Once Upon A Time In… Hollywood Original Motion Picture Soundtrack
[Columbia Records]

7 Note de l'auteur
7

Quentin Tarantino - Once Upon a Time… in HollywoodCe 9ème film de Quentin Tarantino n’est peut-être pas le chef d’œuvre du cinéma dont on causera dans vingt ou trente ans mais si Once Upon A Time In Hollywood file comme l’éclair vers une conclusion merveilleuse et fonctionne aussi bien du début à la fin c’est, comme souvent chez le réalisateur de Reservoir Dogs, en bonne partie à sa bande-son qu’il le doit. Tarantino par le passé a signé des associations entre images et musique qui lui survivront, redonnant vie à quelques morceaux oubliés et, grâce à lui, popularisés au-delà de ce qui est imaginable. Il y a ainsi toute une économie de la résurrection qui est associée au travail de digger amateur que réalise Tarantino qui mériterait d’autres développements : des types qui vont sortir de l’ombre, des négociations financières inespérées, etc. Mais ce n’est pas l’objet. La bande son de Once Upon A Time est un travail plutôt scolaire d’illustration sonore d’une époque précise (Tarantino a veillé à ce qu’aucun morceau n’ait été écrit et chanté après 1969) qui reflète l’amour absolu du réalisateur pour la période depuis ses hits et ses morceaux attendus, jusqu’à ses publicités surréalistes qui émaillent la BO. Le résultat est plus appliqué et moins surprenant que d’autres BO de Tarantino mais forme une sélection intelligente et, à bien des égards, imparable, marquée par l’absence totale de second degré.

On rentre dans le film par la soul blanche et qui semble aujourd’hui un brin décalée de Roy Head & The Traits. Treat Her Right est un hit de l’époque qui donne le ton du film et installe la narration dans un registre « premier degré » attentif aux détails et plein de respect (et de compassion) pour l’époque qui va disparaître. C’est un des traits de la bande originale que de servir l’intrigue en la soulignant. Tarantino, à de rares exceptions près (les scènes de violence essentiellement), se sert rarement de la musique pour contredire ce qu’il filme. Les séquences musicales les plus cool sont attachées au personnage de Brad Pitt et notamment à quelques scènes de voiture où la musique contribue à l’exaltation et au sentiment d’euphorie ou d’insouciance qui accompagne le personnage.

 On retrouve cette approche chez Paul Revere & The Raiders, l’un des groupes stars et mineurs de l’époque. Sharon Tate s’excuse d’ailleurs en se mettant à danser : « Ne dis pas à Jim Morrison que tu danses sur les Raiders ». Good Thing et Hungry sont des morceaux médiocres mais qui ont été produits par Terry Melcher, l’un des anciens résidents de Cielo Drive et ami des Beach Boys.  On peut imaginer que c’est pour cette raison que Tarantino a tenu à les intégrer au film. De là à mettre 4 ou 5 morceaux sur le disque, c’est peut-être présumer de notre capacité à nous plonger suffisamment dans l’ambiance pour trouver que cette musique vaut vraiment le coup. Pari perdu. Parmi les bonnes surprises réservées par cette bande-son, on mettra en avant le Choo Choo Train détraqué de The Box Tops, le premier groupe d’Alex Chilton, future tête de gondole du rock alternatif américain et chanteur des cultissimes Big Star. Les Box Tops ont cartonné à l’époque (notamment avec The Letter, un morceau remarquable qui évoque la guerre du Vietnam) et mériteraient qu’on s’y attarde. A côté des classiques/poncifs que sont Deep Purple (même si Hush reste excellent) et Simon & Garfunkel (Mrs Robinson qu’on entend à peine), Tarantino nous offre l’occasion de redécouvrir les excellents Chad & Jeremy avec Paxton Quigley’s Had The Course, peut-être le morceau le plus classe du disque. Groupe pop folk qui sonne ici comme les Beatles, les deux Anglais ont terminé leur carrière discographique avec Of Cabbages and Kings et The Ark qui sont deux merveilles psychédéliques dignes de The Kinks. Plombés par l’insuccès, le duo se déchirera et les deux hommes disparaîtront des radars.

Des titres comme Bring A Little Lovin de Los Bravos ou Hey Little Girl de Dee Clark sont des titres enlevés et légers, assez représentatifs de ce qui passait sur les ondes à cette époque. Son Of A Lovin Man des faux frères Buchanan agit dans un registre assez similaire. Il y a une volonté délibérée de la part de Tarantino de s’en tenir à cette musique aérienne et tendrement rock de l’époque. Le danger est presque entièrement absent de la bande son comme s’il avait été évacué. Il n’y a guère que le Brother Love’s Traveling Salvation Show de Neil Diamond qui vient, dans le contexte de la Manson Family, porter un premier doute sur l’allégresse ambiante et dévoiler les premiers craquements dans le portrait idyllique donné du Hollywood de ces années-là. La bande son et le film agissent comme des (faux) mirages, des chromos reconstitués et qui ne prennent pas en compte ce qui ne fonctionne déjà plus. Le rythme ralentit, les tempos baba cools vont se changer bientôt en rock plus violent ou en excès liés à la drogue ou à l’ennui. On ressent cette bascule sur You Keep Me Hangin On de Vanilla Fudge, qui, pour nous, ne remplace pas tout à fait l’absence sur cette bande-son d’Arthur Lee et de son groupe Love. Est-ce que le groupe n’entrait pas dans les plans de Tarantino ? Est-ce qu’il était trop en avance sur son temps pour ne pas dévoiler ce qui se passerait après la mort de Tate ? Toujours est-il que Love est le groupe visionnaire qui manque ici et dont la musique aurait probablement pu dire ce qu’essayait de rendre Tarantino par l’image, c’est-à-dire moins que le gâchis soudain d’une utopie, la lente dégradation et la contamination par les forces du mal (la publicité gnangnan en étant l’un des vecteurs, Manson, etc) d’un Eden essoufflé par sa propre débauche d’énergie.

Retrouver à la toute fin du disque le Miss Lily Langtry de Maurice Jarre est un vrai coup de génie qui ne tient pas tant au morceau lui-même qu’à son étrange mélodisme. Difficile de savoir si le morceau est triste ou joyeux, s’il exprime de la tristesse ou déjà du regret ou de la nostalgie. Avec ses trois minutes instrumentales, c’est peut-être le morceau pivot de la bande son, celui qui dit le film et en révèle le mieux les intentions. Le titre agit comme une caresse, moins érotique que comme une forme de consolation, en phase avec le traitement final et cette idée que tout continue après le clap de fin, pour le meilleur et pour le pire.

Cette bande son est un bon moyen de se replonger dans l’ambiance et le rythme du film. Elle n’a pas grand-chose de plus à offrir que ça, mais c’est déjà beaucoup compte tenu de la puissance d’immersion et de la maestria que déploie Tarantino à recréer l’une des périodes les plus stimulantes et fascinantes de l’histoire de l’homme moderne. LA 1969, comme si vous y étiez. Le voyage n’a pas de prix.

Tracklist
01. Treat Her Right / Roy Head & The Traits
02. Ramblin Gamblin Man / The Bob Seger System
03. Hush/ Deep Purple
04. Mug Root Beer Advertisement
05. Hector / The Village Callers
06. Son of A Lovin Man / Buchanan Brothers
07. Paxton Qugley’s Had The Course / Chad & Jeremy
08. Tanya Tanning Butter Advertisement
09. Good Thing / Paul Revere & The Raiders
10. Hungry/ Paul Revere & The Raiders
11. Choo Choo Train / The Box Tops
12. Jenny Take A Ride / Mitch Ryder, The Detroit Wheels
13. Kentucky Woman / Deep Purple
14. The Circle Game / Buffy Sainte Marie
15. Mrs Robinson/ Simon & Garfunkel
16. Numero Uno Cologne Advertisement
17. Bring a Little Lovin / Los Bravos
18. Suddenly/ Heaven Sent Advertisement
19. Vagabond High School Reunion
20. KHJ Los Angeles Weather Report
21. The Illustrated Man Advertisement
22. Hey Little Girl/ Dee Clark
23. Summer Blonde Advertisement
24. Brother’s Love Traveling Salvation Show/ Neil Diamond
25. Dont Chase Me Around / Robert Corff
26. Mr Sun, Mr Moon / Paul Revere & The Raiders
27. California Dreaming/ Jose Feliciano
28. Dinamite Jim/ I Cantori Moderni di Alessandroni
29. You Keep Me Hangin On / Vanilla Fudge
30. Miss Lily Langtry / Maurice Jarre
31. KHJ Batman Promotion
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1 Comments

  1. Très chouette papier comme si souvent avec B.B. Même sentiment, même note. Beaucoup de soin comme toujours dans l’élaboration de la B.O mais peu de vraies révélations (si l’on compare par exemple à Jackie Brown, la plus réussie de mon point de vue). La perle (qu’étrangement vous ne mentionnez pas) demeure pour moi (lors de la séquence dans la voiture avec Pussycat) la reprise de The Circle Game par le subtil vibrato de Buffy Ste Marie.

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