La réputation de Frank Rabeyrolles est allée gentiment croissante depuis ses débuts. Pas d’engouement excessif et encore moins de reconnaissance « grand public » (qui s’en préoccupe ?) mais une crédibilité de songwriter et un respect poli inversement proportionnels à l’agitation que véhicule sa musique. Il faut dire que, passé au tensiomètre, le spectre d’Apart (Wool Recordings), comme celui de ses autres réalisations, reste aussi plat qu’un plat. La science du Montpelliérain se déploie dans un espace raffiné où l’on place rarement une note plus haute que l’autre. C’est à la fois une qualité (la délicatesse, le charme, le confort) et aussi souvent un défaut : ses albums sont décrits, par ceux qui n’en pensent rien, comme « oniriques », « éthérés » et aux « ambiances cotonneuses ».
Apart n’échappe pas à la règle. La sophistication est extrême et les nuances sonores s’apprécient écouteurs à l’oreille. La texture est pourtant d’une belle épaisseur, plus électronique que par le passé, et les chansons souvent structurées par de solides mélodies pop. Pour ceux qui y comprendront quelque chose, Frank Rabeyrolles ressemble à une version moins tape à l’œil de Marble Sounds, le groupe belge de Pieter Van Dessel. On y retrouve la même attention poétique, le même sens du détail, cette capacité à envelopper les voix dans un voile de pudeur et à exprimer simplement mais sans céder sur leur complexité les sentiments et les états d’âme. Un morceau comme In Clouds aurait pu se retrouver sur l’album Tautou des Flamands. La mélodie vocale rappelle certains morceaux présents sur le disque, mais le tout est joué comme au ralenti, de sorte qu’on prend le temps de décomposer chaque note, d’entendre et d’attendre chaque son comme s’il n’allait jamais se décider à sortir. Ecouter la musique de Frank Rabeyrolles peut susciter l’impatience en même temps qu’elle apaise et amène à un état de conscience « flottante », suspendue qui donne toute la profondeur à cet art si particulier de la suggestion. A l’image de Like A Child, Rabeyrolles s’intéresse aux émotions primaires (plus que primitives), des sensations éprouvées et non élucidées, des images fugaces qui viennent des jeunes années, des béguins insoupçonnés et qui tout à coup occupent tout l’espace. Le single Love Translation est une chanson magnifique. La rythmique électro est parfaite, la pulsation remarquable, soulevée par un chant trafiqué aux accents French Touch. Le caractère de cette musique est paradoxalement assis sur une forme de déficit d’incarnation et d’absence à elle-même. La voix de Rabeyrolles est générique, souvent filtrée. La production ne lui donne que rarement une place à part. Les claviers dominent et interprètent les motifs les plus significatifs. Il y a une élégance redoutable dans un morceau comme Lessons.
Parfois, la surface s’agite. L’envie de danser l’emporte et donne un morceau répétitif et joyeux comme le pétillant Drowned. La ligne de Rabeyrolles est claire, splendide et sans gras. Lui reprocher d’atteindre ce degré de simplicité serait comme se plaindre que la mer est plate, même s’il est impossible, à un moment donné, de ne pas réclamer plus de relief. On aimerait que quelqu’un vienne secouer le cocotier d’un morceau comme Apart, avant de retomber sous le charme planant de Senseless Things. Il y a une forme de langueur balnéaire ici qui nous berce et nous envoûte. Les emballements amoureux ne sont pas les plus crédibles mais donnent naissance à de grands moments de légèreté. Strange Power est vraiment un poids plume. On sent le temps passer et la jeunesse qui s’évapore. Difficile de dire si la musique est triste ou insouciante. Les émotions sont marquées mais immédiatement intériorisées. L’album se referme sur son titre le plus impressionnant : Lost est une pépite incomparable, un joyau en trois minutes à peine. Le disque s’y résume sans mal, à la fois transparent et insondable, un plaisir fugace et précieux, délicat, immense et en même temps immédiatement oubliable (jusqu’à l’écoute suivante).
Frank Rabeyrolles – Apart
02. Love Translation
03. Lessons
04. In Clouds
05. Drowned
06. Apart
07. Senseless Things
08. Strange Power
09. Inside
10. Lost
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