Frank Rabeyrolles fait partie, par analogie avec le cinéma, des « petits maîtres » qu’à peu près personne ne considérerait comme un artiste ou musicien décisif ou susceptible de changer la vie mais qu’on se retrouve la plupart du temps à écouter avec plus de plaisir et de constance que ceux et celles qui sont réputés plus « importants » que lui. Minor Blue ne fait pas exception et confirme, après quelques mois d’écoute, ce qu’on éprouve souvent à l’écoute de sa musique : un premier passage distrait/discret et qui tend à prendre la chose à la légère, puis des titres qui font leur chemin, progressent en nous et deviennent au final des compagnons de réconfort durables, chaleureux et presque indispensables.
Ce nouveau LP est d’une richesse mélodique qui se découvre assez facilement. La production est subtile et économe, mais tisse une ambiance assez singulière aux sonorités chaudes qui relève autant de la pop (la famille d’appartenance de ce disque) que du blues (celui des larmes, des fleurets mouchetés et de l’émotion) ou du trip-hop. Le tempo est souvent lent, comme suspendu à une nappe de brouillard, laissant glisser les accords et les croches comme des linges sur une corde de pendu. Le fond de l’eau est frais, l’expression trouble et incertaine. Le ton est mélancolique, un peu triste, mélancolique, sinueux. On aime la basse sur Like A Crash et on doit dire qu’il nous a fallu plusieurs écoutes pour prêter une oreille attentive aux textes. L’ambiance est telle que l’écoute s’apparente plus à une divagation, un peu hypnotique mais soyeuse, au fil des chansons. L’oreille glisse, suit le cours de la voix de velours et se laisse faire par la délicatesse, la paix et la grâce qui émane des titres.
Cela ne signifie pas que Minor Blue serait juste une sorte de musique d’ambiance un peu classe et impersonnelle. Il y a de vraies chansons dessous à l’image de la beauté inquiète et fugueuse d’un Japanese Dreams magnifique. On retrouve chez Frank Rabeyrolles, même si sa voix n’a absolument rien à voir avec celle de Mark Eitzel, la même sensation de plénitude et de présence fuyante que sur les meilleurs morceaux d’American Music Club. Les angoisses sont omniprésentes (Mental Crisis) mais exposées dans un cadre harmonique rassurant et qui renvoie une impression de maitrise, de discipline et de contrôle. On se balade à la surface des choses, on glisse sur les tourments sans les esquiver tout à fait. Blind se déguste évidemment les yeux fermés, la meilleure manière d’en lire toutes les couleurs et toute la subtilité. La matière sonore qui compose cet album est tellement unifiée et homogène qu’on pourrait reprocher à certaines chansons de se ressembler, mais ce serait passer à côté des variations de tons et de styles qui font qu’on passe de la pure pop, au blues à 1001 nuances d’un folk déviant et quasi soul (par exemple sur l’entraînant Brother James).
Comme chez American Music Club, Frank Rabeyrolles nous propose l’exploration d’un territoire qui tient tant de la plaine et des grands espaces où l’on respire et s’ébroue à côté des chevaux que d’un espace abstrait et plus intime. Le disque parle-t-il du temps (It Takes A Certain Time, notre morceau préféré et sommet de ce disque) ou plus sûrement de sa nature même ? Est-ce qu’il est matière ? Est-ce qu’il fuit ? Est-ce que l’émotion en est constituée ? Est-ce que le temps pèse sur nos épaules ? Est-ce lui qui file entre nos doigts ? La fatigue arrive (Tired) mais on se sent mieux à l’arrivée comme après une journée bien remplie, un temps passé au contact de la nature, des arbres, de l’air frais. C’est paradoxalement cette sensation d’être bien vivant et de gagner en vivacité que suscite l’écoute de la musique de Rabeyrolles alors qu’elle n’est faite que de torpeur et de lenteur. Minor Blue est un immense petit disque.
02. Explorations
03. Like A Crash
04. Japanese Dreams
05. Mental Crisis
06. Blind
07. I Dont Know Why
08. Brother James
09. It Takes A Certain Time
10. Tired
Lire aussi :
Frank Rabeyrolles / A Ghost By The Sea
Frank Rabeyrolles / Materia Prima
Frank Rabeyrolles / Apart