The Smile / Wall of Eyes
[Self Help Tapes/ XL Recordings]

5.8 Note de l'auteur
5.8

The Smile - Wall of EyesLe moins que l’on puisse dire, c’est qu’on avait pas été particulièrement tendre avec le premier album de The Smile, A Light for Attracting Attention. Avions-nous été sévères à l’époque ou est-ce que notre oreille a grandi deux ans plus tard et s’est éveillée au point de trouver plus intéressant aujourd’hui ce qu’elle considérait comme barbant hier ? On ne sait pas trop. Toujours est-il qu’on est prêt à concéder quelques qualités à ce Wall of Eyes, qui réunit toujours Thom Yorke et Johnny Greenwood de Radiohead et le batteur Tom Skinner (du groupe de jazz Sons of Kermet).

L’album démarre sur un faux rythme jazzy assez mou du genou mais caressant. Wall of Eyes sonne comme du Radiohead avec des percussions bossa, un peu étrange et évanescent. Ce n’est pas très convaincant et surtout pas très incarné. L’impression se prolonge avec un Teleharmonic dont tout ce qu’on retient est finalement l’intéressante texture sonore : le texte est hermétique et pas forcément très intéressant (Somewhere you’ll be there / So Long), le chant de Yorke pas si expressif que ça. On entre dans cet album comme si on ne voulait pas vraiment de nous et surtout sans qu’on puisse comprendre où les trois hommes veulent en venir. Les ambiances sont assez chaleureuses mais l’accueil froid et impersonnel. Il faut attendre le troisième morceau, Read The Room, pour qu’on se sente concernés. Le chant de Yorke est suffisamment agaçant pour qu’on s’y accroche et les variations de rythme (après 1’50 par exemple) amènent au morceau de jolis détours qui rendent la chose intéressante. Les guitares de Greenwood évoluent entre discrétion psychédélique et rock assumé, tandis que Skinner mène la danse. Under Our Pillows (chanson sans enjeu qui fait passer le Spent The Day In Bed de Morrissey pour un chef d’oeuvre) intrigue elle aussi par sa structure décomplexée. The Smile joue avec les codes du jazz et du math rock, rendant une copie à la fois alambiquée mais finalement pas si surprenante ou déviante que cela.

Cette chanson nous donne les clés d’un groupe qui semble ne pas avoir grand chose à faire de la liberté qu’il se donne. On sent une forte envie de déconstruire, d’expérimenter, de passer du coq à l’âne mais le résultat n’est jamais vraiment bouleversant ou novateur. Ce n’est pas toujours grave. Il y a ici de très belles chansons à l’image d’un Friend of A Friend, somptueux et qui est peut-être la chanson chantée par Yorke qu’on préfère depuis 15 ans, une gentille miniature, pièce montée à triple détente, qui sent bon l’influence Beatlesienne période Album blanc. I Quit est tout aussi fort, passant de quelques notes de folk à une sorte de pop abstraite shamanique ou fantomatique qui se fond dans une texture électro-spectrale crépusculaire. Les adjectifs surabondent pour souligner le côté irréel, absent qui s’installe. The Smile a quand même des allures d’un Radiohead qui aurait quitté terre pour faire autre chose, un Radiohead qui évoluerait à un niveau d’intention si élevé qu’on n’est pas sûr de toujours les croiser.

Il faudrait cependant être aveugle (ou sourd) pour ne pas être ému par un moment de grâce tel que Bending Hectic, pièce minimaliste au chant presque soul, qui cause d’abattement et de… résilience, mais décrit surtout… un accident de voiture. C’est LE grand morceau du disque : 8 minutes de poésie économe servies par un texte inspiré et magnifique qui se déversent dans deux minutes monumentales pendant lesquelles le chauffeur tente de redresser le véhicule. On était venu pour ça et on le trouve enfin. Non seulement une volonté d’expérimenter mais aussi de donner du sens à ce qu’on fait. Pas étonnant que ce moment survienne quand Yorke parle de l’une de ses passions (l’automobile) et décide enfin de sortir de ces signifiants impersonnels et abscons dans lesquels il navigue parfois. You Know Me! qui ferme le bal est tout aussi géniale avec cette idée d’un type qui dispose de lunettes pour lire à l’intérieur des gens.  « You with your X-Ray specs/ You can see inside of me », chante-t-il. Et c’est ce qu’on aime chez The Smile : ces moments où le fond rencontre la forme, malheureusement, à notre goût, pas encore suffisamment fréquents sur la durée du disque pour en faire un disque attachant et intime.

Wall of Eyes est un exercice de style plutôt réussi qui atteint sur 3 ou 4 titres des sommets d’émotion. Partout ailleurs, il semble concentré sur des enjeux propres aux musiciens où l’on peine à se sentir concernés. C’est beau, c’est curieux mais pas toujours engageant.

Tracklist
01. Wall of Eyes
02. Teleharmonic
03. Read The Room
04. Under Our Pillows
05. Friend of A Friend
06. I Quit
07. Bending Hectic
08. You Know Me !
Écouter The Smile - Wall of Eyes

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