En 2015, pour tenter d’expliquer le charme ésotérique du premier album d’Aldous Harding, on convoquait des fantômes néo-zélandais, divers sortilèges maoris, un grimoire aphrodisiaque. C’est dire à quel point l’apparition de cette dame (blanche) échappait à la critique rationnelle. Musicalement, on hésitait à parler de néofolk – un terme pratique lorsque le chroniqueur ne sait pas trop où ranger une collection de chansons dénudées. Trop de silence, de connivences avec Mère Nature, d’incantations surnaturelles, pour oser cataloguer Aldous Harding (vite rebaptisée Huxley Harding). Finalement, quitte à tomber dans l’appellatif new age, le mot « spiritualité » semblait convenir à ce disque ancestral, terreux, jamais matheux.
Et pourtant, face à Party, le premier album de miss Harding ressemble dorénavant à une simple mise en bouche, à une présentation courtoise. Car ce nouveau disque n’est pas une confirmation, mais une propulsion immédiate vers la cour des miracles.
De plus en plus épurées, les dernières compositions d’Aldous Harding prônent l’accompagnement invisible. Pousser le minimalisme jusqu’au stade où l’ossature constitue l’essentiel, la pureté d’une note idéale, une cathédrale en allumettes (une en moins, et tout s’écroule) : ce perfectionnisme maladif, on ne le trouve que chez Leonard Cohen (Songs from a Room), Mark Hollis ou le Dylan de The Times They Are a-changin’.
Rien à voir, donc, avec les silences high-tech de Radiohead : là où chez Thom Yorke même le creux entre deux notes est assourdissant (car en Super Stéréo dernier cri), Party ressemble à une brise lointaine qui refuse de s’imposer (mais provoque néanmoins un frisson étrange). Ni trop près, ni trop loin : la musique d’Aldous Harding est une affaire de juste distance, de promiscuité comme d’éloignement. D’où ce refus de la séduction immédiate : les chansons flottent dans l’air, atmosphériques, et il faut les cueillir, s’y lover, finalement s’y perdre.
Il serait injuste d’écrire que le rachitisme musical (qui n’en est pas un) ne sert qu’à valoriser le chant sorcier de la compositrice. D’abord car il y a autant de silence dans la voix d’Aldous que dans la production de John Parish ; ensuite car les conjurations de la Néo-Zélandaise se déplacent, vibrent, se modifient (dans une infinie variété de tons) au gré de la musique – comme chez Cohen et Dylan, toujours.
Ces variations ne dépeignent jamais une humeur. On soupçonne Aldous Harding de pratiquer la transe chamanique, ce moment où le corps et l’intonation vocale échappent totalement à leur possesseur. Une vérité s’en extirpe, mais celle-ci reste brumeuse : ne pas comprendre pourquoi faut-il descendre ou monter d’une octave, ici et pas ailleurs ; se laisser envahir par des pulsions incontrôlables mais qui dictent un sens caché ; oser se perdre en soi pour mieux trouver ce qu’exigent les chansons.
La fascination qu’exerce Party sur l’auditeur, écoute après écoute, provient d’un trouble : l’instinct et la nécessité semblent se répondre l’un l’autre, les sœurs Foi et Hasard engendrent autant de peur que de bienfaits. Le Diable et l’archange Gabriel s’y assemblent. Un troisième Testament.
Aldous Harding – Horizon
02. Imagining My Man
03. Living The Classics
04. Party
05. I’m So Sorry
06. Horizon
07. What If Birds Aren’t Singing They’re Screaming
08. The World Is Looking For You
09. Swell Does The Skull