Marble Sounds est en train de devenir l’un des meilleurs groupes pop en activité et il n’y a pas grand monde qui s’en aperçoit de ce côté-ci de la frontière. Les quelques tubes qui ont filtré de Tautou, leur précédent album, pouvaient en témoigner : les compositions de Pieter Van Dessel sont devenues, au fil des années, irrésistibles, indispensables quand on cause nostalgie, délicatesse et lyrisme d’opérette. On se demandait comment le groupe rebondirait après cette escalade amoureuse où leur son s’était considérablement enrichi sans perdre pour autant sa capacité à émouvoir.
La réponse tombe très vite à l’écoute de The Advice To Travel Light. Le groupe tente intelligemment la passe de deux en alternant les compositions amples et ambitieuses (comme l’ouverture splendide et titre éponyme) et des retours à une forme de simplicité acoustique symbolisés par l’impressionnant Speeches, miniature pop spectaculaire dans sa manière de soustraire plus que d’ajouter. The Advice To Travel Light est un album aux qualités magiques, un album charmant et envoûtant qui joue sur les ambiguïtés de son titre : s’agit-il de voyager léger ou de voyager portés par la Lumière ? Les deux, votre honneur. Sur le modèle des études classiques (on sait que Van Dessel a étudié le piano), The Advice To Travel Light ressemble à une exploration thématique qui serait déclinée sur onze morceaux. Qu’est-ce qui fait qu’on s’assemble et se désassemble ? Qu’est-ce qui fait qu’on reste en place ou qu’on choisit de s’en aller ? Ce sont les deux thèmes majeurs qui sont traités ici sous diverses formes. Les compositions sont tantôt menées par le piano, comme elles l’étaient sur le précédent album, ou par les guitares, autorisant un certain renouvellement sonore. On retrouve avec le single Anyhow (Even Now) une volonté de marquer les esprits par des motifs entêtants et littéralement pénétrants. Il y a peut-être moins de chansons à impact ici que sur le précédent album mais l’élégance du tout n’en est pas affectée au contraire. La grande force de Marble Sounds est dans cette construction de crescendos émotionnels auxquels il est quasi impossible de résister. Le single est à cet égard emblématique d’une forme de gimmick dans la montée en gamme dont le groupe n’est pas avare mais qui fait mouche à chaque fois. La voix de Van Dessel se prête à ces manigances par son apparente banalité et sa capacité naturelle à inspirer la confiance et le réconfort. Avec Marble Sounds, les publicitaires auraient un allié de choix. A écouter le groupe, on se retrouve sans aucun effort dans un cocon protecteur où tout le monde se meuble chez IKEA et porte des pulls en angora dès que la température baisse un peu.
L’album alterne ainsi des morceaux de bravoure dans lequel le groupe excelle réellement et des instants plus intimes où Marble Sounds travaille à l’ancienne et à la façon d’un groupe de jazz sur les rythmiques et les différents éléments d’une composition. On peut ainsi passer du désossé et quasi expérimental About You, tenu avec des épingles de nourrice, à des morceaux plus attendus et tout aussi efficaces comme le sublime One Last Regret qui ferme la marche. D’une manière générale, The Advice To Travel Light évolue plutôt dans un mid-tempo ralenti et millimétré, où l’on hésite à lâcher les chevaux trop vite. Marble Sounds, à l’exception de quelques chansons placées au début de l’album, fait dans la délicatesse et l’orfèvrerie d’art. Il faut souligner la qualité d’exploration d’un morceau comme 39 qui propose, sur quatre minutes, une leçon de progression à pas comptés. Chanson bilan et chanson d’amour, 39 (l’âge du capitaine très probablement) est la chanson la plus discrète et aboutie du disque. C’est une chanson qui émeut et qui demande une attention extrême, une chanson qui évolue à la vitesse d’un escargot au galop mais surprend par sa puissance d’évocation.
« I’m going through the different
Stages of my age
As if I’m feeling older now
Than I was yesterday
Making sense of past events just
Seems absurd
Some memories have disappeared
Some others are a blur »
C’est simple mais divin. Il faut croire que ce chiffre inspire. On se souvient du 39 de The Cure qui résonnait du même étonnement usé.
Cette manière d’y aller parfois au ralenti peut donner parfois l’impression que Marble Sounds fait du surplace (Fire In The Lake, The Road) ou s’attarde trop sur une formule qui finalement n’a pas tellement changé depuis que les Beatles l’ont mise au point. Mais c’est une fausse idée que de croire qu’il y a de la facilité là-dedans. On peut s’enthousiasmer pour un morceau aussi simple en apparence que Wisdom Is Bliss en sachant qu’il n’est jamais simple d’accoucher d’une mélodie qui se chantonne avec autant de facilité et s’impose à nous avec une telle évidence. L’exploit tient bien ici dans la répétition du prodige. Van Dessel a le secret pour façonner des motifs musicaux qui s’insinuent en nous. Cela ne marche pas à tous les coups (le passe-partout Keep Repeating) mais en abuser ne nuit à personne et renvoie à l’essence même de la pop qui est de reproduire et de reproduire encore et encore le frisson originel.
La pop de Marble Sounds est à son apogée. On se demande ce qu’il peut y avoir après. Sans doute la même chose en un peu différent et un peu moins bien. Il y a des moments où il faut savoir profiter de ce qui se présente : The Advice To Travel Light tient du miracle. Ou du mirage.