Il y a quelques belles histoires de transformation/affirmation. Celle du Canadien John O’Regan devenu Diamond Rings nous avait marqué en son temps, avant que le bonhomme retourne à l’anonymat. On pourrait citer, plus loin dans le temps, le cas tragique de Jobriath qui sera repris, dans quelques mois, par Morrissey sur son California Son. Toutes choses égales par ailleurs, c’est ce qui arrive au chypriote Lefteris Moumtzis sur cet album qu’il signe par la traduction en anglais de son patronyme originel, Freedom Candlemaker.
Beaming Light est un album de libération, musicale, personnelle et peut-être bien sexuelle aussi (on n’en sait rien en vérité), un album par lequel un type qui jusqu’ici œuvrait dans un sous-genre folk, mélancolique et neurasthénique, ouvre les vannes et s’oriente vers une musique solaire, festive et ouverte sur la danse. L’album est une vraie découverte pour ceux qui ne dédaignent pas les musiques optimistes, entre électro, dance et pop, les musiques où le chanteur évolue plus qu’il ne faudrait dans les aigus et exprime une forme de panthéisme bienveillant où l’on côtoye la nature, l’espace, la mer et quelques corps au bronzage. Freedom Candlemaker réussit sur la majorité des onze morceaux qui composent cet album à trouver un équilibre intéressant entre l’apport des cordes et des synthés, et la structure à guitares qu’il fréquentait jusqu’ici. Cela donne bien souvent des titres enlevés, ambitieux, formidablement bien menés, comme le magnifique False Hopes, emblématique de ce qu’on trouvera ici de meilleur. Le morceau est tout à la fois planant, psychédélique et prog-rock. C’est du grand art taillé sur quatre minutes passionnantes et chanté avec beaucoup d’aplomb avec une voix qui module entre l’émotion, la gravité et l’escalade en apesanteur.
Beaming Light est parfois d’une légèreté insolente. C’est le cas du Abyssal Sky qui ouvre le disque et expose le projet global : « To fly above the earth/ On a clear morning/ To beaming light/ To save the mind from words/ To be a grain of sand…. », chante Freedom Candlemaker en pleine fusion avec les éléments qui l’entourent. Le ciel est bleu. La mer est chaude. Les synthés décollent et donnent la sensation qu’on s’embarque pour un tour discount en aile volante plus que dans un voyage spatial avec David Bowie. Astral Body révèle un chanteur funky de premier plan. La rythmique est solide et le refrain ancre délibérément l’ensemble dans le bizarre et le transgenre. La musique de Freedom Candlemaker brille par son audace et son caractère extrêmement décidé. Bien qu’évoluant à la croisée des genres (le très 70s Journey par exemple, quasi opératique), la production d’Alex Bolpasis renvoie un sentiment de très grande maîtrise qui contribue fortement à nourrir l’impact du chanteur. L’essentiel dans ce genre d’exercice est de ne pas douter et de ne pas faire croire à l’auditeur qu’il y a du second degré là-dedans. Freedom Candlemaker travaille avec intensité une matière première où l’appel du corps et de l’émotion commandent à l’intellect. Il renoue parfois, pour étoffer son propos, avec la nostalgie et la mélancolie désabusée de ses travaux solo. C’est le cas sur l’étrange Miss Sadness, ode pop à une tristesse qui vient, faiblit et s’évanouit.
L’optimisme est au cœur du message que délivre l’artiste. Ce n’est pas si fréquent et cela doit être souligné. Beaming Light est un disque solaire et chaleureux, où la peine se soigne et où le sentiment de bien-être l’emporte presque toujours à la fin. Freedom Candlemaker évoque sa curiosité pour le monde qui l’entoure dans Flawless Rays Of The Sun, comme s’il s’agissait au quotidien de traquer les signes qui permettent d’espérer. L’amour est évidemment au cœur du projet, suffisamment indistinct pour qu’on ne devine pas le sexe de l’être aimé, celui dont les bras réconfortent et les baisers ouvrent d’autres dimensions. On pourra être rebuté par certaines chansons qui en font un peu trop dans l’expressivité telles que Playground ou dans une moindre mesure, Frost, mais l’ensemble fonctionne plutôt bien. Lorsque Freedom Candlemaker prend son temps et construit des progressions telles que celles de Silent Song ou Of The Universe, sa poésie s’élève à des hauteurs insoupçonnées. Le rêve devient orientaliste et quasi soufiste, transpercé par des riffs de guitares qui font penser autant à Led Zeppelin qu’à du rock californien sous influence. Par-delà les effets synthétiques, la composante psychédélique et à guitares finit (comme toujours) par l’emporter à l’image d’un final Unfulfilled magistral qui ferait mourir d’envie les frères Gallagher, leurs Flying Birds et autres Beady Eye par sa capacité à décoller.
Beaming Light est un album curieux, étrange et qu’on n’a pas fini d’explorer. Il faut s’y engager sans trop d’a priori, pour y aller voir comment on apprend à voler.
02. Astral Body
03. Journey
04. Miss Sadness
05. Flawless Rays of Sun
06. Playground
07. False Hopes
08. Frost
09. Silent Song
10. Of The Universe
11. Unfulfilled