David Bowie / Blackstar
[Sony]

David Bowie BlackstarLe Bowie des vingt dernières années s’impose comme imprévisible – pour le pire comme le meilleur. Retour du bowieno (Outside, de plus en plus fascinant avec le temps), jeunisme drum’n’bass (le martial Earthling), épure bénéfique (Heathen, dont-on retient surtout le remix de A Better Future par Air), puis trois albums grabataires que la clémence obligeait à très vite enterrer. En 2016, attention, Mister Jones revient aux affaires « expérimentales » (si le mot signifie encore quelque chose). Le single initial, interminable Blackstar, renseignait sur l’idée que se fait aujourd’hui Bowie de la musique dite avant-gardiste ; en gros : du Radiohead en moins geignard (il est vrai que Bowie chante beaucoup mieux que Thom Yorke). De quoi cependant inquiéter jusqu’aux puristes du Thin White Duke (Jérôme Soligny excepté) : avec Blackstar (l’album), on sentait venir le concept fumeux construit autour de sept balises (pas six, pas huit, mais sept) aux longueurs excessives (car faire de l’Art en musique signifie actuellement « dix minutes sans couplet / refrain au propos crypté »). Bof oui, comme Bowie ? Ce serait oublier l’extrême intelligence et l’acuité stratégique du plus grand musicien en provenance de la planète Anthea.

En ouverture, Blackstar, écoute après écoute, laisse toujours aussi perplexe : pensum arty sauvé par la voix crooner du maître ou bien géniale ascension que le temps réhabilitera ? On opte pour la première option. L’affaire vire au cauchemar avec ‘Tis a Pity She Was a Whore, sorte de free-jazz évoquant la pire chanson jamais composée par Radiohead (décidément, la référence du disque), Life in a GlasshouseKing Crimson cherche à éduquer cet illettré de public rock. En deux titres à peine, l’auditeur n’exprime qu’une envie : virer ce ramassis postmoderne (traduction : post n’importe quoi) et replacer Low sur la platine afin de se narrer « le vrai Bowie ». Mais le bientôt septuagénaire reste un sacré filou : en troisième place, Lazarus agrippe et ensorcelle avec une sacrée aisance. Guitares parcimonieuses mais précieuses, apport électronique montant crescendo, paroles troublantes, voix implorante : du bon, du très bon Bowie. Du coup, facile de pardonner Sue (Or in a Season of Crime), démonstration hi-fi semble-t-il adressée aux cadres dynamiques jamais remis d’une jeunesse bercée par le Floyd (celui de Gilmour) et Peter Gabriel. De leurs côtés, les plutôt limpides Girl Loves Me et Dollar Days plaisent pour une salutaire simplicité (y a même des refrains !).

Bowie le malin : quelques titres où le briscard, pour son plaisir, vire à l’hermétisme façon « musique de jeunes vieux » ; d’autres spécialement conçus pour les journalistes aux cheveux dégarnis (qui vénèrent Burial ou… ce petit groupe issu d’Oxford) ; et puis, tout de même, des sursauts mélodieux rappelant que le sieur David parle encore le langage de ses apôtres.
Si Neil Young incarne la jeunesse éternelle, Iggy l’opportunisme, John Cale la curiosité et Cohen le papy sympatoche, Bowie, lui, ad vitam aeternam, restera cet alien débarquant sur Terre et conversant, avec plus ou moins de réussites selon les époques, avec la race humaine. À soixante-neuf balais – environs vingt-quatre albums au compteur -, c’est déjà énorme…

Tracklist
01. Blackstar
02. ‘Tis a Pity She Was a Whore
03. Lazarus
04. Sue (Or in a Season of Crime)
05. Girl Loves Me
06. Dollar Days
07. I Can’t Give Everything Away
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