On a cru à la première écoute que le temps de lâcher Future Islands était venu. Après un compagnonnage des origines (2008), marqué par la première interview française avec le groupe (on a les titres de gloire qu’on se décerne !), l’écoute de The Far Field nous révélait ce à quoi on avait échappé avec Singles, il y a trois ans : on n’éprouvait plus grand-chose pour la musique du trio de Baltimore, celle-ci se contentait par rapport aux audaces (mal payées) de On The Water et In Evening Air de répéter sans fin la mise en scène musicale et vocale qui a permis à Samuel Herring d’impressionner l’Amérique entière au Letterman Show et de devenir la « next big thing » de ces dernières années.
Future Islands a changé de statut. Le groupe est attendu et voir Herring et sa bande sur scène, le (moins) gros bonhomme surtout, grogner et s’agiter, est devenu un spectacle indépendant à part entière. Et alors ? Qu’est-ce qui change vraiment ? A la fois tout et pas grand-chose. Difficile de faire un procès en chambardement à l’écoute de The Far Field. C’est du Future Islands pur sucre. Douze chansons synth pop de l’Eglise des Premiers Temps, où le partage des tâches est parfaitement assuré. Gerrit Welmers est aux claviers, inspiré et discret, offrant un appui distrayant et illustratif à ses deux collègues. William Cashion à la basse fait l’essentiel du boulot. C’est l’architecte à cordes des morceaux de Future Islands. Son jeu de basse est simple, limite archaïque mais ne ressemble à aucun autre. Il est funk et post rock à la fois. Il est incisif et tout en retenue. Il est d’un minimalisme redoutable qui nous vaut ici les meilleurs moments du disque. Ecoutez Cave, par exemple, un morceau archétypal qui figure, d’une certaine façon, dans le ventre mou de ce cinquième album. C’est une excellente illustration des forces et faiblesses du trio. Rien n’a vraiment changé depuis 2008. Herring est parfait : c’est James Brown et Ian Curtis à la fois. Laissez-moi rire. Elvis et qui vous voulez. Le gars est usé jusqu’à l’os. Il a à peine commencé à redresser la tête et pas encore tout à fait réappris à ne pas devenir la bête de foire que les médias ont fait de lui. Il mouline comme un dingo ses histoires d’amour passées. Le trio est serré, magnifique de permanence, arc-bouté sur sa formule comme on tient le dernier carré lorsqu’on est entouré par les Indiens. Il y a une beauté invraisemblable dans l’insouciance du groupe à reproduire des prodiges d’équilibre comme Cave, l’une des grandes chansons ici, émouvantes, une chanson sur la foi et la perte de celle-ci. Comme dans tous les formules (voir Dinosaur Jr ou The Wedding Present par exemple), il y a des titres qui immanquablement fonctionnent mieux que d’autres même si le groupe écrit peu ou prou douze fois le même morceau. La variété est un leurre. La pop consiste à reproduire mille fois le même morceau et à faire croire qu’on a écrit des morceaux nouveaux.
On ne croit pas toujours à ce qu’Herring propose. On n’entre pas toujours avec la même intensité émotionnelle dans les morceaux. Son sentimentalisme est parfois mécanique et forcé : sur Through The Roses par exemple. Le morceau sent la guimauve. Il se tient mais pas pour nous. Les textes sont à la fois plus complexes mais moins percutants que par le passé. Rebelote sur North Star qui est très moyen : trop clair, trop tendu vers son objectif (mettre le chanteur en valeur). D’une manière générale l’album est déséquilibré. La première moitié est convaincante et regroupe les chansons les plus fortes. La seconde est plus légère, moins intense et mélodique. Candles est une abomination. Le texte est laborieux et l’ensemble ne décolle jamais. Tout semble convenu et cloué au sol, à l’exception peut-être de Day Glow Fire, que la basse de Cashion sublime, et de Shadows, qui est une sorte de classique instantané. Debbie Harry vient répondre à Herring et secouer l’équilibre synth pop. C’est immense et très réussi.
L’effet produit par The Far Field ne doit pas être emporté par les quelques chansons faiblardes. La première partie est sans surprises mais impeccable. Aladdin, l’ouverture, est magnifique. Le texte est bancal et les images acrobatiques mais on retrouve ici toute la sincérité touchante du trio. On se souvient des grandes figures avec lesquelles jouait Herring à ses débuts et notamment de son Tin Man emblématique. Herring faisait le pantin au cœur brisé comme personne. On le voit toujours ainsi dix ans après même si l’homme a changé, y compris physiquement. On retrouve un peu de cette magie sur cette ouverture, un peu de cette tristesse dans le vocaliste triomphant. L’extraordinaire ne se manifeste pas tout le temps. Cela donne des titres autoroutes (ou de savoir-faire) comme le solide Time On Her Side ou d’une certaine manière le single Ran, ni excellent, ni mauvais, juste au par. Future Islands ne fait pas partie des groupes qui peuvent signer 12 chansons exceptionnelles. Mais il y en aura toujours quelques-unes qui vous feront prendre les vessies pour des lanternes et vous donneront l’impression d’avoir « rencontré » quelque chose d’inédit. Beauty Of The Road est le plus beau morceau ici. C’est une chanson très américaine, une chanson d’asphalte, de temps qui passe et de nostalgie. Le groupe a déclaré que cet album était un album à écouter en voiture. C’est la clé de pas mal de choses. Que ce type de musique soit diffusé sur toutes les ondes, qu’on entende la voix de ces freaks un peu partout, est en soi un miracle. Future Islands a évidemment le cul entre deux chaises. C’est un groupe qui survit sur son amitié et tente de lutter contre les altérations et les transformations. Les voir évoluer en freinant des quatre fers est fascinant.
The Far Field est emprunté à la littérature. C’est une pratique répétée pour le groupe. Cela renvoie aussi à ces territoires nouveaux et étendus que le succès a livrés en pâture pour l’exploration. Future Islands est allé si loin qu’il se retrouve paradoxalement un peu comme avant : seul et en position d’éclaireur. Il doit éclairer les masses mais a l’impression d’avoir un peu moins de feu qu’hier. Cet album est juste admirable, et comme les quatre autres, indispensable. « We can go through. Together », chante Herring sur Through the roses. C’est une certitude. Mais à quel prix ?
02. Time On Her Side
03. Ran
04. Beauty Of The Road
05. Cave
06. Through The Roses
07. North Star
08. Ancient Water
09. Candles
10. Day Glow Fire
11. Shadows
12. Black Rose
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