, même si on s’en approche sur la fin. Et pourquoi pas après tout ?
Il y a dans ce groupe un potentiel de dérangement et de folie qui n’est pas exploité pleinement mais s’exprime suffisamment pour qu’on ne s’ennuie pas souvent ici. Il n’en reste pas moins que Is It An Easy Life? a les défauts de ses qualités et finit en disque écartelé, avec un impact incertain en raison de cette dispersion des moyens et des cibles. En sautant du coq à l’âne, on finit sur le cul plutôt qu’à chevaucher l’un ou l’autre. C’est un peu la morale de l’histoire, même s’il vaut mieux ça que de rester chez soi. Leopardo est un groupe à suivre.