Fleuves Noirs / Respecte toi
[Jarane Records / La Face Cachée/ Kerviniou/Poutrage]

7.6 Note de l'auteur
7.6

Fleuves Noirs - Respecte toiLa France n’a jamais été complètement à l’aise lorsqu’il s’agissait de mener des expériences innovantes sur le bruit. Si depuis quelques années, quelques groupes ont émergé dans le champ shoegaze, on avait jusqu’ici pas de tête de gondole tout à fait convaincante susceptible de rivaliser avec des franchises « disruptives » telles que Throbbing Gristle, PIL ou Rocket From The Tombs (jadis) ou même les psychédéliques et craquants Snapped Ankles, plus près de nous. Avec leur album, Respecte Toi, c’est à un vrai et brillant rattrapage historique que concourent les Nordistes de Fleuves Noirs.

Emballé sobrement et de manière plutôt sèche en huit titres, leur album est un bonheur pour celles et ceux qui aiment découvrir des musiques qui sortent de l’ordinaire et bousculent les formats traditionnels pop, rock ou même chansons. Cela ne veut pas dire comme on le croit que l’accès à la musique du quatuor Lillois serait difficile, particulièrement exigeante ou réservée aux snobinards. Pas du tout. Il y a ici un charme et suffisamment de qualités immédiates et organiques pour qu’on puisse se passionner pour ce qui se passe sans intellectualiser quoi que ce soit ou avoir à dégainer des références. On démarre dans un registre assez dark et bruyant avec le costaud Certitudes et Probabilités, mélange de rock gothique en fusion mâtiné de résonances tribales qui, tout en basse et en rythmique, serpente dans un tunnel jazzy et tortueux de plus de cinq minutes. L’ambiance est lourde mais fluide et rattachée à une filiation rock quasi indus qui nous fait penser aussi aux jeux malicieux d’Alan Vega avec Ben Vaughn et Alex Chilton sur Cubist Blues. Cet album culte avait été enregistré en une nuit si notre mémoire est bonne.

On suppose que les Lillois ont passé un peu plus de temps (à Dunkerque) pour capturer Respecte toi mais il y a dans le résultat cette sensation d’instantanéité et de tatonnement dans la stabilisation et le développement des morceaux qui ne trompe pas : la musique est capturée sur le vif, comme connectée à un flux ou robinet magique sur lequel le groupe vient se greffer et capturer la matière en mouvement. Valentin Fullspeed est une pièce impeccable qui passe d’une influence très Lydonienne à une séquence métal au ralenti, aussi fascinante qu’hypnotique. Le chant de Manuel Priego évolue de manière mélodramatique et parfois flippante dans un arrière-plan hanté par des spectres que chassent à coups de matraque une section rythmique particulièrement percutante.

On pourrait penser sur le démarrage de This Is Mike que Fleuves Noirs va aller s’amuser sur le terrain d’un groupe tel que CHEVEU mais la proposition finale ressemble plus à du Throbbing Gristle et à du Nine Inch Nails qu’autre chose. Le titre est puissant et presque un peu court pour ce qu’il avait lancé. Cela ne nous arrive quasiment jamais mais on aurait aimé que sur certains titres, les Fleuves Noirs prolongent l’exploration et continuent de pousser leurs intuitions dans leurs derniers retranchements. Bouge le Bus ne va pas assez loin, ce qui n’est pas le cas d’un Fesse Noire qui constitue avec ses 7 minutes, son chant punk à la Frustration, l’un des sommets du disque. D’où qu’on se place, c’est impressionnant de maîtrise et d’aplomb. Le son est dense, profond et lourd comme un bol d’air vicié et radioactif. La composition est étagée et organisée de sorte à ce que les relances sonnent justes et bâtissent un crescendo émotionnel assez redoutable.

Comme à chaque fois qu’émerge un excellent groupe nordiste, on ne peut pas s’empêcher (on est né à Valenciennes) de penser que ces gars là partagent à travers leur musique un peu des joyeusetés réservées par leur région natale. C’est évidemment une bêtise, même si le cousinage avec les voisins de palier (en tournée) de Trisomie 21 nous saute aux oreilles sur un Alerte Cobra incroyable de tension. Il n’y a pas de synthé chez Fleuves Noirs mais un même sens de la dramaturgie et le sentiment que mettre la tête dans le sac est quand même bien plus cool que de déguster une caïpirinha au bord de la piscine. On ne va pas parler de chaque morceau mais il y a aussi chez Fleuves Noirs de belles dynamiques et quelques velléités de mettre le corps en branle. Ca secoue et ça danserait presque sur un C’est pour ça qui passe du pogo au slow pour fans de Bauhaus et aurait fait un final impeccable si le groupe n’avait pas rajouté en bout de piste le curieux et dispensable pet sonore de OMN.

Comme on imagine que les types qui ont pondu ce disque ne sont pas des manches sur scène, on renverra autant à l’écoute de l’album qu’à un mouvement décidé vers les nombreux concerts du groupe qui se tiennent en octobre et novembre un peu partout en France. Fleuves Noirs coule forcément ces jours-ci près de chez vous. Si vous avez de la colère et de la frustration à exprimer, leur musique est faite pour vous.

Tracklist
01. Certitudes et probabilités
02. Valentin Fullspeed
03. This Is Mike
04. Bouge le Bus
05. Fesse Noire
06. Alerte Cobra
07. C’est pour ça
08. OMN
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