Avec son album, My Debut Novel, l’Américain Philip Goth a signé ce qui sera, à n’en pas douter, l’un des albums les plus désespérément imposants de l’année. Album sombre et nourri aux musiques américaines, traditionnelles, urbaines et indépendantes, ce premier essai célèbre une vie passée à écouter des disques et à essayer d’en retenir ce qui fait de la peine, attache au fond de la gamelle et aide à exprimer les tourments de l’existence. En appui d’une interview géante, on a demandé au chanteur de nous organiser une balade dans sa discographie-référence en une dizaine de titres.
With his debut album, My Debut Novel, American singer songwriter Philip Roth gave us what could well be this year’s best album, dark and desperately beautiful. Built on epochal and intimate pain and fed with ominous everryday American stories, this first LP is also the mirror of a life spent listening to music, from traditional US and indie rock to soul or hip-hop music. Songs which hurt and heal. Songs which help saying how hard it is to be a normal soul these days. Besides our XXL interview of the artist, we asked Josh Rawson/Philip Goth to take us for a ride in his personal juke-box.
Sibylle Baier – Tonight
Les meilleures chansons sont comme des sortilèges. Quand commence cette chanson, on a toujours le sentiment que la nuit est tombée. Nos vêtements sont humides. On entre dans une maison inconnue. Ca sent l’encens. Il y a un chat qui pointe le bout du nez. Un feu dans l’âtre, des feuilles mortes et sèches pendent au mur, une bouilloire siffle à l’arrière-plan. A l’étage, quelqu’un évolue qu’on connaît à peine. Cette chanson est étrange et belle, élusive et bien cela s’arrête : tu reviens au monde et à la vie de merde qui est la tienne. C’est fini.
The best songs are like spells. When this song starts it always feels like it’s night. Your clothes are damp. You’re entering a house you’ve never been to. It smells like incense. A cat appears. The wood stove is on. There are dried flowers hanging upside down. A tea kettle is whistling. There’s someone upstairs you barely know. This song is strange and beautiful and elusive and then it’s over and you’re back in your crummy life again.
Laraaji – I Can Only Bliss Out (F’Days)
Je suis la personne la plus négative que je connaisse. Je suis un inadapté de la négativité. Quand j’écoute cette chanson, comme par miracle, toute la merde qui m’entoure se soulève et disparaît. « I take into account all of the miracles that have happened to me, and I can only do one thing, simply bliss out for days and days and days » J’entends ces mots et c’est comme un manuel pratique pour apprendre à vivre. J’essaie de garder cette chanson à portée de mains en toute circonstance.
I am by far the most negative person I’ve ever come across. I’m a negative creep. When I listen to this song all that shit goes away and “I take into account all of the miracles that have happened to me, and I can only do one thing, simply bliss out for days and days and days”. This song is an instruction manual. I try to keep it close by.
Joni Mitchell – Chinese Cafe
Le son de bass est sinistre. La mélodie est familière et en même temps distance. L’accompagnement derrière emplit l’espace avec juste ce qu’il faut de petits machins qui font de ce truc le truc le plus doux et irrésistible du monde et puis Maître Joni déboule vers après vers. C’est au sujet d’un vieil ami qui s’appelle Carol, pendant les fêtes de Noël, Joni, voyage en avant et en arrière dans le temps, elle est bloquée entre les deux et revient soudainement en arrière. La chanson est hantée par l’enfant qu’elle a abandonné. Le cours de l’uranium s’envole. Notre ville natale a disparu. La terre des indiens est pillée une seconde fois. Et puis elle revient et rejaillit dans ce café chinois où elle interprète de manière triomphale et pour la dernière fois un titre des Righteous Brothers. Tout est éphémère.
There’s an ominous bass sound, a familiar distant melody is hinted, a band of killers fill in with just about the smoothest shit you ever heard and then the Master Joni blacks out verse after verse. Reminiscing with an old friend named Carol during Christmas, Joni, travels back and forth through time, caught in the middle now, wild back then. Haunted by the child she gave up. Uranium money booms. The old hometown disappears. Indian Land is ripped off again. Until she finally emerges in that Chinese cafe again triumphantly singing that Righteous Brothers song one last time. Nothing lasts for long.
Greg Farley – Copake
Toutes les chansons avec des paroles devraient raconter des balades en forêt, l’observation de ce qui se passe autour de soi ou alors ce que c’est que d’être fermier à Copake. New York a buté toutes ses vaches au fusil, avant de le retourner contre elle-même (c’est une histoire vraie). Greg réussit à faire les deux à la fois ici. C’est ce qu’on appelle un Bingo. Une histoire de fantômes, où nou sommes nous mêmes les fantômes, engagés à traîner dans un monde ancien qu’on ne comprend plus, condamnés à nous réfugier dans des dinner restaurants, les yeux hagards et horrifiés comme des bêtes sauvages.
I think all recorded songs with lyrics should either be about walking through the woods, noticing things or about the time a farmer in Copake, New York murdered all of his cows with a shotgun before killing himself (true story). Greg manages to do both here. That’s what we call a Bingo. A ghost story, where we just might be the dumb ghosts, wandering around an ancient world we do not understand, seeking refuge in diners, horrified and bewildered.
Acetone – Return From The Ice
Je veux simplement m’allonger sur le sol, torse poil, et écouter ce titre en boucle, pendant que ma vie pourrit sur place pendant quelques années. A plus tard.
I wanna lay on my floor shirtless and listen to this song while my life rots all around me for the next couple years. See ya later.
AA Bondy – Fentanyl Freddy
On devrait graver cette chanson dans la pierre et la refiler à des aliens : ils comprendraient ainsi combien c’est difficile de rester humain dans cette chienne de vie qu’on nous offre au XXIème siècle. Il suffit de laisser ta tête pleine de saloperies qu’on t’a fourrées dedans à longueur de journée s’emplir de larmes. Laisser ton coeur fondre sous les cordes. J’ai parfois l’impression d’avoir vécu coincé entre deux de ces vers pendant des années. Il faut refiler jusqu’à son dernier centime et puis offrir sa tête sur un plateau à Mr Bondy et le suivre pour connaître le futur de la musique.
Carve this song into a stone tablet and give it to the aliens, so they can understand how hard it felt to be a human in the dog days of the 21st century. Let the hi hat fill your garbage head with tears. Melt into those chords. I feel like I’ve been living in between these verses for years. Surrender all twenties from your purse to headless Mr. Bondy and follow him into the future of music.
SOPHIE – Infatuation
SOPHIE, le conquérant, fourrage l’intérieur de mon crâne et me dévore le cerveau. Volume à donf et le pied plein gaz, je mets au max et je fonce vers le haut de la falaise. La vie de ma mère et dieux du ciel, tu t’envolerais dans le ciel, les nuages s’ouvriraient en deux pour t’offrir une magnifique renaissance.
SOPHIE, the Conqueror, break open my skull and eat my brains. Volume all the way up, foot on the gas, blast this song, and drive off a cliff. I swear to the gods you’ll fly up into the sky and the clouds will part and you’ll be reborn.
Rod Lee – Dance My Pain Away
Rod Lee a des Problèmes. Rod Lee veut se faire du blé. Rod Lee a besoin qu’on aide. Ca, c’est une chanson triste. Et c’est aussi une chanson qui est plus que réelle et authentique. C’est le genre de chansons qui te donne en vie de courir dans la rue et de fracasser les parebrises de toutes les bagnoles du coin. A poil. Et en dansant. En suant ta race. Et en te poilant comme un dingo.
Rod Lee’s got Problems. Rod Lee is desperate to make a buck. Rod Lee needs help from somebody. This song is a sad song. This song is a very real song. This song will also make you wanna run through the streets and break every car window on the block. Naked. Dancing. Covered in sweat. Laughing.
Sade – Lover’s Rock
« I am in the wilderness, you are in the music in the man’s car next to me. » C’est comme s’emplir la tête de Percocet et passer la nuit dans une chambre d’hôtel perchée au ciel, allongé sur le lit pendant que la nana de tes rêves s’habille dans la salle de bains.
« I am in the wilderness, you are in the music in the man’s car next to me. » The sonic equivalent of a head full of Percocet and a hotel room in the sky, laying in bed while your true love gets dressed in the bathroom.
Little Wings – The Shredder
Le Shredder (Broyeur) est une créature mythologique qui hante les ados solitaires des banlieues éloignées et qui les emplit de mélancolie. Des blessures, des failles, des magazines froissés, piscines, parkings déserts, l’ennui, la chute, se redresser, tomber encore. Cela sonne comme les Beach Boys mais pour des gosses qui n’ont pas la mer et passent leur temps à traîner dans des galeries marchandes, vêtus de noir, avec des baggies, des clopes, et qui ont gravé « Va te faire foutre » sur le dos de leur skate. Il est 15H15 et il n’y a rien à faire, rien à voir pour se sentir quelqu’un. Le premier épisode de la trilogie du Broyeur. La sentence s’impose à toi.
The Shredder is a mythological creature haunting lonely teenagers on the edge of suburbia filling them with melancholy. Bruises and folded magazines and pools and parking lots and ball bearings and boredom and falling and getting back up again and falling. Beach Boys for those doomed to beach-less strip malls, riders of the black top, baggy pants, cigarettes, carving “fuck off” into a skate deck. It’s a quarter after three, and there’s no where we got to be. The first in the Shredder Trilogy. That sentence rules.
Silver Jews – Candy Jail
Si j’avais du fric sur mon compte en banque, je le viderais, je volerais la carte de crédit de ma mère, brûlerais mes vêtements, j’abandonnerais ma volvo, je jetterais tout mon matos de musique dans la rivière. Si seulement j’avais pu écrire cette seule phrase : “true love doesn’t come around anymore than fate allows on a Monday in Fort Lauderdale”. C’est la perfection !
If I had money in my bank account I would empty it, steal my mother’s credit card, burn all my clothes, give up my volvo, throw all my dumb musical equipment in the river, if only I could have been the one who came up with the line “true love doesn’t come around anymore than fate allows on a Monday in Fort Lauderdale”. It’s perfect.
Daniel Johnston – Desperate Man Blues
Le fantôme de Mc Donalds. L’Everest des Montagnes. Le roi de la cassette. Daniel vient à nous maintenant sous la forme d’un Frank Sinatra de Pompes Funèbres. Il croone par dessus un big band disparu dans le cosmos, et le poète nous dit : « there ain’t no colors in the sky anymore, and I don’t feel like singing, can’t see what for.” Mais il chante, il chante. C’est un miracle que ça existe.
The Phantom of McDonalds. The Mountain Dew Messiah. The King of Cassette. Daniel comes to us this time in the form of the Frank Sinatra of the Funeral Home. Crooning over an ancient big band lost in the cosmos, the poet gives us “there ain’t no colors in the sky anymore, and I don’t feel like singing, can’t see what for.” But he is singing. It’s a miracle this exists.