Le mimétisme est quand même stupéfiant et on doit bien avouer qu’on y avait JAMAIS pensé avant mais, en s’attaquant à la reprise (en traduction) de l’hymne du Canadien Leonard Cohen, Hallelujah, le chanteur palois Vianney est entré (directement) dans la cour des grands ou des repreneurs majeurs de cette magnifique chanson qui a fêté ses 40 ans cette année. Euh…
Le titre Hallelujah apparaît pour la première fois en tant que single sur l’album Various Positions du Canadien. Le disque a la particularité d’avoir été rejeté par la maison de disque de l’artiste Columbia. On est en 1984. Personne ne remarque vraiment ce morceau, à part Bob Dylan qui la reprendra quelques mois/années plus tard en concert. Le disque lui-même n’est pas un immense succès (le son est très « années 80 ») et il faut attendre la version qu’en donne en 1991 John Cale pour qu’elle entre véritablement au patrimoine rock pop de l’époque. Le Gallois génial du Velvet Underground souligne la solennité gracieuse du mouvement qui incorpore des éléments bibliques et profanes dont la fameuse histoire de Samson et Dalila (« elle te coupe les cheveux ») ainsi que le flash du Roi David qui voit Bethsabée se baignant nue depuis sa fenêtre (première scène de stalking de l’histoire). Cette version met en avant le tiraillement du morceau entre la fougue du désir (sensuel, sexuel, et presque animal qui régit la relation amoureuse à travers une noirceur trouble) et l’aspiration à une élévation plus « spirituelle » mais pas moins désincarnée. C’est l’allure et le rythme gospel ainsi que son titre/leitmotiv Hallelujah qui font basculer cette chanson qui ne parle pas tout à fait de ça dans le sacré et le quasi religieux.
Well, maybe there’s a God above
As for me all I’ve ever learned from love
Is how to shoot somebody who outdrew you
But it’s not a crime that you’re hear tonight
It’s not some pilgrim who claims to have seen the Light
No, it’s a cold and it’s a very broken Hallelujah
Soit à peu près ce qu’exprime Cohen dans ce couplet, le recours au parallèle religieux ne servant finalement qu’à mettre en valeur ce qu’il éprouve en amour. Le documentaire montre à quel point le texte a été travaillé, l’artiste ayant supposément écrit plus d’une centaine de couplets/versions avant de stabiliser l’ensemble.
La chanson dont l’écriture a donné lieu ensuite à la réalisation d’un passionnant documentaire qu’on ne saurait trop recommander : Hallelujah : Leonard Cohen, A Journey, A Song (2022), gagne par la suite une popularité extrême et va figurer dans le set de Cohen dès 1985, avec quelques changements dans les arrangements et les textes. Les reprises se multiplient ainsi que les utilisations à outrance dans des films et séries. Lord of War, Watchmen, Cold Case, Shrek 3 (qui utilise la version de Cale), The West Wing y ont recours, au point qu’un journaliste ironisera en direct un soir en demandant un « moratoire sur l’utilisation du morceau ».
Parmi ces versions que l’on peut retrouver dans le livre qui inspire le documentaire dont on causait avant, celle de Jeff Buckley sur l’album Grace (1994) marque les esprits et semble être la source d’inspiration principale de l’interprétation de Vianney pour l’inauguration de Notre-Dame de Paris.
Le dispositif du Palois est assez proche de cette version live captée à Chicago et dans laquelle Buckley s’accompagne à la guitare. La posture n’est pas dissemblable jusque dans la façon du Français de porter sa guitare en bandoulière. Buckley a une petite trentaine d’années à cette époque. Vianney a 33 ans, l’âge de qui vous savez. La ressemblance s’arrête à peu près là. Buckley est le fils d’un chanteur bohémien et hippie mort d’overdose alors que Jeff n’a que neuf ans. Il vit avec sa mère dans un milieu tourné vers l’art, le jazz puis les guitares, et reçoit d’ailleurs sa première guitare électrique à treize ans. La famille de Vianney est très catholique et son père et sa mère dans l’armée (de l’air – hélicoptère pour papa, avion pour maman devenue ensuite instructrice) mais très mélomanes. Comme Jeff, il a un père… as de la guitare qui joue Brassens et Maxime Le Forestier. Comme Jeff, il se met à la guitare vers 12 ans.
Le reste de l’histoire des deux hommes diverge un peu mais pas tant que ça. Buckley joue dans des groupes et tâtonne entre hard rock, folk, reggae et rock. Vianney fait Saint-Cyr puis l’ESG Management School. Buckley navigue entre l’université et les clubs. Les deux sont obsédés par la musique, ce qui les mène autour de la vingtaine à enregistrer leurs premiers morceaux. Vianney est poussé par son père. Celui de Buckley est évidemment absent… mais rayonne tout autour de lui à travers des hommages et rééditions. Vianney explose en 2014 avec son deuxième single, Pas là. Buckley est repéré lors d’un concert hommage à son papa où il interprète brillamment trois de ses chansons. Il lui vaudra quasiment 4 ans pour venir à bout de son premier album. Les deux hommes ont un rapport intense, étroit, complexe avec leur propre père. Vianney se marie vraisemblablement en 2016, à 25 ans. Il signe quatre albums en dix ans. Buckley bute sur l’étape du deuxième album. Début 1997, il semble que la mécanique d’enregistrement se remette en marche après plusieurs sessions difficiles, mais Buckley se noie et disparait donc à jamais fin mai 1997. Vianney a 6 ans.
La reprise de Vianney repose sur une traduction/trahison du texte original au profit d’une séquence en trois couplets recomposée intégralement par l’artiste. La musique est à peu près intacte. Alors que Buckley se love dans la richesse de la composition de Cohen, Vianney propose avec audace (sic) un texte de circonstance et complètement transparent qui est tourné vers l’histoire récente de Notre-Dame : les flammes, la résurrection, le retour en grâce. D’un point de vue poétique, on frise la catastrophe et il n’y a évidemment AUCUN rapport avec la version originale. Il est même étonnant qu’un artiste de ce calibre ne s’interroge pas le moins du monde avant de chanter devant la planète entière sur la légitimité qu’il peut avoir à réécrire complètement le texte d’une des chansons les plus élaborées et abouties de l’histoire du rock !
Un jour une dame a dit « D’accord, donnez vos larmes j’en f’rai de l’or »
On raconte qu’elle sommeille en chacun de nous
Elle n’a pas d’âge et son visage
Importe moins que son message
Un jour viendra le temps de l’
Hallelujah Hallelujah, Hallelujah, Hallelujah, Hallelu-u-jah
Un jour la dame a dit « D’accord, je prends les flammes mais pas la mort »
On raconte qu’elle a fait son refuge en nous.
Après l’effroi vint le soleil
Et la r’voilà de ses merveilles
Il est venu le temps de l’Hallelujah
Hallelujah, Hallelujah, Hallelujah, Hallelujah…
Côté interprétation, si on arrive à faire abstraction du texte de boyscout, Vianney ne chante pas plus ni moins juste que Buckley. L’accompagnement orchestral est prudent et aide le chanteur à grimper dans l’émotion. Sa tenue des aigus est timide. Et la progression dans les couplets de Cohen/Buckley est évidemment enrayée par l’indigence de la version traduite et réécrite. Là où on est suspendu aux lèvres d’un Buckley sur 8 minutes, on s’ennuie sévère sur la version du Français au bout de deux minutes.
Vianney n’est donc pas parti pour devenir le nouveau Jeff Buckley. Ni même le nouveau Rufus Wainwright. On s’en doutait un peu. Mais il aura croisé l’espace de quelques minutes le chemin des géants. Gageons qu’il réinterprétera cette version en concert durant ses prochaines tournées. Et qu’on lui réclamera sûrement. Certains penseront que sa version est honorable. Et qu’il y a du Jeff Buckley en lui. D’aucuns lui conseilleront, en rigolant, de faire gaffe quand il ira à la piscine ou se baignera en eaux vives. Ce n’est pas très marrant.
Photo : capture d’écran YouTube
Bien vu, bien écrit, rien ou presque à ajouter… sinon que « il aura croisé l’espace de quelques minutes le chemin des géants » donnera lieu à 2 interprétations opposées selon le respect qu’on éprouve ou pas pour le gentillet blondinet choupinet « Saint-Jean-Marie » Vianney, le cu(cu)ré d’Ars de la chansonnette franchouillarde à l’eau bénite (« La Seine ruisselle d’eau bénite » chantait Nougaro après la déroute post-68 ; il avait tout compris, avec quelques décennies d’avance). Étonnant, en effet, qu’un « artiste » (autoproclamé, sans preuve avérée) semble ne pas même avoir avoir pris la peine d’écouter et encore moins de comprendre – mais est-ce que Saint-Jean-Marie Vianney parle anglais ? On en doute ! – une chanson intensément profane jusqu’à l’obscénité : « When I moved in you », sauf erreur de ma part, « quand je bougeais en toi » – ça « veut bien dire ce que ça veut dire », non ? Une phrase ne figurant pas dans l’original de Cohen, mais bien dans la version de Cale, reprise de prestations de Cohen sur scène. Par ailleurs, comment qualifier l’appropriation saint-sulpicienne pour grenouilles de bénitiers, cynique détournement bondieusard d’une chanson profondément juive, voire « mystiquement » juive par la tension douloureuse entre l’aspiration à la sainteté et l’attirance irréisistible pour l' »oeuvre de chair », (comme aiment à éructer les « charognes sacerdotales » – Georges Bataille, « Histoire de l’oeil » – frustrées en lorgnant sur les voies du seigneur des enfants de choeur, futures proies sexuelles innocentes) au profit d’une Église misogyne, pédophile et vénale d’ailleurs en voie d’autodestruction finale ? « Escroquerie », a minima. Plutôt, « crapulerie ». « Léo, reviens, ils sont devenus cathos !