Que ne ferait-on pas pour le plaisir de parler de Sophie Thatcher ? Passer sous silence la BO d’un de ses films par exemple. Non pas. Après avoir enflammé Hugh Grant en soeur Barnes pour une BO signée Chris Bacon sur Heretic, la plus jolie des actrices américaines du moment nous fait littéralement craquer dans ce film de science-fiction horrifique réalisé par Drew Hancock et dont elle partage l’affiche avec un Jack Quaid qui, après sa performance dans The Boys, tente de s’élever à la hauteur de son ADN (il est le fils de Dennis Quaid et de Meg Ryan). Jack est cool, le film aussi mais on avoue n’avoir eu d’yeux/dieu tout du long que pour la fille-rxxxt (spoiler) du film, qui concentre toutes les ambiguïtés et globalement l’intérêt de cette réflexion plaisante sur (spoiler 2) notre rapport… à la technologie domestique et, subséquemment (comme on dit) aux émotions humaines.
On ne racontera pas l’histoire du film à l’intrigue assez improbable (le “complot” contre ce brave russe Sergueï, le couple gay, etc) mais qu’on prend pour ce qu’elle est : une fable, une idée de scénariste qui permet d’habiller un bon divertissement, entre romance, pièce de théâtre (on parle, on parle beaucoup) filmée en disposant sous la main d’un groupe de protagonistes susceptible de fournir suffisamment de “rebondissements” (et de victimes) pour qu’on tienne une heure trente sans mollir. La réalisation est vive, le huis-clos relatif fort agréable et les personnages gentiment caricaturaux sont campés avec talent par une bande d’acteurs jeunes et justes dans l’ensemble. On rigole et on réfléchit, quoi de mieux ? Le traitement est anti-subversif au possible mais on peut sous la surface lisse et attrayante distinguer la véritable horreur morale qu’aurait révélé un traitement plus près du sujet.
La performance de Sophie Thatcher s’apprécie sans qu’on ait vraiment à qualifier son sens de l’acting, par une présence physique surnaturellement séduisante, amplifiée par une surexposition permanente et l’élégance irrésistible que lui apportent ses défauts physiques que sont deux dents qui se chevauchent et des oreilles légèrement décollées. Le film fonctionne avec et grâce à elle, même s’il est bâti contre (tout contre) sa fraîcheur, sa disponibilité et sa simplicité. Companion se résume en réalité à une unique question : “est-ce que Sophie Thatcher ou Iris, son personnage, peuvent exister dans un futur proche ? et si oui, jusqu’à quel point, cette existence relèverait-elle encore de l’humanité ?” Ce questionnement sur la femme idéale, enfant et fatale (l’intéressée a 24 ans) dépasse de trois têtes l’intrigue vaguement policière, plutôt marrante au demeurant, du film qui glisse sur nous et le spectateur avant de s’essouffler quelque peu sur la fin. La réponse est évidente : Sophie Thatcher ne peut exister qu’à Hollywood. On le sait mais la possibilité qu’elle soit aussi vraie et vivante dans le monde qui est le nôtre permet à l’univers de tenir en place.
Le tout est servi, et c’est ce qui nous amène ici, par la deuxième composition (pour un film de cinéma) de l’Américain Hrishikesh Hirway, 46 ans, coqueluche de la nouvelle génération de musiciens, adoubé par Netflix, podcasteur et dont on devrait entendre parler encore et encore ces prochaines années. Hirway a signé plusieurs albums de musique sous le nom de The One AM Radio dans un registre pop variété acidulé et sentimental, à cordes, tout à fait séduisant et respectable. Il est marié à une créatrice de mode magnifique et réunit toutes les qualités pour exprimer dans une BO la sensibilité moderne de l’époque, les élans du cœur et les troubles existentiels d’une génération gâtée par le sort. L’album The Hum of The Electric Air ! (sorti en 2002) est son meilleur et très recommandable. L’ensemble reste un peu lisse, mais très sophistiqué et triste, ce qui est parfait pour évoluer dans le périmètre de films actuels qui mélangent à proportions égales des éléments d’anticipation, de romance et d’horreur pour faire bonne figure, intriguer et séduire à la fois, sans heurter. Car toute la saveur de ces nouvelles comédies tient dans cette incapacité à aller plus loin que ce qu’ils s’autorisent et ainsi, et malgré toutes leurs audaces de façade, à rester dans une forme acceptable et non choquante. Le scénario de Companion aurait pu valoir un traitement beaucoup plus radical, réaliste, hardcore, dégueulasse et choquant. Le réalisateur fait tout le contraire et Hirway le compositeur parfait pour accompagner ce mouvement d’enrobage du réel.
La BO agit ainsi comme une couche de sucre autour du bonbon, ajoutant sur les premières plages une touche de magie à l’idylle quasi parfaite qui relie Iris/Sophie à son petit ami Josh. La voiture se conduit toute seule. La rencontre est magique et tout semble parfait. Hirway compose un thème (Iris’s Theme) tout en touché, magnifique autour de son héroïne, aseptisé (façon Barbie), onirique et qui porte sur lui des traces de romance héritées des années 70. Le clavier (un xylophone) est merveilleux et le tout nous immerge dans ce qui constitue un conte de fée que vient prolonger le superbe Smile, Act Happy. Il faut attendre Sunscreen pour que l’image se brouille et que Hirway ne vienne foutre en l’air l’harmonie de son bel édifice. Il le fait sans ménagement, avec l’irruption bruitiste et métallique de percussions chasseresses qui nous projettent de l’autre côté du rêve. Dès lors, la BO deviendra une oscillation incertaine entre la paix du rêve/la paix du mensonge et du masque et la folie de la vérité révélée. Hirway navigue entre une musique rétro, poétique et gentillette (le beau Go To Sleep, le très Everything But The Girl, I’m Everything To You, chanté par Sophie Thatcher elle-même) et des séquences plus offensives et qui relèvent classiquement de la composition de films d’angoisse. On peut citer quelques pièces sombres et qui sont archétypales de scènes de tensions ou de poursuites telles que Escape from the Woods ou Reprogramming, lesquelles ne présentent pas un intérêt majeur mais sont plutôt bien troussées. Pour le compositeur, ce sont des passages obligés que Hirway négocie à la perfection et avec une emphase qui contribue à la déréalisation du film.
Entre les deux, substituent quelques séquences vraiment dérangeantes et qui donnent du cachet à cette BO comme Plotting ou Tied Up, morceaux coupés en deux et schizophrènes qui viennent semer le trouble dans un dérangement bien arrangé. C’est sur ces pièces qu’Hirway vient en renfort du cinéaste pour désorienter le spectateur, lui offrir l’horizon d’un retour à l’équilibre (des forces en présence) avant que la musique et le film ne rebasculent dans le ratage et le désastre criminel. Hirway accompagne les réveils de Iris/Sophie et scande ses désillusions/illusions avec une patience et un sens de l’esthétique qui confinent à la cruauté et à la torture sur jeune fille en fleur. Quelques pièces interstitielles (Alibi, Empathix) auraient mérité des développements plus longs et ne déçoivent pas, faisant de l’ensemble une BO de qualité et aussi atypique que le projet lui-même.
Companion est un film aussi léger qu’il aurait pu être dérangeant et profond. Comme sa BO, il ne se dépare pas d’une esthétique moderniste, un peu attendue et superficielle, qui rappelle le Ex Machina d’Alex Garland sans la philosophie qui va avec et qui finalement nuit plus à son potentiel qu’il ne le sert. Il n’en reste pas moins un ouvrage sérieux et consistant, qui fait passer un bon moment. La BO de Hrishikesh Hirway est de même nature : bien fichue, bavarde, habile et pas anodine, mais totalement asservie à un projet qui est moins complexe qu’il ne le prétend. Reste bien entendu ce petit supplément d’âme et de magie qui surgit lorsque la musique s’approche d’un peu trop près, non de son sujet, mais de son actrice. Go To Sleep est un enchantement parce que Sophie Thatcher y murmure. 100% Intelligence, un final sublime de beauté, parce qu’il coïncide avec la victoire et la libération définitive du fantasme. On sait maintenant que Thatcher est faite de chair, de lumière et aussi de musique. C’est déjà ça et on s’en souviendra.
02. Smile, Act Happy
03. Flashback
04. Sunscreen
05. Tied Up
06. The Safe
07. Plotting
08. It Feels Like Pain
09. Escape From The Woods
10. Stalin’s Birthday
11. Reprogramming
12. I Believe The Name Was Hendrix
13. Alibi
14. Emphatix
15. I’m Everything To You
16. Go To Sleep
17. 100% Intelligence

