C’était alors une évidence. Juin 1987, encore. 30 ans, presque jour pour jour. L’un des étés les plus chauds de la décennie allait suivre, la température dépassant les 30°C plus de dix jours consécutifs à Paris au mois d’août. Et George Michael aimait les femmes. La question ne se posait pas. Il y avait bien quelques petits malins qui trouvaient que les attitudes camp de Wham! faisaient mauvais genre, que les tenues du duo fluo étaient un peu olé-olé mais bientôt ce débat n’aurait bientôt plus lieu d’être. Quelques mois plus tard, en octobre de la même année, Georgios Kyriacos Panayiotou, 34 ans depuis le 25 juin justement, deviendrait avec l’album Faith, son premier LP en solo, le chanteur le plus sexy de la planète, le plus caliente et le plus sexuellement attirant de cette fin des années 90, clouant sur place ceux qui se moquaient de lui. En novembre, comme un signe du destin, on retrouverait pendu dans une chambre d’hôtel de Sydney, le chanteur australien Michael Hutchence, leader d’INXS et ancien sex-symbol déchu. Aucun lien évidemment. La rumeur veut que Hutchence se soit suicidé, torturé par la belle Paula Yates. Ou qu’il ait été victime d’un jeu autoérotique (David Carradine, si tu nous lis) qui a mal tourné. Mais peu importe. Miroir, miroir, dis moi qui est le plus SEXY ? Pas de doute, en cet été 1997 : George Michael est le chanteur le plus baisable de la planète. Et il veut notre sexe. Ce qui tombe plutôt bien car à l’âge qu’on a à l’époque, il n’a pas encore beaucoup servi.
Il faut avoir été devant sa télé à l’époque pour y croire encore. Top 50. MTV. Radio. Le titre de la chanson résonne comme une provocation ultime, un appel à se vautrer dans la luxure… : conjugale. Il veut notre sexe. Le nôtre ? Non, pas seulement, le vôtre, tous les sexes, gros, longs, profonds, larges, étroits, blonds ou bruns. George Michael ? Tu as vu son nouveau clip ? Waoh. C’est bien la première fois qu’on entend ce mot là dans un titre de chanson, non ? On savait que Brian Wilson avait été le premier à oser insérer le nom sacré de Dieu dans le titre d’une chanson pop God Only Knows. George Michael sera lui le premier à mettre du sexe dans un titre. Les esprits chagrins diront qu’il y avait eu Marvin Gaye mais Sexual Healing, en 1982, n’avait pas tout à fait la même brutalité, le même caractère direct et agressif. I Want Your Sex se présente dans son plus simple appareil : un clip, réalisé de manière remarquable par Andy Morahan, un des meilleurs artisans des dix années qui ont précédé (réalisateur, pour l’anecdote, du film Highlander III) et déjà auteur pour George Michael plus tôt dans l’année du clip illustrant son duo avec Aretha Franklin, I Knew You Were Waiting (for me). Un succès déjà pour ce premier single lancé dans la mêlée après la séparation de Wham!. George Michael est évidemment à un tournant de sa carrière. Depuis fin 1985, le chanteur et compositeur du groupe a mis fin à son aventure commune avec son copain d’enfance Andrew Ridgeley. Le duo fait durer le plaisir jusqu’à l’été 1986, avec l’album The Final et un ultime concert merveilleux à Wembley devant plus de 70 000 personnes. Au moment où il enregistre Faith, George Michael est à la fois en pleine possession de ses moyens artistiques (après des années 1984-1985 invraisemblables où il a aligné les succès imparables) et en même temps fébrile. Le chanteur est sûr de lui mais sait que les critiques n’ont jamais été convaincus par la musique de Wham! qu’ils tiennent pour une sorte de boys band avant l’heure, préfabriqué et toc. George Michael serait un auteur de musique facile ? Pas un songwriter. Ces idiots n’ont aucune idée de la masse de travail qu’a abattue George Michael pour porter Wham! au firmament de la pop internationale. N’est-ce pas lui qui en 1981, déjà, avait composé seul et sans son collègue la chanson Careless Whisper ? Les gens ne savent pas qui est George Michael, l’une des pop stars les plus exposées de la planète. Ils ne savent pas qu’il a tout à fait tout seul. Les gens ne savent pas quel compositeur il est et quel homme se cache sous le masque joyeux et coloré du chanteur de Wham!
Du sexe à Beverly Hills : la preuve par la foi monogame
Mais l’heure n’est pas encore aux révélations. L’enjeu de Faith n’est en aucune façon de jouer la carte de la sincérité. Pas d’aveux cachés, pas d’allusions subtiles. Pas d’ambition démesurée. L’objectif est de montrer au monde que 1) George Michael sait composer des hits 2) le monde entier a envie d’écouter la voix de George Michael et de danser sur sa musique. Vendre des disques. Faire danser la planète. Devenir important et montrer son savoir-faire. La vérité attendra. C’est avec cet état d’esprit conquérant que George Michael entreprend l’enregistrement de Faith sur une partie de l’année 1986 et le premier semestre 1987. Il compose toutes les chansons ou presque tout seul et joue de tous les instruments. Si ces imbéciles savaient qu’il n’était pas moins habile que le gars avec lequel ils nous bassinent alors : ce Prince qui passe pour le plus provocant et le plus virtuose de tous les musiciens de sa génération. Quelle blague ! Les influences du disque sont vastes et lui qui était habitué à des chansons plus rentre dedans et au message simple choisit de s’engager dans une veine différente. Les thèmes de Faith seront plus intimes, plus spirituels mais aussi plus charnels, terrestres. Il fera danser en créant une ambiance quasi sacrée et religieuse autour de thèmes profanes. L’album sera soul, jazz, funk. Il sera pop mais aussi rock avec des influences évidentes venues de chez Bo Diddley (Freedom) et folk aussi. La culture musicale de George Michael est parfaite, incroyable, un creuset remarquable où se côtoient les Beatles et Stevie Wonder. Lorsqu’il s’agit de choisir un premier single, George Michael n’hésite pas. Les pontes de Columbia n’ont pas les moyens de lui résister car ils savent que la martingale n’a pas encore été utilisée avant : ce sera I Want Your Sex.
C’est un triomphe immédiat. Le single et l’album qui suivra. Pour dire la chose, lorsque I Want Your Sex sort en single au mois de juin, George Michael et Columbia sont déjà au courant. Le titre a été révélé quelques mois auparavant à l’occasion de la sortie du film Le Flic de Beverly Hills II, avec Eddie Murphy, dont il fait partie de la bande originale et tout le monde n’a parlé que de ça (enfin presque). Si c’est la scie de Bob Seger, Shakedown, qui fait office de porte étendard du film, I Want Your Sex résonne discrètement dans la célèbre scène du strip club et cela a suffi pour déclencher quelques réactions curieuses. Très vite après la sortie du disque, la polémique enfle. Ce titre ne serait-il pas scandaleux ? Corrupteur ? La BBC censure quasi immédiatement et quelques radios embrayent. George Michael est à la fois aux anges et inquiet. Ceux qui trouvaient son image trop lisse avec Wham! vont en rabattre. Trop lisse, I Want Your Sex ?! Mais il ne faudrait pas non plus que la controverse nuise à la carrière du morceau. S’en suit donc une série de déclarations et d’interviews, assez inédites dans le genre, où George Michael va s’évertuer lui-même à désamorcer la polémique que le morceau a soulevé, livrant pour l’occasion une véritable explication de texte de sa chanson, de son contexte et de ses paroles. L’objectif : sauver le single et lui permettre un plein accès aux ondes, avec l’assentiment de tout le monde. Contre toute attente, l’opération est réussie et la controverse éteinte aussi vite qu’elle a été déclenchée.
I Want Your Sex de ma femme
C’est du grand art. Communication de crise. Si on écoute de plus près, la chanson ne glorifie pas le sexe pour le sexe mais met en scène George Michael et sa compagne d’alors, Kathy Jeung, maquilleuse professionnelle et DJ à ses heures. Kathy vit alors à Los Angeles, ce qui est, pour George Michael, un véritable atout. L’intensité de la relation est mal documentée mais il n’est pas impossible que la relation ait été bien réelle. Le texte de I Want Your Sex (avec ou sans Kathy) n’est de toute façon, et c’est ce qu’explique George Michael dès mi-juin, pas du tout une ode au stupre et à la volupté. Il s’agit tout bêtement du discours que tient un homme pour mettre une jeune fille dans son lit. Une sorte de discours de conviction et d’ode au sexe qui vise à faire tomber les dernières défenses : main baladeuse, culotte de cuivre et autres pudeurs héritées de la vieille Angleterre. Michael (et il le pense alors) explique, le plus sérieusement du monde, qu’il mène une sorte de croisade panthéiste/hédoniste visant à établir une connexion plus forte entre sexe et plaisir dans le cadre du couple légitime. En appui de sa démonstration, il met en avant ce moment dans le clip (autour des 3 minutes) où après avoir transformé Kathy en une sorte de femme-fontaine grandeur nature, il lui écrit sur les cuisses et le dos ce phénoménal EXPLORE MONOGAMY, totalement incongru dans l’économie générale du clip. Pour l’anecdote, une actrice a été engagée pour faire office de doublure « cul » de Kathy Jeung. La critique est scotchée : mais c’est bien sûr ! Le couple est le creuset du plaisir ultime, le sexe routinier une annexe inexplorée du Kamasutra où le romantisme est au plus haut et les sources de plaisir constamment renouvelées. Autant dire qu’à l’époque (et à l’international), AUCUN auditeur ou fan ne capte le message. Mais l’évidence plaide pour lui. George Michael et Ovide ne font qu’un. Cet océan de luxure est tourné vers une première fois qui se défile tout au long du titre :
I want your sex
I want your love
I want your sex
I want your sex
It’s playing on my mind
It’s dancing on my soul
It’s taken so much time
So why don’t you just let me go?
I’d really like to try
Oh, I’d really love to know
When you tell me you’re gonna regret it
Then I tell you that I love you, but you still say « No »!
What’s your definition of dirty, baby?
What do you call pornography?
Don’t you know I love you ’til it hurts me, baby?
Don’t you think it’s time you had sex with me?
Sex with me
Sex with me
Have sex with me
C-c-c-c-come on.
D’un point de vue artistique (et scénaristique), le coup de génie du morceau est là. Le morceau le plus sulfureux de la décennie vise à convaincre une jeune fille de démarrer une bien anodine séance de touche-pipi. Rien de porno ou de tendancieux là-dedans, malgré la symbolique appuyée qui renvoie à des orgasmes cosmiques. George Michael est une sorte de Doc qui s’ignore et revendique que le sexe, ce n’est pas sale. Le tour de passe-passe réussit et le morceau se glisse en haut des charts internationaux (3ème en Grande Bretagne, 2ème aux Etats-Unis où il reste devancé par le I Still haven’t Found what I Am Looking For de U2). George Michael a lui trouvé la recette : mêler sexe, volupté et tendresse, si possible en faisant de la libération des sens une sorte d’épreuve sacrée.
Sacrée chanson et chanson sacrée
L’histoire de I Want Your Sex pourrait s’arrêter là et il n’y a sans doute pas grand chose à en tirer de plus. Succès. Le chanteur trimballe le titre lors de la tournée qui suit mais inexplicablement ne la réinterprétera plus jamais sur scène ensuite. En 1998, il est arrêté dans des toilettes publiques et est contraint de révéler sa véritable orientation sexuelle. Du coup (et même si c’était devenu un secret de polichinelle), tout le monde s’amuse à reparcourir ses oeuvres du passé pour y dénicher des signes, des allusions ou des double sens qui auraient échappé à l’époque à la vigilance des chasseurs de gays. I Want Your Sex ne fait pas exception puisqu’on ne tarde pas à voir fleurir des interprétations laissant entendre que George Michael ne s’adressait pas à son épouse ou un gars à une fille mais qu’il s’agissait alors de convaincre un jeune homme de passer à l’acte. George Michael a lui-même contribué au malentendu en précisant que, comme à chaque fois chez lui, l’objet de I Want Your Sex lui avait été inspiré par une situation réelle. En cause, deux références particulières. Tout d’abord, cette phrase sybilline : « There’s boys you can trust / And girls that you don’t/ There’s little things you hide/ And little things that you show » qui laisserait entendre qu’il vaut mieux avoir à faire à un garçon qu’à certaines filles. Plus loin, cet enchaînement « Sex/ I’m not your father/ Sex/ I’m not your brother » où le protagoniste homme tente de se distinguer des figures masculines de référence de sa cible pour lui indiquer qu’il peut faire l’amour avec lui sans aucune crainte particulière. L’interprétation n’est pas idiote mais il est assez probable qu’à l’époque George Michael soit plus concentré sur l’idée de jouer avec son thème que sur celle de semer des Oeufs de Pâques pour révéler/sans trahir ce qui est (autour de lui) un secret de Polichinelle.
George Michael et Prince sont sur un bateau
Le plus intéressant là-dedans reste la chanson elle-même et sa portée. Signe du soin qu’a mis George Michael à l’ouvrage, le morceau se présente comme la réunion de 3 parties distinctes, conçues et interprétées par George Michael pour former un ensemble de près de 13 minutes. La 1ère séquence baptisée Rythme Un : Lust est la partie la plus connue. La deuxième partie, Rythme Deux : Brass in Love, constitue la face B du single. Une troisième partie, Rythme Trois : A Last Request est distribuée en titre bonus de l’album. L’ensemble est réuni dans un mix d’assemblage baptisé le Monogamy Mix. C’est cette version qui est évidemment la plus intéressante (à défaut d’être aujourd’hui la plus écoutable). La 1ère partie est bien connue. La troisième plus douce et langoureuse est un contrepoint romantique et chaleureux à la frontalité sexuelle du premier segment. La deuxième est particulièrement utile pour comprendre les enjeux du morceau. Sorte de long jam funky, ce segment montre où se situe l’ambition de George Michael dont le but, à travers I Want Your Sex, est de se confronter aux soulmen majeurs de l’époque et principalement à Prince. C’est probablement dans ce duel à distance avec le Kid de Minneapolis qu’est à saisir l’essence du morceau : vendre du rythme et du sexe comme on ne l’a jamais vendu, vendre du talent et du mouvement dans une tradition à la fois funk, soul mais aussi avec le souci de moderniser les approches. George Michael est le premier à oser ainsi installer le sexe en façade, sur un single qui sert à lancer un album. C’est une audace invraisemblable. A la même époque, Prince qui a débuté très fort dissimule ces titres les plus sulfureux en face B ou à l’abri derrière des hits plus fréquentables. On peut citer à titre d’exemple le splendide Darling Nikki qui se masturbe avec un magazine et est décrite comme une folle du cul. On peut citer Erotic City qu’il ressortira sur scène pour la tournée Lovesexy ou bien avant cela des titres assez explicites comme Do Me Baby dont la puissance érotique est telle qu’il suffit de les écouter deux fois pour tomber enceint(e) selon la légende.
A son échelle, George Michael entre en concurrence avec le Nain Pourpre et autorise celui-ci, parce que I Want Your Sex est passé sans trop d’encombres, à partir sur Cream et d’autres réalisations du même genre. L’un des apports majeurs d’I Want Your Sex aura été de démontrer que les temps avaient changé et qu’un artiste (blanc, de surcroît) pouvait porter un univers ouvertement sexuel sans que cela déclenche les foudres de la censure. Rien que pour cela, l’expérience n’aura pas été inutile. Artistiquement, s’il apparaît difficile de considérer le morceau comme un chef d’oeuvre, on trouve des défenseurs du morceau. Les synthétiseurs sont exploités à merveille. Les machines prennent en compte les rythmiques et George Michael y montre son savoir-faire. C’était plus qu’il ne lui en fallait pour considérer que le pari était relevé.
Ce titre reste, après trente ans, synonyme d’audace et de liberté, en même temps qu’il proclame un message assez universel et consensuel (de ce côté-ci de la planète du moins) : tirer un coup entre personnes consentantes (et d’âge légal) reste un truc plutôt cool dans l’ensemble (si on ne se précipite pas). Ça méritait d’être redit.
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