Formule de plus en plus courante dans le milieu des labels indépendants peu fortunés dont Pehr, à la relance après des années de silence, fait aujourd’hui partie, c’est en cassette et digital que Timonium revient avec Saenz Audience, 16 ans après leur 3ème album Until He Finds Us. 16 années pas forcément inactives puisque ces chansons ont été écrites entre 2005 et 2019. Mais 16 ans à épuiser sans fin leurs 3 albums sortis de 2000 à 2003 qui renvoient à ce rapport si particulier que chacun entretien avec la musique et les artistes, celui qui consiste notamment à dresser son Panthéon personnel en fonction de ce que chaque artiste aura pu apporter d’important à un moment ou un autre. Des chamboulements de vie, des mutations professionnelles, des rencontres amoureuses, des enfants : Timonium va largement contribuer à la bande son de cette période transitoire à travers des morceaux de bravoure tels que l’extraordinaire Self Evidence.
Essentiellement organisé autour d’un duo composé d’Andy Garcia et d’Adam Hervey, également patron du label Pehr, le groupe s’inscrit dans une longue tradition US héritière du Velvet Underground mais surtout de quelques-uns de ses plus prestigieux rejetons que furent Galaxie 500 ou Bedhead. D’ailleurs, chose curieuse, si cette filiation a toujours été perceptible, elle l’est d’autant plus aujourd’hui que le groupe a quelque peu resserré les rangs, laissant tomber les longues envolées culminant jusqu’aux 22 minutes de Rae Luce sur leur second album pour un format plus conventionnel dont la plus longue des sorties n’atteint pas les 6 minutes. Chacun y verra ce qu’il ou elle voudra. Par exemple la fin de l’influence d’un post-rock auquel le groupe a pu à un moment être apparenté, même si on comprend alors toute la vacuité de cette étiquette puisque, fondamentalement, Timonium n’a pas changé grand-chose. On peut y voir encore une manière de composer plus adulte, où il n’est plus nécessaire d’empiler les structures et les variations sur une durée parfois un peu trop longue, où l’on peut se contenter d’un certain art de dire les choses de façon claire et concise, sans bavardages inutiles. En résulte un album particulièrement homogène malgré ses 14 années de gestation, par moment peut-être un peu trop monochrome, mais qui n’a aucune peine à faire valoir ses atouts, tout en nuance, comme sa pochette.
Au premier rang de ceux-ci, 9 chansons qui tiennent la route, comme les compositions de Timonium l’ont toujours tenue depuis tant d’année. En usant de formules éprouvées, destinées en premier lieu à un public de fans restés fidèles pendant ces 16 années (le groupe n’a pas prévu un plan promo démentiel et les 60 cassettes produites n’ont pas encore toutes trouvées preneurs), on ne peut pas dire que la démarche soit risquée : c’est juste celle d’un de ces groupes parmi des milliers d’autres, conscient des limites de son potentiel commercial et qui l’a toujours été puisque tous ses albums sont sortis sur son propre label. Mais on en est sûr aujourd’hui, qualité ne rime pas avec quantité. Et inversement. Comme pour nous tous ici, la musique accompagne la vie d’Andy et Adam et le talent dont ils sont doués leur permet de composer et nous offrir exactement ce que nos oreilles ont envie d’entendre. Une connexion entre artistes et auditeurs finalement la plus simple, évidente et excitante qu’il soit.
Comme depuis le début, mais en empruntant des chemins plus courts donc, Timonium nous promène dans son univers cotoneux et confortable qui ne va sans rappeler par moment le Slowdive de 2017, où autour d’une rythmique ronde et chaloupée, ne rechignant pas à se complexifier dans de beaux reliefs pour requérir un surcroit d’attention chez l’auditeur, se répondent des guitares souvent antonymes, entre distorsion parfois noisy et arpèges de cristal. Très présent, le chant souvent mixte (un autre canon du genre) est particulièrement agréable et conforte la sensation de calme et de plénitude qui plane sur tout le disque. Et là, petite surprise, exit l’historique Tracy Uba, remplacée par une vieille connaissance dont la voix sied parfaitement à l’univers de Timonium, Barbara Manning, chanteuse très active dans les années 90, auteure de plusieurs albums sur Feel Good All Over, Communion ou Matador mais surtout habituée des featuring avec Dump, Roy Montgomery ou The 6ths (le mythique San Diego Zoo, c’est elle !). S’il est vrai que beaucoup de chansons sont construites un peu de la même façon (une montée plus ou moins soutenue, une explosion sous contrôle, une redescente tout en douceur), l’album n’en souffre pas tellement, aidé en cela par quelques très belles pièces qui emportent tout sur leur passage : Utilidor, sec et nerveux, alambiqué, épique, le dubisant Californium sur lequel les deux voix s’accordent à la perfection, l’étincelant Terraced Body qui illumine le final de ce disque ou le sommet Halfwing particulièrement planant et son somptueux final sous cloches.
Saenz Audience n’a pas été l’album de 2019 et si Pehr arrive un jour à en faire un vinyl, comme le label en avait un temps le projet (ne serait-ce que pour rendre hommage à cet artwork juste somptueux), il ne sera sans doute pas celui de 2020 ou 2021. Il est à prendre pour ce qu’il est : la contribution discrète et néanmoins remarquable de musiciens doués à un genre somme toute confidentiel. Un disque qui comble largement les attentes des fans, saura reconquérir le cœur de la madeleine de celles et ceux passés à autre chose depuis tout ce temps et pourra, pourquoi pas, par ses qualités, offrir aux plus aventureux des curieux, l’occasion d’un moment de bonheur à prolonger. Convenez que ce n’est déjà pas si mal.