Avec un nom pareil, difficile de ne pas se laisser tenter. Kool thing c’est évidemment un titre emblématique des Américains bruitistes de Sonic Youth, c’est maintenant également le nom d’un modeste, mais néanmoins prometteur festival d’automne organisé sur deux soirées par l’équipe de l’Antipode de Rennes. Revenons sur cette première soirée qui affichait quatre groupes et un parti pris pour le crescendo. Elle débutait avec les douceurs pop de Tapir!, se poursuivait avec la pop électrique et hypnotique des Espagnoles de Melenas, atteignait son climax avec l’enthousiasme ravageur d’Orchestre tout puissant Marcel Duchamp, pour s’achever sur la rage obscure du quatuor Enola Gay.
Tapir! – L’Antipode (Rennes) – novembre 2024
Le plateau s’ouvre donc avec les miniatures vaporeuses et parfois un peu somnolentes de Tapir ! Une copieuse formation de pop arty, teintée de folk électronique, dont les 7 membres se partagent entre un clavier/guitare, une basse, un violoncelle, une batterie, une guitare solo, un chanteur-guitariste et une chanteuse également en charge d’un modeste clavier. Ike Gray – chanteur et guitariste – équipé d’une guitare Télécaster métallique, à l’aspect aluminium fatigué, se produit assis, pousse le chant dans d’aventureuses envolées, très adroitement maitrisées. Le set, on ne peut plus statique, même un peu monocorde, enchaine les caressantes mélopées aux arpèges élaborées. Cette jeune formation, qui présente là son premier LP The Pilgrim, Their God and The King Of My Decrepit Mountain sorti en début d’année sur Heavenly nous conte, sur le ton de la fable décalée, l’histoire d’un voyageur solitaire dans un paysage fantastique. Une narration musicale que le groupe se plait à rapprocher des œuvres picturales de Henry Darger, de Philip Guston et du Douanier Rousseau. Il y a donc de l’étrange, dans ces piécettes élaborées, du décalé, une forme de fausse naïveté qui demande une implication certaine pour en peser la richesse. Un cocktail qui devrait ravir les amateurs de pop raffinée, évoquant tantôt les meilleures heures du label Sarah records, notamment une formation comme Harvest Minister ou encore les élégances folktroniques de Tunng, dans ses envolées orchestrales. Tapir ! est donc une formation sur laquelle il pourrait être judicieux de garder un œil et de prêter une oreille attentive.
Melenas – L’Antipode (Rennes) – novembre 2024
Après cette ouverture très cotonneuse, les quatre Espagnoles de Melenas réveillent la soirée. En provenance de Pampelune, elles illuminent de suite la scène par leur enthousiasme jovial et leur énergie communicative. Leurs titres, construits autour de claviers étourdissants, aux accents parfois acides, empruntés au garage rock, enlacent des guitares aiguisées aux saturations tendues, sur des tempos martelés aux propriétés hypnotiques appuyées. Cette pop, réjouissante au possible, évoque inévitablement Stereolab, ou encore Electrelane, à laquelle la note ibérique apporte une singularité imparable. Les quatre Espagnoles, après trois albums et quelques copieuses tournées, montrent là une fougue qui s’avère hautement communicative. Melenas partage d’ailleurs avec Orchestre tout puissant Marcel Duchamp cette capacité.
OTPMD – L’Antipode (Rennes) – novembre 2024
La formation suisse nous faisait l’honneur de nous présenter ce soir-là son sixième et tout nouvel album Ventre unique, récemment sorti sur l’excellent Label Bongo Joe. Cette formation cultive un art de l’agitation et de l’indiscipline, en réveillant nos sens et notre esprit critique. Construit autour de boucles minimales, qui gagnent systématiquement en épaisseur et en profondeur, leur répertoire emprunte avec adresse et parcimonie aux ambiances de fanfares, aux rythmes venus d’Afrique, d’Océanie, ou même des Antilles. Parfois teintés d’une naïveté enfantine, les morceaux de cette formation aux grooves incendiaires déclenchent d’inévitables et irrésistibles embrasements. Cette formule s’appuie sur un copieux intrumentarium, aux sonorités mêlant le populaire et le classique. La troupe musicale, d’une douzaine de musiciens, est composée de deux marimbas tenus par Aïda Diop et Elena Beder, de deux batteurs percussionnistes, Gabriel Valtchev et Guillaume Lantonnet, tous deux littéralement noyés derrière un mur de percussions innombrables, d’une section de cordes tempétueuse, composée de la violoncelliste Naomi Mabanda, de l’altiste Thomas Malnati-Levier et de Vincent Bertholet à la contrebasse. Au centre de la scène les deux guitares électriques, aux accents métal, sont tenues par Romane Millet et Titi, en front de scène Gilles Poizat au bugle et Gif au trombone, propulsent sans retenue leurs accents festifs. C’est habituellement Liz Moscarola qui officie au chant et au violon. Absente ce soir, elle laisse le chant à Mara Krastina – échappée du quatuor Massicot – nouvelle dans la formation, cette dernière devrait prendre une place plus importante à l’avenir dans le projet OTPMD. Avec ces multiples personnalités, l’orchestre joue adroitement des complémentarités et déploie effectivement une toute-puissance instrumentale contagieuse, diffusée sans compter par l’effervescent collectif. Cette formation s’impose à juste titre comme un agitateur qui revendique un « esprit de générosité, inspirant les gens à se réunir et à danser – non pas pour oublier leurs problèmes, mais pour forger une nouvelle communauté. » Un projet que ce concert est, une fois de plus, parvenu à merveilleusement incarner.
Enola Gay – L’Antipode (Rennes) – novembre 2024
Pour clore cette soirée plutôt que de contourner l’obstacle, Enola Gay choisit de le percuter frontalement et avec insistance. Si Enola Gay est le nom du bombardier B-29 qui largua la première bombe atomique sur Hiroshima, c’était aussi le nom de la mère du pilote, Paul Tibbets. Quelle funeste destinée pour ce patronyme, aux sonorités pourtant si caressantes. Si ce n’était pas un cadeau à faire à sa mère que de lui offrir ce rôle, ce n’est peut-être pas non plus un cadeau à faire à nos oreilles que de leur servir en fin de soirée ce « post punk » brutal, teinté d’indus, de noise et de hip-hop. Au final la formule, encore un peu jeune, manque légèrement d’équilibre, et ce mélange, une peu trop démonstratif et déclamatoire, ne peut pas encore être qualifié de recette digeste. La scène, alternativement plongée dans l’obscurité et les lumières froides, cultive une esthétique blafarde et un poil malaisante. L’attitude du groupe joue de la provocation et de la confrontation, mais peine à totalement convaincre sous un vernis un peu lisse. Là où, ces dernières années, certaines formations ont été en mesure de surprendre en revisitant l’énergie brutale du tournant des années 1970-1980, il manque ici, derrière l’énergie et la hargne, un sens plus affirmé de la composition qui rende le set plus digeste pour totalement emporter l’enthousiasme.
Les propositions de ce plateau n’en restent pas moins des plus convaincantes et nous portent à pleinement valider la pertinence de ces Kool thing, tout en attendant avec autant de curiosité que d’impatience une suite en novembre prochain.
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